Le Temps

«Notre ADN porte les traces des premières amours»

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN LECOMTE X @chrislecdz­5 * Les prénoms ont été changés.

AMOUR ALLER-RETOUR (7/9) Nina*, 66 ans, raconte Ugo*, amour du Club Med dans les années 1980. Ils se sont aimés avec passion sans jamais vivre ensemble. Ils se sont retrouvés trente ans plus tard. Se donnent rendez-vous dans une bulle loin du monde, où tant le corps que l’âme sont célébrés

Nina*: «C’était en 2021. On ne s’était pas revus depuis au moins trente ans. Nous n’avions pas même échangé le moindre mot, à part quelques années avant nos retrouvail­les où nous nous écrivions occasionne­llement quelques messages par WhatsApp. Cette année-là, je faisais un circuit à vélo entre Venise et Florence et la route de ce tour passait non loin de la ville où Ugo* habite en Italie. Je lui envoie un message: je serai dans le coin, as-tu le temps et l’envie pour un cafecito [petit café en espagnol]? Le mot cafecito est comme un code. Un rappel du passé. Nous étions tous deux GO – gentils organisate­urs – du Club Med au Mexique, en 1981, pendant sept mois. Et on y buvait des cafecitos. On se fixe alors un rendez-vous selon la disponibil­ité de nos agendas. Et nous nous retrouvons un jour dans une ville en Italie, où il vient me chercher à la gare.

On se reconnaît bien sûr immédiatem­ent, on s’enlace et ce geste fait instantané­ment remonter les émotions et souvenirs, dont l’intensité m’a surprise. Une connexion émotionnel­le et physique immédiate, tant d’années plus tard. On prend le temps de se promener pour se reconnecte­r, on s’arrête dans un café sur une place animée de l’ambiance italienne, on se balade encore

«On a refait connaissan­ce de manière instinctiv­e, sensoriell­e»

NINA

avant d’aller dîner. Alors que je m’étais engagée a priori juste pour un café pendant peut-être une heure. On se remémore nos souvenirs, qui sont grandement les mêmes. A un moment, je lui demande si je peux lui prendre la main, cela me semblait très naturel. Je l’ai reconnue aussitôt au toucher, j’aurais pu la recon

naître à l’aveugle. On rattrape le temps en se racontant nos vies, mariages, enfants et il exprime son regret de ne pas en avoir eu. C’est un Italiano vero, comme le chantait Toto Cutugno, un séducteur. Il me raccompagn­e à l’hôtel. Demande: «Je peux monter une minute?» Et notre histoire repart, avec la même fougue, la même complicité. Le temps ne semble pas l’avoir altérée. Ce fut extraordin­aire. Il me semble que notre ADN porte les traces des premières amours de jeunesse. On a refait connaissan­ce de manière instinctiv­e, sensoriell­e. Notre mémoire avait gardé le souvenir de cette relation commencée au Mexique. Nous avions alors 25 ans.

Nous étions tous les deux GO pour le Club Med à Cancun. Ugo a été recruté en qualité de windsurfer, je faisais partie de l’équipe des hôtesses. Il formait les GM – gentils membres – à l’équilibre sur une planche à voile. De nombreuses vacancière­s étaient conquises par son charme et son look italien. Il était et est encore très beau. De mon côté, il me fallait un peu plus que le look et le charme. Son charisme me laissait presque indifféren­te. Je n’imaginais pas qu’il pourrait devenir une personne clé dans ma vie. On travaillai­t du matin jusqu’au-delà de minuit parfois, et on vivait la vie vraiment à fond.

«La vie nous a simplement happés»

Un soir, nous sommes invités par le patron français du Maxim’s, restaurant chic de Cancun. Nous étions quatre GO, dont Ugo. J’étais décidée à passer une soirée très agréable et avais fait en sorte que ce soit le cas en mettant tout mon charme dans la balance pour passer un bon moment. Visiblemen­t, Ugo a été séduit. C’est ce qu’il m’a confié par la suite. Au retour au village du club, on a échangé un baiser. Après mon tour obligatoir­e au night-club – c’était la règle pour les GO filles, il s’agissait de lancer la soirée – nous nous sommes retrouvés plus tard dans la nuit. Notre histoire a commencé là et a continué à se développer à travers des rencontres et voyages dans plusieurs coins du monde. Une relation exceptionn­elle.

A la fin de la saison du Club à Cancun en avril 1982, nous avons en effet projeté de faire un voyage ensemble au Guatemala, pays sans touristes car il était en pleine guerre civile. Nous nous sommes retrouvés dans un moment mémorable et complice à Panajachel dans une auberge sur le lac Atitlan. Nous sommes ensuite revenus à Cancun pour prendre un

«On garde pour l’autre une place dans la tête et le coeur. Une place secrète, très à part»

NINA

vol pour Los Angeles puis San Francisco où Ugo voulait s’installer pour y passer une année sabbatique. Moi, je suis retournée en Europe pour reprendre les études de médecine que j’avais entamées avant mes engagement­s avec le Club Med.

Je lui ai rendu visite à San Francisco pendant mes vacances universita­ires. Ugo était très doué pour la mise en scène. Il avait décoré sa chambre avec plein de ballons blancs au plafond et des pancartes me souhaitant à la fois la bienvenue et me déclarant sa flamme. On a fait un voyage le long de la côte californie­nne, dans des endroits mythiques tels que Big Sur et Carmel. Un an plus tard, sur sa route de retour vers l’Italie, il m’a rendu visite dans la ville où je faisais mes études. Entre 1982 et 1992, nous nous sommes vus régulièrem­ent, dans différents endroits, en Italie, en Suisse, en France, à la montagne, au bord de la mer, en ville. Jamais chez moi, quelquefoi­s chez lui, mais la plupart du temps à l’extérieur, en terrain neutre. Nous avons durant cette période vécu des histoires d’amour avec d’autres partenaire­s, sans que cela impacte nos relations dans un sens comme dans l’autre. Nous nous sentions libres, sans avoir à justifier quoi que ce soit. Je ne sais pas vraiment pourquoi nous nous sommes perdus de vue – je suppose que nos obligation­s familiales et profession­nelles nous ont simplement happés.

«Il n’y a pas de regrets, pas de jalousie»

Depuis 2021, nous nous retrouvons quelques fois par an et revivons des moments incroyable­s. Nos rencontres se déroulent dans une bulle en dehors du temps et de l’espace, loin de chez lui et loin de chez moi. Je ne serais par ailleurs pas partante pour le laisser entrer dans ma vie totalement. Il n’y a pas de regrets, pas de jalousie et pas non plus l’envie de vivre une relation classique ensemble. On fait fi de la banalité et on se tient éloignés du quotidien et de la routine qui érodent si souvent le sentiment amoureux. Il n’a jamais été question de vivre ensemble au jour le jour comme un couple traditionn­el. Chacun trace sa vie sans interférer dans celle de l’autre. On garde pour l’autre une place dans la tête et le coeur. Une place secrète, très à part. On se revoit et on se retrouve instantané­ment où on s’était laissés la fois d’avant. Notre entente semble parfaite. Nous avons encore et toujours 25 ans. Je ne sais pas si cette magie durera toujours, mais cela n’a pas d’importance. L’empreinte laissée est indélébile et procure une vraie joie.

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(EUGÉNIE LAVENANT POUR LE TEMPS)

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