Poutine est fier de l’économie russe
Avant l'invasion de l'Ukraine, les pays occidentaux avaient averti Poutine qu'en cas d'attaque, ils imposeraient à la Russie des sanctions comme il n'en avait jamais vu. Il a attaqué, des sanctions spectaculaires ont été décidées, et l'économie russe ne s'est pas effondrée.
D'après le FMI, la croissance du PIB de la Russie en 2023 a été de 3% et serait de 2,6% en 2024. Poutine n'a pas manqué de noter avec fierté que c'est plus que les Etats-Unis (2,5% et 2,1%) et que la zone euro (0,5% et 0,9%). En général, les statistiques fournies par des pays non démocratiques sont sujettes à caution. En période de guerre, elles peuvent faire partie de la propagande mais, faute de mieux, on fait avec ce que l'on a.
Les sanctions sont faites pour être contournées. Après un petit trou d'air (le PIB a baissé de 1,2% en 2022), la Russie a pu maintenir ses ventes de gaz, pétrole et autres matières premières qui représentent l'essentiel de ses exportations. Désormais, quantité de vieux pétroliers, mystérieusement acquis, voguent de par le monde. Les Chinois profitent de rabais, tout comme les Indiens qui sont devenus exportateurs alors qu'ils ne produisent rien de tel. Ne soyez donc pas surpris si l'essence que vous mettez dans votre voiture est en partie d'origine russe, mais vous ne pouvez pas le savoir. Côté importations, la Russie obtient ainsi tous les dollars qu'elle veut pour s'offrir le matériel miitaire dont elle a besoin, sauf que les sanctions sont censées l'en empêcher. Pourtant les Ukrainiens trouvent dans les bombes qui leur tombent dessus des puces électroniques récemment fabriquées aux États-Unis. Au final, les sanctions frappent surtout le Russe moyen. Ainsi MacDonald s'est retiré, après avoir vendu ses restaurants, probablement pour une bouchée de pain, à un entrepreneur qui a fait fortune dans le charbon et le pétrole, donc sans doute un ami du président. Il se dit que ses hamburgers ne sont pas mauvais du tout.
Les Russes s'en sortent donc, mais les chiffres sont trompeurs. Les dépenses militaires ont été multipliées par trois et atteignent 6% du PIB (la norme dans l'OTAN est de 2%). Elles permettent de construire une économie de guerre en poussant le maximum d'entreprises à produire armes et munitions, ce qui explique la croissance économique. Les sanctions limitent les importations, ce qui encourage la production locale. Et comme pétrole et gaz se vendent bien, la croissance est au rendez-vous. Rien d'original, les périodes de guerre sont toujours des périodes d'expansion accélérée. Ce n'est pas un succès économique.
Le revers de la médaille, c'est l'inflation, qui atteint (officiellement) 7%. C'est là le reflet d'une demande qui dépasse l'offre. D'un côté, les généreux salaires versés aux soldats alimentent la consommation, de l'autre, la production d'armements ne parvient pas à satisfaire les commandes. Les entreprises n'arrivent pas à recruter suffisamment de personnel, alors que des centaines de milliers de personnes sont sous les armes et au moins autant ont fui à l'étranger. Au milieu de tout cela, le budget est devenu déficitaire, on ne sait pas trop de combien. Le rouble a perdu un tiers de sa valeur, essentiellement parce que tous ceux qui peuvent faire sortir leurs économies le font.
Ces déséquilibres peuvent durer quelques années parce que la situation de départ était saine, mais pas indéfiniment. Comme pour tous les pays en guerre, le moment de vérité arrive lorsque la guerre s'arrête. L'industrie militaire est stoppée net, les soldats reviennent et ne sont plus payés. La dette publique est devenue importante et doit bien être financée. Après la Première Guerre mondiale, l'Allemagne a connu l'hyperinflation, les Etats-Unis ont vécu la Grande Dépression, la Grande-Bretagne s'est enfoncée dans le déclin et la France a vu le chômage exploser. Les choses se sont un peu mieux passées après la Seconde Guerre mondiale, mais ce ne fut pas une promenade de santé.
La Russie ne sera pas en bonne position pour aborder ce virage. Certes, la gestion prudente de son économie par une équipe compétente au Ministère des finances et à la banque centrale permettra d'éviter une secousse violente. Mais la reconversion de l'industrie d'armement sera difficile car, en dehors de ce secteur, la Russie n'a jamais réussi à développer des entreprises compétitives, alors qu'elle avait accès aux technologies de pointe. Elle s'est cantonnée aux industries extractives. Si les prix du pétrole et le gaz reculent au niveau mondial, il lui sera difficile de se reconstruire. C'est alors que les sanctions, même contournées, produiront un lent déclin économique.
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