A Genève, les SIG ont surfacturé l’électricité
ÉNERGIE Dans un audit publié hier, la Cour des comptes démontre que le distributeur a utilisé une mauvaise méthode de calcul pour évaluer les pertes sur son réseau
Environ 22 millions de francs. C'est la somme que les SIG ont surfacturée à leur clientèle de 2008 à 2021 à la suite de calculs erronés liés à des pertes sur le réseau électrique dont ils ont la supervision, selon un rapport publié hier par la Cour des comptes (CDC) du canton de Genève. C'est une alerte d'un citoyen anonyme qui a plongé cette institution, chargée du contrôle des entités publiques au bout du lac, dans l'univers technique de l'électricité. Et son enquête révèle des pratiques qui ne devraient pas relever d'une Genferei supplémentaire mais bien mettre en lumière un problème général dans les tarifications de l'électricité en Suisse.
Calculer des pertes
Commençons par une précision, indispensable pour saisir ce dossier: toute distribution électrique s'accompagne de pertes. Le montant d'énergie injecté dans un réseau ne correspond en effet jamais tout à fait à celui qui arrive chez les consommateurs. Il y a des déperditions de chaleur (qui dépendent de l'étendue du réseau, de la nature des câbles, de la tension) et d'autres liées à la précision des compteurs. Elles varient selon les années et sont difficiles à évaluer, mais elles le sont tout de même afin de rembourser ou de faire payer davantage les clients après coup.
La CDC a zoomé sur les méthodes pratiquées par les SIG pour calculer les pertes sur le réseau dont il a la charge, à Genève, et en a conclu qu'elles étaient gonflées. Quelquefois largement: en 2018 par exemple, le distributeur a déclaré à la Commission fédérale de l'électricité (l'ElCom) avoir perdu plus de 100 000 MWh, alors qu'une autre méthode de calcul – celle que les SIG auraient dû utiliser selon la CDC – n'aurait pas abouti à un montant supérieur à 66 500 MWh.
L'organe de surveillance cantonal soutient que «le calcul des pertes réseau par les SIG ne respectait pas la loi fédérale sur l'approvisionnement en électricité ni les directives du régulateur fédéral [l'ElCom].» Les SIG ont ainsi surévalué les pertes chaque année entre 2008 et 2021 (sauf en 2020), selon la CDC. Or ces pertes constituent un coût pour les SIG qui est in fine payé par les clients.
La CDC signale que les SIG doivent changer leurs méthodes de calcul et diminuer leurs tarifs ces prochaines années pour restituer les 22 millions injustement acquis au détriment des consommateurs genevois. L'institution indique que son enquête s'est déroulée l'an dernier dans un «climat tendu» en raison de profondes divergences entre la Cour et les SIG sur ses conclusions et qu'en décembre dernier, l'ElCom a confirmé que ses conclusions «n'étaient pas à remettre en cause».
«Les SIG savaient qu'ils surfacturaient les pertes et ils ont délibérément décidé de ne pas les rembourser de manière rétroactive, alors que la législation le prévoit», a affirmé Frédéric Varone, magistrat suppléant à la CDC, dans un point presse hier. «Nous validons les recommandations de la Cour des comptes et nous allons rétrocéder les 22 millions à la population», a répondu Christian Brunier, directeur des SIG, dans cette même conférence de presse.
Dans des prises de position au sein de l'audit, les SIG signalent qu'avec le déploiement des compteurs intelligents (qui sont sur le point d'être largement installés), le problème devrait se résoudre. Les mesures des nouvelles machines sont en effet beaucoup plus précises. L'entreprise relève que les pertes réseau sont à Genève très en deçà de la moyenne des distributeurs suisses (3% contre 7%).
«Ils ont délibérément décidé de ne pas rembourser rétroactivement»
FRÉDÉRIC VARONE, MAGISTRAT SUPPLÉANT À LA COUR DES COMPTES
Les SIG, toujours dans le rapport, disent d'ailleurs «s'étonner que l'ElCom, qui possède toutes les données tarifaires de l'entreprise, n'ait jamais émis de critiques/recommandations sur une pratique existant par ailleurs chez d'autres distributeurs en Suisse.» Le groupe écrit qu'il incitera l'ElCom à s'assurer que les pratiques en la matière sont uniformes en Suisse.
L'ElCom intervient si elle constate des anomalies dans les données fournies par les quelques 600 gestionnaires de réseau qu'elle doit contrôler, selon son service de presse, sans commenter davantage sur le cas genevois.
Cinq milliards
Les SIG soulignent aussi que les 22 millions surfacturés sont à relativiser car sur la même période (de 2008 à 2021), le chiffre d'affaires de son segment électricité a pesé 5 milliards de francs. Le distributeur investit une vingtaine de millions de francs par an dans son programme d'économie d'énergie Eco21, régulièrement cité en exemple et les tarifs qu'il pratique figurent parmi les moins élevés de Suisse.
Les tarifs d'électricité sont divisés en deux principales composantes auxquelles il faut ajouter des taxes, locales et fédérales: la fourniture d'énergie (qui comprend les coûts de la production ou d'achat d'électricité) et l'utilisation du réseau (le prix du transport, sur le réseau local et à très haute tension, géré par Swissgrid). En Suisse, les prix de l'électricité ont augmenté ces dernières années, dans le sillage de la crise énergétique. A Genève, un ménage moyen paie cette année près de 29 centimes son kilowattheure, ce qui correspond à une facture d'électricité mensuelle d'une cinquantaine de francs. A Genève, les pertes du réseau électrique, incluses dans le tarif d'utilisation du réseau, représentaient environ 0,3 centimes par kilowattheure en 2023. Soit 1% du tarif de l'électricité, un taux qui tend à baisser avec les années car le réseau s'améliore. ■