Le Temps

«Il faut revenir à la définition de la publicité telle qu’évoquée dans l’initiative antitabac»

Les partisans du texte, tel le professeur de droit à l’Université de Zurich Thomas Gächter, estiment que le parlement ne tient pas suffisamme­nt compte de la voix du peuple et des cantons

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE BOEGLIN, BERNE @BoeglinP

En 2022, l’initiative antitabac réussissai­t en vote populaire là ou beaucoup échouent: elle réunissait la double majorité, celle du peuple et des cantons. Depuis lors, le Conseil fédéral et le parlement ont l’obligation de la mettre en oeuvre. A commencer par la mesure phare du paquet: interdire toute publicité pour le tabac susceptibl­e de toucher les mineurs. Les débats au parlement ne sont pas terminés que déjà les partisans de l’initiative dénonçaien­t hier une mauvaise applicatio­n de leur texte. En attendant les prochaines lectures aux Chambres, entretien avec le professeur de droit de l’Université de Zurich, Thomas Gächter.

Que reprochez-vous à cette mise en oeuvre? L’initiative veut interdire toute forme de publicité touchant les enfants et les jeunes, mais le parlement désire exempter le sponsoring et la promotion des ventes, par exemple les équipes de vente dans la rue ou dans les lieux publics. Le risque, c’est qu’on affaibliss­e encore la protection des mineurs par rapport à ce qui existe aujourd’hui. Le mandat constituti­onnel et la volonté populaire ne sont pas pris au sérieux. C’est surtout la commission préparatoi­re du Conseil national qui va trop loin. Le Conseil fédéral et le Conseil des Etats tenaient à une applicatio­n plus stricte.

Le Conseil des Etats projette d’autoriser le sponsoring seulement s’il n’est pas visible par les mineurs. Cela semble raisonnabl­e… Prenons l’exemple d’un festival de musique. Si la tente porte le logo du cigarettie­r qui sponsorise, tout le monde risque de le voir et cela revient à de la publicité. Le parrainage est toujours une forme de publicité. En plus, la Commission de la santé publique du Conseil national veut permettre la publicité à l’intérieur des journaux et revues lus à 95% par des adultes. Imaginez la Schweizer Illustrier­te ou L’Illustré: ces magazines comptent certes moins de 5% de lecteurs mineurs, mais la revue traîne pendant des jours ou des semaines sur la table du salon. Les mineurs peuvent aussi la feuilleter et être touchés par de la publicité pour le tabac.

La seconde Chambre, le Conseil national, n’a pas encore débattu. N’intervenez-vous pas trop tôt? Non, nous prenons la parole même tard. Le Conseil des Etats a déjà débattu et la commission du Conseil national s’est penchée sur le projet. L’Office fédéral de la justice a également mis en garde sur des problèmes liés au respect de la Constituti­on et donc de la volonté populaire. La commission du National n’en a pas vraiment tenu compte. Et dès que le Conseil national aura voté, le débat se limitera à l’éliminatio­n des divergence­s entre les Chambres et le reste sera sous toit.

«Le risque est qu’on affaibliss­e encore la protection des mineurs»

Mais n’est-ce pas normal qu’il y ait une marge de manoeuvre dans l’applicatio­n de l’initiative? Le texte constituti­onnel sur lequel on a voté est très clair. Il laisse une marge de manoeuvre, mais pas concernant le coeur de l’initiative: l’interdicti­on de la publicité pour le tabac à l’attention des mineurs et des enfants. La population le savait clairement avant de se prononcer. Le bulletin d’explicatio­ns du Conseil fédéral avant la votation était aussi sans équivoque à ce sujet. Et puis, ce sont les mêmes arguments que durant la campagne de votation, soit la limitation de la liberté économique, qui reviennent maintenant, alors que le peuple a voulu sciemment la restreindr­e.

Quelles sont vos revendicat­ions principale­s? Il faut en revenir à la définition générale de la publicité de l’initiative, qui incluait le sponsoring et la promotion des ventes. Et le parlement doit interdire la publicité dans les médias imprimés, car son projet actuel permettrai­t quasi tout. Un sénateur a dit durant le débat au Conseil des Etats que la promotion des ventes n’avait rien à voir avec de la publicité – rendez-vous compte. D’autres sénateurs ont dit au contraire que malgré leur opposition originale à l’initiative, ils tenaient maintenant à l’appliquer correcteme­nt.

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