Les drones maudits de l’armée suisse
Le Conseil fédéral a approuvé des crédits de 4,2 milliards de francs destinés à l’acquisition de matériel militaire. L’occasion de se rappeler que de tels achats sont parfois compliqués: approuvés en 2015, les outils de surveillance attendent toujours leu
Alors que le Conseil fédéral soumettait ce mercredi au parlement un nouveau «message sur l’armée 2024», il est un projet d’acquisition de matériel militaire dont le gouvernement espère vraisemblablement que ne ressembleront aucun achat futur: celui des Hermes 900 (désormais appelés ADS 15 par Armasuisse). Commandés en 2015, les six drones israéliens auraient dû compléter leurs premières missions en 2019… las. Le Département de la défense (DDPS) évoque aujourd’hui une mise en service complète en 2026, si tout va bien. Problèmes techniques, géopolitiques, guerre au Proche-Orient: le dossier vogue de problèmes en déconvenues. Les aéronefs étaient pourtant considérés comme présentant «le meilleur résultat global sur la base de tous les critères d’évaluation». Comme les chasseurs F-35.
Séances entre Suisses et Israéliens
Juin 2015: le Conseil national débat du programme d’armement annuel, qui contient l’achat des six Hermes 900. Deux visions s’opposent: le camp bourgeois défend l’excellence technique de ces appareils sans pilote, souligne qu’après l’échec dans les urnes de l’avion Gripen (2014), dont la qualité de «seconde zone» pourrait avoir eu une influence sur le refus, il est plus avisé d’investir dans le meilleur du meilleur. Et balaie les risques liés à l’achat de matériel à l’entreprise israélienne Elbit, connue pour fournir des outils de surveillance du mur construit à la frontière avec la Cisjordanie, jugé contraire au droit international par l’ONU. La gauche, elle, fustige le prix de ces drones – environ 300 millions de francs tout compris –, estime que la situation géopolitique pose problème et souligne qu’il serait préférable d’acheter européen. Un autre problème est pointé du doigt: le système destiné à détecter les autres aéronefs dans l’espace aérien suisse (Sense and Avoid, SAA) doit encore être développé, ce qui représente un risque technique «moyen», dixit le message remis aux parlementaires sur la question. Après un très long débat, le projet est accepté. Les problèmes commencent.
En 2017, première alerte politique: des représentants suisses en Israël survolent en drone le plateau annexé du Golan, non reconnu par la Suisse. Le Département de la défense regrette «un dysfonctionnement dans la communication». En 2019, le Contrôle fédéral des finances commence également à douter, soulignant «le risque d’externalisation de prestations à un fournisseur israélien» et le «manque d’une présentation critique de variantes et alternatives au système». Mais, cette même année, un premier Hermes 900 est livré en Suisse (sans être autorisé à voler… du moins brièvement). En 2021, un autre drone destiné à Berne s’écrase en effet dans un désert de l’Etat hébreu à cause de «vibrations» – et le premier appareil arrivé dans les Alpes doit retourner en Israël pour des modifications. Deux appareils sont, pour finir, livrés de nouveau à Berne en 2022 et l’année suivante trois drones sur six sont stationnés à la base d’Emmen (LU)… Mais un nouvel incident survenu en Suisse lors d’un essai en avril cloue la flotte au sol jusqu’à fin mai. Puis c’est le scénario du pire.
Les priorités changent
Automne 2023: le Proche-Orient s’embrase, et les priorités d’Israël changent. Fin décembre, le DDPS annonce la chose suivante: «Dans le contexte des problèmes techniques survenus au printemps 2023 et en particulier de la situation volatile au Proche-Orient, Armasuisse a convenu avec Elbit Systems Ltd de prolonger le projet de deux ans, jusqu’à fin 2026» – comprenez de retarder le projet de deux ans. Des «pénalités» sont prévues dans le cas où le fournisseur israélien «n’est pas en mesure de fournir à temps les prestations convenues», précise Armasuisse, qui refuse de donner des détails sur ce que cela signifie concrètement. Tout au plus sait-on que Suisses et Israéliens se voient désormais chaque semaine «en ligne» pour parler du projet. Le logiciel SAA, évoqué en 2015 comme risque «moyen» par le parlement, fait peut-être partie des conversations. Développé conjointement par Ruag et Elbit, le système anticollision devait être homologué «en 2024», dixit Armasuisse en 2022. Mais l’Office fédéral de l’armement indique ce jeudi que cette certification est repoussée «à une date ultérieure». Sans elle, les drones ne peuvent malheureusement que voler «de jour», «dans un espace aérien contrôlé» et «accompagnés d’un autre avion». Pas exactement ce qu’on attend d’eux.■