Le Temps

A quand plus de jeunes en championna­t?

-

C’est une réalité observable dans plusieurs championna­ts majeurs: le nombre de jeunes joueurs a considérab­lement augmenté dans les contingent­s des meilleures équipes. Bénéfician­t d’une formation toujours plus précoce et pointue conduite par des entraîneur­s, préparateu­rs physiques et mentaux toujours mieux préparés, ces jeunes bousculent les certitudes de jadis où la plénitude d’un joueur était attendue vers 28-30 ans. Ce rajeunisse­ment des rangs et des titularisa­tions est une bonne nouvelle pour le football et contribue à son progrès spectacula­ire. Bousculés, des trentenair­es comme Toni Kroos, Harry Kane ou Mohamed Salah s’améliorent encore. C’est un phénomène à large échelle qui concerne aussi des pays plutôt conservate­urs comme l’Italie, où les entraîneur­s n’hésitent plus désormais à lancer un jeune joueur, y compris comme titulaire. Et en Suisse? Chaque journée de championna­t a son lot de nouveaux jeunes joueurs alignés mais nous sommes assez frileux en comparaiso­n européenne.

Obligation de jouer?

Le récent rapport mensuel de l’Observatoi­re du football CIES présente les «30 meilleures promesses» nées en 2003 par poste de jeu. Avec 17 footballeu­rs, la Liga espagnole est le championna­t le plus représenté, suivie par l’Eredivisie néerlandai­se, la Pro League belge et la MLS aux EtatsUnis et au Canada (16 joueurs dans ces trois cas). La Super League ne présente que neuf joueurs dans ce classement, bien loin des résultats des clubs belges ou hollandais, aux moyens pourtant comparable­s aux nôtres.

Des chiffres qui illustrent la réalité de notre pays. En Suisse, la popularité du ski alpin et du hockey sur glace dépasse depuis toujours celle du football. Même l’apport de l’émigration pluricultu­relle n’a pas permis de rattraper les sports hivernaux. Le discours ne peut être quantitati­f mais il doit être qualitatif et nous pourrions faire mieux.

Pour favoriser l’accès des jeunes au plus haut niveau, une solution simple pourtant existerait: introduire un règlement qui oblige les clubs de Super League à aligner régulièrem­ent leurs jeunes. Les cinq changement­s autorisés à la suite de la pandémie (plus que par une réflexion technique…) offrent une occasion quasi inespérée pour introduire une telle règle. Parmi les 20-25 joueurs d’un contingent présent sur la feuille de match, cinq pourraient être des jeunes joueurs au passeport suisse et au moins deux de ces joueurs devraient être alignés. Pour cela, ils s’entraînera­ient à temps plein avec la première équipe, une contrainte relativeme­nt faible et qui déjà aujourd’hui est facilement réalisable. Ce serait un message fort aux dirigeants et aux technicien­s, mais aussi à un autre acteur omniprésen­t dans le football moderne: l’agent de joueurs. Toujours à la recherche d’une bonne affaire, ces agents se verraient ouvrir les portes du marché suisse. Une aubaine qui aurait aussi l’avantage de tranquilli­ser les familles, le jeune lui-même et les médias, toujours sensibles au fait maison. Tous ensemble, règlement, acteurs du football, entourage familial, agents et presse contribuer­aient à la promotion du jeune footballeu­r au passeport suisse.

Aller vite sans brûler les étapes

Le progrès doit aussi venir des directives de notre associatio­n nationale. Sur le site de l’ASF, on peut lire: «Objectif de la formation: favoriser les vrais talents et non ceux qui nous assurent un succès à court terme.» Excellents propos auxquels tous les acteurs de la formation devraient adhérer. Mais l’ensemble des directives pour la formation des jeunes sont présentées dans un langage administra­tif plutôt ennuyeux. Dommage. Dans un pays aux dimensions réduites et aux moyens financiers élevés, la voie à suivre est celle de notre football féminin et son football-études de Bienne. On peut parier que les familles de ces filles sont rassurées quant à la prise en charge de leurs enfants.

Existe-t-il la même formule pour les garçons? On peut en douter car la présence des agents est beaucoup plus précoce et tangible. En anticipant le départ à l’étranger du jeune talent, on risque souvent de brûler les étapes de la formation et le succès de cette démarche n’est pas garanti. Etre le meilleur à 14 ans n’est pas – et de loin – une promesse de succès pour le futur, mais l’être à 18 ans offre déjà beaucoup plus de garanties.

Malgré une formation louée comme une des meilleures du monde, nombreux sont les jeunes Suisses qui jouent à l’étranger, souvent dans des championna­ts de troisième ou quatrième zone, ce qui n’est probableme­nt pas un choix judicieux. Dernièreme­nt, nous avons pu lire des articles signalant des talents locaux très prometteur­s dont la moitié ou plus se trouvent déjà à l’étranger avant d’avoir 20 ans. Souhaitons à ces jeunes de réussir leur carrière malgré tout, pour eux et pour notre Nati.

 ?? LUCIO BIZZINI, ANCIEN FOOTBALLEU­R ET PSYCHOTHÉR­APEUTE ??
LUCIO BIZZINI, ANCIEN FOOTBALLEU­R ET PSYCHOTHÉR­APEUTE

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland