L’IA, possible arme contre le blanchiment d’argent
Le secteur bancaire n’échappe pas à la déferlante de l’intelligence artificielle. Une équipe tessinoise a mis au point un logiciel permettant au secteur bancaire de mieux observer les règles de conformité
La lutte contre le blanchiment d'argent représente l'une des principales clés pour contrer l'essor fulgurant des organisations mafieuses liées au trafic de drogue en Europe. C'est ce que signalait cette semaine encore un expert dans l'émission Tout un monde sur la RTS. Face à cet enjeu crucial, les milieux bancaires et sécuritaires n'ont pas attendu l'apparition de ChatGPT pour percevoir l'intérêt de l'intelligence artificielle (IA) quand il s'agit de passer au crible les transactions financières et les clients afin de détecter des cas suspects.
En collaboration avec les entreprises tessinoises Cube Finance et Quantum Bit Technology (QBT), l'Institut des systèmes d'information et des réseaux (ISIN) de la Haute Ecole spécialisée de la Suisse italienne (Supsi) a développé FinVa, pour Financial Intelligent Virtual Assistant. Cet assistant financier virtuel doit aider les établissements financiers à mieux lutter contre le blanchiment d'argent tout en économisant des ressources.
«L'application des règles de compliance [conformité, ndlr] représente un processus qui coûte très cher aux banques; des dizaines de milliards de francs par année.
Et le contrôle de données correspond à une part importante de cette somme», fait valoir Stefano Zanchetta, directeur général de Cube Finance, une société qui fournit des outils logiciels au secteur financier.
Identifier les profils à risques
La solution mise au point ne présente pas seulement un intérêt financier puisqu'elle accélère aussi les processus, grâce à son intelligence avancée basée sur des algorithmes d'apprentissage automatique (machine learning). FinVa a été créée pour identifier et évaluer de nouveaux profils de risque en matière de blanchiment d'argent. «Il s'agit d'un logiciel qui est intégré dans le système déjà existant au sein de l'institut bancaire, qui permet d'analyser les données du client et d'obtenir des informations à son sujet en continu», détaille l'expert. L'interface graphique avec laquelle interagit l'opérateur financier en employant FinVa est une application web. «Le principe est le même que si vous consultez le site d'un service téléphonique, par exemple; seulement ici, il est adapté à un contexte beaucoup plus complexe», précise Federico Cecconi, chef du R&D chez QBT qui développe des algorithmes et des logiciels de calcul notamment pour les fintechs.
Soutenu par Innosuisse – l'agence fédérale pour l'innovation –, le projet a été lancé en avril 2022 et touche à sa fin, signale Michela Papandrea, professeure et chercheuse à l'ISIN, au département des technologies innovantes de la Supsi. «La plateforme est en fonction, nous sommes actuellement en phase de recueil de retour des utilisateurs pour éventuellement améliorer leur expérience et optimiser les modèles d'apprentissage automatique.» Elle rappelle que les logiciels traditionnellement employés dans la lutte contre le blanchiment d'argent consistent en l'analyse de big data (l'application d'algorithmes sophistiqués pour détecter dans les données des schémas comportementaux inhabituels); la surveillance des transactions anormales et des audits continus, dès l'accueil du client et pendant toute la durée du contrat, pour garantir la conformité réglementaire.
De nouveaux suspects
FinVa – «qui ne se substitue pas à l'opérateur financier, mais l'équipe d'outils supplémentaires» – ne se contente pas de repérer des comportements suspects déjà connus; la plateforme examine le contexte environnant de chaque transaction, ce qui permet d'identifier de nouveaux profils de risque et une évaluation plus précise et plus détaillée, explique Stefano Zanchetta. «Il est capable de réduire significativement les «faux positifs» [des cas identifiés par erreur, ndlr], de prédire les niveaux de risques par rapport aux profils et de les quantifier», ajoute Michela Papandrea.
Transformer les connaissances d'experts en algorithmes, en décrivant des procédures minutieuses de façon très explicite, et mener les processus d'entraînement des modèles ont été des défis de taille, confie Federico Cecconi. «Nous avions besoin d'un très grand nombre de données, des milliards, pour entraîner les modèles. Nous avons utilisé des données réelles – des connaissances d'experts du domaine, des données spécifiques à l'institution financière et des informations globales – et des données synthétiques que nous avons générées.» Avant de lancer le produit, l'équipe cherche un institut financier intéressé à tester FinVa dans le cadre d'un projet pilote.
Dans le secteur bancaire, l'intérêt potentiel pour le projet se fait sentir. Spécialiste légale à l'Association suisse des banquiers (ASB), Natalie Graf souligne que lutter efficacement contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme est essentiel pour l'intégrité de la place financière suisse. «L'utilisation de systèmes basés sur l'IA dans ce domaine ouvre des possibilités prometteuses afin d'organiser les processus exigés par la loi de manière encore plus durable et plus performante», affirme-t-elle.
Elle souligne que leur utilisation est toutefois liée à des défis et des risques, notamment dans le domaine de la protection des données et de la personnalité dont il faut impérativement tenir compte. Avant de rappeler le rôle essentiel de l'être humain dans ces processus: «Il est par ailleurs essentiel que les décisions continuent d'incomber aux collaboratrices et collaborateurs de la banque qui en ont la charge, même en cas d'utilisation de tels systèmes.»
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