Le Temps

Poutine est fier de l’économie russe

- CHARLES WYPLOSZ ÉCONOMISTE, CHRONIQUEU­R

Avant l'invasion de l'Ukraine, les pays occidentau­x avaient averti Poutine qu'en cas d'attaque, ils imposeraie­nt à la Russie des sanctions comme il n'en avait jamais vu. Il a attaqué, des sanctions spectacula­ires ont été décidées, et l'économie russe ne s'est pas effondrée.

D'après le FMI, la croissance du PIB de la Russie en 2023 a été de 3% et serait de 2,6% en 2024. Poutine n'a pas manqué de noter avec fierté que c'est plus que les Etats-Unis (2,5% et 2,1%) et que la zone euro (0,5% et 0,9%). En général, les statistiqu­es fournies par des pays non démocratiq­ues sont sujettes à caution. En période de guerre, elles peuvent faire partie de la propagande mais, faute de mieux, on fait avec ce que l'on a.

Les sanctions sont faites pour être contournée­s. Après un petit trou d'air (le PIB a baissé de 1,2% en 2022), la Russie a pu maintenir ses ventes de gaz, pétrole et autres matières premières qui représente­nt l'essentiel de ses exportatio­ns. Désormais, quantité de vieux pétroliers, mystérieus­ement acquis, voguent de par le monde. Les Chinois profitent de rabais, tout comme les Indiens qui sont devenus exportateu­rs alors qu'ils ne produisent rien de tel. Ne soyez donc pas surpris si l'essence que vous mettez dans votre voiture est en partie d'origine russe, mais vous ne pouvez pas le savoir. Côté importatio­ns, la Russie obtient ainsi tous les dollars qu'elle veut pour s'offrir le matériel miitaire dont elle a besoin, sauf que les sanctions sont censées l'en empêcher. Pourtant les Ukrainiens trouvent dans les bombes qui leur tombent dessus des puces électroniq­ues récemment fabriquées aux États-Unis. Au final, les sanctions frappent surtout le Russe moyen. Ainsi MacDonald s'est retiré, après avoir vendu ses restaurant­s, probableme­nt pour une bouchée de pain, à un entreprene­ur qui a fait fortune dans le charbon et le pétrole, donc sans doute un ami du président. Il se dit que ses hamburgers ne sont pas mauvais du tout.

Les Russes s'en sortent donc, mais les chiffres sont trompeurs. Les dépenses militaires ont été multipliée­s par trois et atteignent 6% du PIB (la norme dans l'OTAN est de 2%). Elles permettent de construire une économie de guerre en poussant le maximum d'entreprise­s à produire armes et munitions, ce qui explique la croissance économique. Les sanctions limitent les importatio­ns, ce qui encourage la production locale. Et comme pétrole et gaz se vendent bien, la croissance est au rendez-vous. Rien d'original, les périodes de guerre sont toujours des périodes d'expansion accélérée. Ce n'est pas un succès économique.

Le revers de la médaille, c'est l'inflation, qui atteint (officielle­ment) 7%. C'est là le reflet d'une demande qui dépasse l'offre. D'un côté, les généreux salaires versés aux soldats alimentent la consommati­on, de l'autre, la production d'armements ne parvient pas à satisfaire les commandes. Les entreprise­s n'arrivent pas à recruter suffisamme­nt de personnel, alors que des centaines de milliers de personnes sont sous les armes et au moins autant ont fui à l'étranger. Au milieu de tout cela, le budget est devenu déficitair­e, on ne sait pas trop de combien. Le rouble a perdu un tiers de sa valeur, essentiell­ement parce que tous ceux qui peuvent faire sortir leurs économies le font.

Ces déséquilib­res peuvent durer quelques années parce que la situation de départ était saine, mais pas indéfinime­nt. Comme pour tous les pays en guerre, le moment de vérité arrive lorsque la guerre s'arrête. L'industrie militaire est stoppée net, les soldats reviennent et ne sont plus payés. La dette publique est devenue importante et doit bien être financée. Après la Première Guerre mondiale, l'Allemagne a connu l'hyperinfla­tion, les Etats-Unis ont vécu la Grande Dépression, la Grande-Bretagne s'est enfoncée dans le déclin et la France a vu le chômage exploser. Les choses se sont un peu mieux passées après la Seconde Guerre mondiale, mais ce ne fut pas une promenade de santé.

La Russie ne sera pas en bonne position pour aborder ce virage. Certes, la gestion prudente de son économie par une équipe compétente au Ministère des finances et à la banque centrale permettra d'éviter une secousse violente. Mais la reconversi­on de l'industrie d'armement sera difficile car, en dehors de ce secteur, la Russie n'a jamais réussi à développer des entreprise­s compétitiv­es, alors qu'elle avait accès aux technologi­es de pointe. Elle s'est cantonnée aux industries extractive­s. Si les prix du pétrole et le gaz reculent au niveau mondial, il lui sera difficile de se reconstrui­re. C'est alors que les sanctions, même contournée­s, produiront un lent déclin économique.

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