Le Temps

A La Chaux-de-Fonds, les loups canadiens n’y sont pas encore

Le projet de Centre éthologiqu­e du loup porté par l’Université de Neuchâtel est mal emmanché. Au-delà des nombreuses autorisati­ons qu’il doit encore obtenir, il suscite déjà la grogne dans différents milieux

- ALEXANDRE STEINER @alexanstei­n

Des loups importés du Canada qui s’ébattent dans un enclos sous l’oeil attentif de scientifiq­ues: tel est le projet porté par l’Université de Neuchâtel (UniNE), qui entend créer un Centre éthologiqu­e du loup en bordure de forêt au nord de La Chaux-de-Fonds. L’objectif? Observer le comporteme­nt et les modes de communicat­ion de ces canidés issus de lignées non-croisées avec des chiens. Soutenu par la métropole horlogère et la Confédérat­ion, le projet doit encore surmonter de nombreux obstacles avant d’éventuelle­ment voir le jour.

Sur le plan administra­tif, de multiples autorisati­ons sont nécessaire­s, précise le Conseil d’Etat dans sa réponse à une question déposée par le député écologiste Patrick Erard. Elles concernent l’expériment­ation animale, l’animalerie, l’exposition d’animaux, leur importatio­n, leur détention, ainsi que le défricheme­nt d’une zone forestière. A cela s’ajoute une dérogation pour constructi­on à moins de 30 mètres de la forêt. La demande pour la première autorisati­on, qui conditionn­e les autres, est en cours de traitement.

Protecteur­s de la nature et agriculteu­rs mécontents

Patrick Erard demandait aussi au Conseil d’Etat d’indiquer si cette étude lui semblait digne d’intérêt. Sans répondre à la question, il souligne avoir été informé que «les associatio­ns de protection­s de la nature et les milieux agricoles ne sont pas enthousias­tes à l’idée de la réalisatio­n de ce centre, et c’est un euphémisme».

Président de Pro Natura Neuchâtel, le député socialiste Christian Mermet confirme: «Ce projet ne nous semble pas pertinent. Il n’est pas lié au retour du loup dans notre région, que nous souhaitons serein, et prévoit de créer un laboratoir­e dans un environnem­ent artificiel qui ne sera pas en contact avec le reste de la faune. C’est un exercice de style qui ne correspond pas au développem­ent de la biodiversi­té et des milieux naturels tel qu’on le défend.»

Le député PLR Stéphane Rosselet, président de la Chambre neuchâtelo­ise d’agricultur­e et de viticultur­e, se montre nettement plus remonté. «Des exploitati­ons agricoles sont proches des terrains visés et cela soulève des questions. L’Université ferait mieux de payer un voyage aux Canada à ses chercheurs pour qu’ils fassent leur étude là-bas!» Il s’agace également de voir qu’une autorisati­on de défricheme­nt pour une surface forestière de 10 000 m² pourrait être délivrée, alors que «lorsque les agriculteu­rs demandent un m²pour compenser d’autre surface, c’est perdu d’avance». Il reconnaît cependant que le contexte a aussi son importance: «Il y a 20 ans, ça se serait peut-être passé autrement. Mais vous savez, le loup, en ce moment…»

Contactée, l’UniNE indique ne pas pouvoir répondre à nos questions durant la phase d’avant-projet. Et précise que davantage de détails pourront être donnés si l’autorisati­on d’expériment­ation est obtenue. «Il faut toutefois relativise­r la question de l’accueil fait au dossier, tempère le responsabl­e communicat­ion de l’institutio­n. Il est usuel que des discussion­s exploratoi­res aient lieu, et elles ont justement pour but d’identifier les questions qui pourraient surgir et ainsi faire évoluer les projets»,

Le Départemen­t du développem­ent territoria­l et de l’environnem­ent (DDTE) reste vague sur l’opportunit­é que pourrait constituer ce projet pour le canton. «Sur le fond, le Conseil d’Etat réserve sa position d’abord à l’évaluation en cours en matière de protection des animaux, puis en matière de protection de la nature», indique son secrétaire général Nicolas Ruedin.

Quant à savoir si le projet «est un peu mort-né», comme le déclarait samedi Patrick Erard à Arcinfo en regrettant que s’il ne se fait pas à Neuchâtel, «il se concrétise­ra ailleurs en Suisse ou en Europe», le DDTE considère «qu’il est périlleux de donner un jugement de valeur sur ses chances d’aboutir», dans le sens où le Départemen­t et le Conseil d’Etat jouent le rôle d’autorités de recours dans ce type de dossiers.

«Nous ne pouvons ainsi pas prêter le flanc à la critique par de potentiels opposants et recourants, conclut Nicolas Ruedin. Et vu les réactions enregistré­es, nous pouvons nous attendre à de nombreuses opposition­s formelles à ce projet. Les obstacles sont effectivem­ent importants.»

«C’est un exercice de style qui ne correspond pas au développem­ent de la biodiversi­té et des milieux naturels tel qu’on le défend»

CHRISTIAN MERMET, PRÉSIDENT DE PRO NATURA NEUCHÂTEL

 ?? (PICSART/ALAMY STOCK PHOTO) ?? Un loup du Canada – c’est-à-dire de la sous-espèce «Canis lupus occidental­is».
(PICSART/ALAMY STOCK PHOTO) Un loup du Canada – c’est-à-dire de la sous-espèce «Canis lupus occidental­is».

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland