Une vie trop courte au service de la paix
CINÉMA Biopic signé Reinaldo Marcus Green, «Bob Marley: One Love» a le mérite de se concentrer sur une courte période, celle qui verra le chanteur enregistrer à Londres le chef-d’oeuvre «Exodus»
Mort d’un cancer de la peau à 36 ans, Bob Marley (1945-1981) est devenu une icône révolutionnaire, une sorte de Che Guevara rasta. Douze ans après Marley, un passionnant et très complet documentaire de Kevin McDonald, voici Bob Marley: One Love, un biopic coproduit par Plan B – maison de production dirigée par Brad Pitt – et les héritiers du chanteur via Tuff Gong, le label qu’il avait lui-même même fondé en 1970. On craignait dès lors l’hagiographie paresseuse tentant simplement d’alimenter la légende, et heureusement le film est plus que cela.
Plutôt que de tenter un portrait évoquant les blessures d’enfance d’un homme qui n’a quasiment pas connu son père anglais pour se terminer sur son combat contre la maladie, le réalisateur américain Reinaldo Marcus Green – qui passe du tennis (La Méthode Williams) au reggae – se concentre sur les années 19761978, période charnière juste entrecoupée de quelques flashback permettant de comprendre l’évolution de la musique de Marley et de sa relation avec son épouse Rita, qui restera son socle malgré ses nombreuses aventures extraconjugales.
Isolé par le succès
Ces trois années s’ouvrent et se ferment sur deux concerts pour la paix. Le 5 décembre 1976, alors que la Jamaïque semble au bord de la guerre civile à l’approche d’élections législatives tendues, Marley – qui prône l’unité entre les peuples – organise l’événement gratuit Smile Jamaica dans le but d’apaiser les tensions. Et il refusera de l’annuler alors que deux jours auparavant il a été victime d’une tentative d’assassinat dont il est sorti quasiment indemne, tandis que Rita échappera miraculeusement à la mort.
Foncièrement apolitique, se réclamant uniquement du mouvement rastafari, il choisit en janvier 1977 de s’exiler à Londres – où on le verra découvrir la contestation sociale et le punk-rock de The Clash – pour éviter toute récupération et se protéger. C’est là qu’il enregistrera Exodus, son chefd’oeuvre, un neuvième album qui fera de lui une star internationale. Sans jamais surligner le récit, Green montre alors comment son succès l’isolera. Tandis qu’il remplit des salles énormes en Europe, devenant un phénomène exotique, cet admirateur d’Haïlé Sélassié, dernier empereur d’Ethiopie, n’a qu’une envie: se produire en Afrique.
Le 22 avril 1978, Marley et ses fidèles Wailers retrouvent la Jamaïque pour clôturer le One Love Peace Concert, qui le voit réunir sur scène deux opposants politiques et achève d’en faire un héros national. Ainsi concentré sur dix-sept mois et construit à partir de témoignages de première main, Bob Marley: One Love a le mérite de laisser suffisamment de place à la musique pour expliquer sa force en montrant sa fabrication. Quant au Londonien Kingsley Ben-Adir, qui a déjà incarné Malcolm X (One Night in Miami…) et Barack Obama (la mini-série The Comey Rule), il s’avère totalement convaincant dès qu’on se concentre sur son jeu et non plus sur sa perruque. La transition entre sa voix et celle du vrai Marley pour les parties chantées est parfaite. ■
Bob Marley: One Love, de Reinaldo Marcus Green (Etats-Unis, 2024), avec Kingsley Ben-Adir, Lashana Lynch, James Norton, Tosin Cole, 1h44.