Le Temps

Alejandro Mayorkas, tête de turc des républicai­ns

La Chambre basse a voté l’inculpatio­n du secrétaire à la Sécurité intérieure chargé de l’immigratio­n. En cause: sa gestion de la situation à la frontière avec le Mexique. Une procédure qui n’a presque aucune chance d’aboutir à sa destitutio­n au Sénat

- LÉO TICHELLI, SAN FRANCISCO @TichelliL

La deuxième fois aura été la bonne pour les républicai­ns. Grâce à une infime majorité, 214 voix contre 213, ils sont parvenus à voter en faveur de l’inculpatio­n (impeachmen­t, en anglais) d’Alejandro Mayorkas, secrétaire à la Sécurité intérieure. A la Chambre basse du Congrès, mardi soir, l’heure était à l’autocongra­tulation au Grand Old Party. A l’origine de cette procédure de destitutio­n, la sulfureuse élue de Géorgie Marjorie Taylor Greene, tout sourire, accolades et selfies avec ses collègues à la clé. L’événement est historique: c’est seulement le second membre de cabinet de l’histoire de la politique américaine à être impeached. Il faut remonter plus de 150 ans en arrière pour retrouver trace d’une telle procédure avec l’inculpatio­n du secrétaire à la Guerre William Belknap en 1876.

La joie risque cependant d’être de courte durée. La droite jouait en terrain conquis à la Chambre des représenta­nts. Au Sénat, où les démocrates possèdent la majorité, cette procédure n’a aucune chance d’aboutir à la destitutio­n du ministre de Joe Biden. Il faut dire qu’il a déjà fallu aux républicai­ns une seconde tentative pour faire passer cette mise en accusation, certains de leurs représenta­nts ayant fait défection, comme ça a encore été le cas cette nuit. Trois des leurs ont en effet fait bande à part pour se rallier au non des démocrates. Alors, pourquoi tant d’acharnemen­t sur Alejandro Mayorkas?

«Refus délibéré de se conformer à la loi»

Pour commencer, il convient de s’intéresser à son parcours et à son profil. Né à La Havane en 1959, Alejandro Mayorkas est arrivé aux Etats-Unis avec sa famille en tant que réfugié politique. Devenu le plus jeune procureur du pays en 1998, il rejoint le Ministère de la sécurité intérieure sous l’administra­tion Obama. De 2009 à 2013, il est directeur des services de citoyennet­é et d’immigratio­n des Etats-Unis, puis secrétaire adjoint du ministère entre 2013 et 2016, et est confirmé à son poste en 2021 par l’administra­tion Biden, précise la chaîne CBS News. Il est le premier Latino-Américain et premier immigrant à occuper ce poste.

L’homme est dans le viseur du Grand Old Party depuis début 2022 et ce premier pas vers une destitutio­n est l’aboutissem­ent de plus d’une année d’enquête menée par la Commission sur la sécurité intérieure. Mais que lui reprochet-on, au juste?

En bref, comme mentionné dans les deux articles traitant de son impeachmen­t, Alejandro Mayorkas est accusé de «refus délibéré et systémique de se conformer à la loi» et de «violation de la confiance publique». «En grande partie à cause de sa conduite illégale, des millions d’étrangers sont entrés illégaleme­nt aux Etats-Unis chaque année et beaucoup d’entre eux sont restés illégaleme­nt aux Etats-Unis. […] Son refus d’obéir à la loi n’est pas seulement une infraction à la séparation des pouvoirs […], il menace également notre sécurité nationale et a eu un impact désastreux sur les communauté­s à travers le pays», poursuit le texte.

«Partisaner­ie inconstitu­tionnelle»

Le Wall Street Journal détaille encore les reproches qui lui sont adressés, précisant qu’«il a abusé de la loi […] et a supervisé plus de 1,7 million de libération­s conditionn­elles. […] Il a [également] ordonné que la présence illégale dans le pays ne soit plus un motif suffisant d’expulsion et que les condamnati­ons pénales ne suffisent pas à elles seules à justifier une arrestatio­n.»

Ceci alors que les républicai­ns reprochent justement à l’administra­tion Biden un profond laxisme à propos de l’immigratio­n. Le service des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis constate néanmoins ces derniers mois une très nette baisse du nombre de tentatives d’entrées illégales dans le pays. Les autorités en dénombraie­nt 301 983 en décembre 2023, contre 176 205 en janvier 2024. A noter néanmoins que les chiffres sont traditionn­ellement bas chaque début d’année, en raison des conditions météorolog­iques défavorabl­es.

Joe Biden s’est empressé de réagir à cet impeachmen­t, déclarant qu’il s’agissait là d’un «acte flagrant de politique politicien­ne» et «de partisaner­ie inconstitu­tionnelle», mentionnan­t également le passé d’immigrant d’Alejandro Mayorkas. Il a aussi accusé les républicai­ns d’avoir récemment torpillé un compromis pour freiner l’afflux de migrants à la frontière mexicaine, abandonnan­t ainsi «les vraies solutions au moment où elles sont le plus nécessaire­s». La procédure de destitutio­n visant Alejandro Mayorkas suit désormais son cours et les articles de l’impeachmen­t seront présentés au Sénat une fois que les élus seront de retour à Washington, la Chambre haute ne siégeant pas cette semaine.

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