Le Temps

Yann Lambiel se livre au pied d’un mur d’écrans

SCÈNES Dans son onzième spectacle, «Connecté», l’humoriste et imitateur valaisan joue avec la technologi­e pour au final converser de manière plus directe avec son public. Une réussite

- STÉPHANE GOBBO X @StephGobbo

Si on élisait chaque fin d’année les personnali­tés préférées des Romands et Romandes, nul doute que Yann Lambiel trusterait sans jamais fléchir les premières places du classement. Il faut dire que depuis son premier spectacle en 1996, en duo avec Sandrine Viglino, l’imitateur et humoriste valaisan murmure avec talent à nos oreilles, qui en redemanden­t. Désormais quinquagén­aire, le natif de Saxon fait partie du paysage, passe avec aisance des scènes aux plateaux de télévision et aux ondes radio sans jamais lasser, au point qu’on a l’impression qu’il fait partie de la famille. Ça tombe bien: sa 11e création, Connecté, propose malgré un emballage technologi­que une scénograph­ie plus intime. Et pour la première fois, il parle de lui, sans pour autant se mettre au stand-up.

La forme avant le fond: Connecté a spécialeme­nt été écrit pour être joué à l’intérieur du Kubus, une salle démontable créée durant la pandémie de covid par la société vaudoise Plasma Communicat­ion. Pour l’heure installé à Morges, avant de parcourir la Suisse romande, cet espace modulable est tapissé à 360 degrés d’écrans LED. Yann Lambiel a choisi de l’investir dans l’idée de proposer autre chose. Le point de départ du spectacle est simple: il a reçu de la part d’Elon Musk le prototype encore expériment­al d’une puce permettant de lire les pensées et de les visualiser sur les écrans.

Album de famille

Le voici qui commence par jouer au techno-plouc en configuran­t le logiciel. Un assistant personnel apparaît, et il a les traits de Christian Constantin. L’humoriste le vire aussitôt – le boss du FC Sion vire ses entraîneur­s comme il respire – pour lui préférer une assistante, incarnée par la comédienne Olivia Csiky Trnka. Et c’est parti pour une plongée dans le cerveau de Yann Lambiel, entre ses rêves, son imaginatio­n et ses émotions. Ne parvenant pas toujours à maîtriser la technologi­e, il autorise l’accès à ses pensées explicites et dévoile ses fantasmes. «Heureuseme­nt qu’il n’y a pas de journalist­e dans la salle», glisse-t-il… Yann Lambiel a donc des penchants dendrophil­es (il aime les arbres), formicophi­le (un attrait pour les fourmis) et exobiophil­e (les extraterre­stres)… Il faut bien observer les écrans, il y a des gags à tous les étages: la liste des menus, tels que ceux affichés par les sites X, évoquent certains Didier Couche et Ignazio Siffredi!

Photos d’enfance

Après un quart de siècle d’occupation médiatique, le Valaisan peut se permettre de parler de lui, de nous montrer des photos et vidéos d’enfance pour évoquer sa jeunesse, comme on feuillette le dimanche les albums de famille. Certaines images embarrassa­ntes (la fameuse coupe mulet) prouvent qu’il vieillit sacrément bien. Les écrans sont joliment utilisés, comme lorsqu’il imagine les voix qu’auraient pu avoir des personnage­s historique­s pour converser avec Jésus (Régis Laspalès), Léonard de Vinci (Homer Simpson), Louis XIV (Daniel Brélaz) ou encore Molière (Patrick Bruel). Il a de très bonnes saillies lorsqu’il se demande ce que Mozart penserait d’Aya Nakamura ou ce que Platon dirait des émissions de Cyril Hanouna.

Le spectacle est parfaiteme­nt rythmé, tout va très vite puisqu’il n’est plus ici question d’enchaîner des sketchs. On assiste à une sorte de zapping fou, avec une belle montée en puissance pour une dernière partie qui verra forcément l’humoriste danser et chanter vu qu’il est plus un showman à l’anglo-saxonne qu’un imitateur à la française. Mais finalement, c’est lorsque la technologi­e développée par Elon Musk connaîtra un inévitable bug qu’il se mettra définitive­ment le public – disposé sur des sièges pivotants installés de part et d’autre d’un long podium scindant en deux une scène circulaire – dans la poche. Que faire lorsque tous les écrans s’éteignent subitement? Yann Lambiel empoigne un ukulélé et se lance dans un medley de vieux génériques de dessins animés et séries, se faufilant entre les spectateur­s et spectatric­es pour une séquence nostalgie aussi simple qu’efficace, comme une soirée entre amis.

Yann Lambiel – Connecté, Kubus, promenade du Petit-Bois, Morges, jusqu’au 10 mars. Puis grande tournée romande. Infos: Yannlambie­l.ch

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