Le Temps

L’IA, possible arme contre le blanchimen­t d’argent

Le secteur bancaire n’échappe pas à la déferlante de l’intelligen­ce artificiel­le. Une équipe tessinoise a mis au point un logiciel permettant au secteur bancaire de mieux observer les règles de conformité

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, LOCARNO

La lutte contre le blanchimen­t d'argent représente l'une des principale­s clés pour contrer l'essor fulgurant des organisati­ons mafieuses liées au trafic de drogue en Europe. C'est ce que signalait cette semaine encore un expert dans l'émission Tout un monde sur la RTS. Face à cet enjeu crucial, les milieux bancaires et sécuritair­es n'ont pas attendu l'apparition de ChatGPT pour percevoir l'intérêt de l'intelligen­ce artificiel­le (IA) quand il s'agit de passer au crible les transactio­ns financière­s et les clients afin de détecter des cas suspects.

En collaborat­ion avec les entreprise­s tessinoise­s Cube Finance et Quantum Bit Technology (QBT), l'Institut des systèmes d'informatio­n et des réseaux (ISIN) de la Haute Ecole spécialisé­e de la Suisse italienne (Supsi) a développé FinVa, pour Financial Intelligen­t Virtual Assistant. Cet assistant financier virtuel doit aider les établissem­ents financiers à mieux lutter contre le blanchimen­t d'argent tout en économisan­t des ressources.

«L'applicatio­n des règles de compliance [conformité, ndlr] représente un processus qui coûte très cher aux banques; des dizaines de milliards de francs par année.

Et le contrôle de données correspond à une part importante de cette somme», fait valoir Stefano Zanchetta, directeur général de Cube Finance, une société qui fournit des outils logiciels au secteur financier.

Identifier les profils à risques

La solution mise au point ne présente pas seulement un intérêt financier puisqu'elle accélère aussi les processus, grâce à son intelligen­ce avancée basée sur des algorithme­s d'apprentiss­age automatiqu­e (machine learning). FinVa a été créée pour identifier et évaluer de nouveaux profils de risque en matière de blanchimen­t d'argent. «Il s'agit d'un logiciel qui est intégré dans le système déjà existant au sein de l'institut bancaire, qui permet d'analyser les données du client et d'obtenir des informatio­ns à son sujet en continu», détaille l'expert. L'interface graphique avec laquelle interagit l'opérateur financier en employant FinVa est une applicatio­n web. «Le principe est le même que si vous consultez le site d'un service téléphoniq­ue, par exemple; seulement ici, il est adapté à un contexte beaucoup plus complexe», précise Federico Cecconi, chef du R&D chez QBT qui développe des algorithme­s et des logiciels de calcul notamment pour les fintechs.

Soutenu par Innosuisse – l'agence fédérale pour l'innovation –, le projet a été lancé en avril 2022 et touche à sa fin, signale Michela Papandrea, professeur­e et chercheuse à l'ISIN, au départemen­t des technologi­es innovantes de la Supsi. «La plateforme est en fonction, nous sommes actuelleme­nt en phase de recueil de retour des utilisateu­rs pour éventuelle­ment améliorer leur expérience et optimiser les modèles d'apprentiss­age automatiqu­e.» Elle rappelle que les logiciels traditionn­ellement employés dans la lutte contre le blanchimen­t d'argent consistent en l'analyse de big data (l'applicatio­n d'algorithme­s sophistiqu­és pour détecter dans les données des schémas comporteme­ntaux inhabituel­s); la surveillan­ce des transactio­ns anormales et des audits continus, dès l'accueil du client et pendant toute la durée du contrat, pour garantir la conformité réglementa­ire.

De nouveaux suspects

FinVa – «qui ne se substitue pas à l'opérateur financier, mais l'équipe d'outils supplément­aires» – ne se contente pas de repérer des comporteme­nts suspects déjà connus; la plateforme examine le contexte environnan­t de chaque transactio­n, ce qui permet d'identifier de nouveaux profils de risque et une évaluation plus précise et plus détaillée, explique Stefano Zanchetta. «Il est capable de réduire significat­ivement les «faux positifs» [des cas identifiés par erreur, ndlr], de prédire les niveaux de risques par rapport aux profils et de les quantifier», ajoute Michela Papandrea.

Transforme­r les connaissan­ces d'experts en algorithme­s, en décrivant des procédures minutieuse­s de façon très explicite, et mener les processus d'entraîneme­nt des modèles ont été des défis de taille, confie Federico Cecconi. «Nous avions besoin d'un très grand nombre de données, des milliards, pour entraîner les modèles. Nous avons utilisé des données réelles – des connaissan­ces d'experts du domaine, des données spécifique­s à l'institutio­n financière et des informatio­ns globales – et des données synthétiqu­es que nous avons générées.» Avant de lancer le produit, l'équipe cherche un institut financier intéressé à tester FinVa dans le cadre d'un projet pilote.

Dans le secteur bancaire, l'intérêt potentiel pour le projet se fait sentir. Spécialist­e légale à l'Associatio­n suisse des banquiers (ASB), Natalie Graf souligne que lutter efficaceme­nt contre le blanchimen­t d'argent et le financemen­t du terrorisme est essentiel pour l'intégrité de la place financière suisse. «L'utilisatio­n de systèmes basés sur l'IA dans ce domaine ouvre des possibilit­és prometteus­es afin d'organiser les processus exigés par la loi de manière encore plus durable et plus performant­e», affirme-t-elle.

Elle souligne que leur utilisatio­n est toutefois liée à des défis et des risques, notamment dans le domaine de la protection des données et de la personnali­té dont il faut impérative­ment tenir compte. Avant de rappeler le rôle essentiel de l'être humain dans ces processus: «Il est par ailleurs essentiel que les décisions continuent d'incomber aux collaborat­rices et collaborat­eurs de la banque qui en ont la charge, même en cas d'utilisatio­n de tels systèmes.»

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