Le Temps

A Genève, les SIG ont surfacturé l’électricit­é

ÉNERGIE Dans un audit publié hier, la Cour des comptes démontre que le distribute­ur a utilisé une mauvaise méthode de calcul pour évaluer les pertes sur son réseau

- RICHARD ÉTIENNE X @rietienne

Environ 22 millions de francs. C'est la somme que les SIG ont surfacturé­e à leur clientèle de 2008 à 2021 à la suite de calculs erronés liés à des pertes sur le réseau électrique dont ils ont la supervisio­n, selon un rapport publié hier par la Cour des comptes (CDC) du canton de Genève. C'est une alerte d'un citoyen anonyme qui a plongé cette institutio­n, chargée du contrôle des entités publiques au bout du lac, dans l'univers technique de l'électricit­é. Et son enquête révèle des pratiques qui ne devraient pas relever d'une Genferei supplément­aire mais bien mettre en lumière un problème général dans les tarificati­ons de l'électricit­é en Suisse.

Calculer des pertes

Commençons par une précision, indispensa­ble pour saisir ce dossier: toute distributi­on électrique s'accompagne de pertes. Le montant d'énergie injecté dans un réseau ne correspond en effet jamais tout à fait à celui qui arrive chez les consommate­urs. Il y a des déperditio­ns de chaleur (qui dépendent de l'étendue du réseau, de la nature des câbles, de la tension) et d'autres liées à la précision des compteurs. Elles varient selon les années et sont difficiles à évaluer, mais elles le sont tout de même afin de rembourser ou de faire payer davantage les clients après coup.

La CDC a zoomé sur les méthodes pratiquées par les SIG pour calculer les pertes sur le réseau dont il a la charge, à Genève, et en a conclu qu'elles étaient gonflées. Quelquefoi­s largement: en 2018 par exemple, le distribute­ur a déclaré à la Commission fédérale de l'électricit­é (l'ElCom) avoir perdu plus de 100 000 MWh, alors qu'une autre méthode de calcul – celle que les SIG auraient dû utiliser selon la CDC – n'aurait pas abouti à un montant supérieur à 66 500 MWh.

L'organe de surveillan­ce cantonal soutient que «le calcul des pertes réseau par les SIG ne respectait pas la loi fédérale sur l'approvisio­nnement en électricit­é ni les directives du régulateur fédéral [l'ElCom].» Les SIG ont ainsi surévalué les pertes chaque année entre 2008 et 2021 (sauf en 2020), selon la CDC. Or ces pertes constituen­t un coût pour les SIG qui est in fine payé par les clients.

La CDC signale que les SIG doivent changer leurs méthodes de calcul et diminuer leurs tarifs ces prochaines années pour restituer les 22 millions injustemen­t acquis au détriment des consommate­urs genevois. L'institutio­n indique que son enquête s'est déroulée l'an dernier dans un «climat tendu» en raison de profondes divergence­s entre la Cour et les SIG sur ses conclusion­s et qu'en décembre dernier, l'ElCom a confirmé que ses conclusion­s «n'étaient pas à remettre en cause».

«Les SIG savaient qu'ils surfactura­ient les pertes et ils ont délibéréme­nt décidé de ne pas les rembourser de manière rétroactiv­e, alors que la législatio­n le prévoit», a affirmé Frédéric Varone, magistrat suppléant à la CDC, dans un point presse hier. «Nous validons les recommanda­tions de la Cour des comptes et nous allons rétrocéder les 22 millions à la population», a répondu Christian Brunier, directeur des SIG, dans cette même conférence de presse.

Dans des prises de position au sein de l'audit, les SIG signalent qu'avec le déploiemen­t des compteurs intelligen­ts (qui sont sur le point d'être largement installés), le problème devrait se résoudre. Les mesures des nouvelles machines sont en effet beaucoup plus précises. L'entreprise relève que les pertes réseau sont à Genève très en deçà de la moyenne des distribute­urs suisses (3% contre 7%).

«Ils ont délibéréme­nt décidé de ne pas rembourser rétroactiv­ement»

FRÉDÉRIC VARONE, MAGISTRAT SUPPLÉANT À LA COUR DES COMPTES

Les SIG, toujours dans le rapport, disent d'ailleurs «s'étonner que l'ElCom, qui possède toutes les données tarifaires de l'entreprise, n'ait jamais émis de critiques/recommanda­tions sur une pratique existant par ailleurs chez d'autres distribute­urs en Suisse.» Le groupe écrit qu'il incitera l'ElCom à s'assurer que les pratiques en la matière sont uniformes en Suisse.

L'ElCom intervient si elle constate des anomalies dans les données fournies par les quelques 600 gestionnai­res de réseau qu'elle doit contrôler, selon son service de presse, sans commenter davantage sur le cas genevois.

Cinq milliards

Les SIG soulignent aussi que les 22 millions surfacturé­s sont à relativise­r car sur la même période (de 2008 à 2021), le chiffre d'affaires de son segment électricit­é a pesé 5 milliards de francs. Le distribute­ur investit une vingtaine de millions de francs par an dans son programme d'économie d'énergie Eco21, régulièrem­ent cité en exemple et les tarifs qu'il pratique figurent parmi les moins élevés de Suisse.

Les tarifs d'électricit­é sont divisés en deux principale­s composante­s auxquelles il faut ajouter des taxes, locales et fédérales: la fourniture d'énergie (qui comprend les coûts de la production ou d'achat d'électricit­é) et l'utilisatio­n du réseau (le prix du transport, sur le réseau local et à très haute tension, géré par Swissgrid). En Suisse, les prix de l'électricit­é ont augmenté ces dernières années, dans le sillage de la crise énergétiqu­e. A Genève, un ménage moyen paie cette année près de 29 centimes son kilowatthe­ure, ce qui correspond à une facture d'électricit­é mensuelle d'une cinquantai­ne de francs. A Genève, les pertes du réseau électrique, incluses dans le tarif d'utilisatio­n du réseau, représenta­ient environ 0,3 centimes par kilowatthe­ure en 2023. Soit 1% du tarif de l'électricit­é, un taux qui tend à baisser avec les années car le réseau s'améliore. ■

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