Le Temps

Victime du cynisme de Poutine

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Il était enfermé dans l’une des pires prisons de Russie, au-delà du cercle arctique. Alexeï Navalny avait beau avoir en partie disparu des radars, sa mort a provoqué une onde de choc. Pour nombre d’opposants au régime de Vladimir Poutine, il incarnait encore un maigre espoir de résistance au Kremlin qui, depuis l’invasion russe menée en Ukraine, a écrasé les libertés et les droits humains.

Même si les Occidentau­x se sont sans doute trompés sur le pedigree du plus célèbre détenu de Russie, qui, malgré sa féroce opposition à Vladimir Poutine, restait très nationalis­te, Alexeï Navalny a démontré le courage de celui qui pensait pouvoir transforme­r un jour son pays. En retournant en Russie, il espérait, explique l’écrivain Victor Chenderovi­tch, soulever la société civile contre un pouvoir qu’il jugeait corrompu. Mais il a sous-estimé le cynisme du système Poutine.

Sa mort rappelle d’autres figures russes assassinée­s parce qu’elles s’étaient battues pour une Russie libérale: Alexander Litvinenko, Anna Politkovsk­aïa ou encore Boris Nemtsov. Elle envoie un signal préoccupan­t à un autre opposant, Vladimir KaraMourza, condamné à 25 ans de prison pour des crimes imaginaire­s.

A un mois d’une présidenti­elle russe par laquelle Vladimir Poutine est assuré d’être reconduit à la tête de l’Etat pour un cinquième mandat, le meurtre – pour reprendre les propos du Prix Nobel de la paix Dmitri Mouratov – d’Alexeï Navalny inquiète ceux qui voyaient en lui une ressource psychologi­que, l’un des derniers remparts à l’autocratie poutinienn­e. La fermeture forcée de l’ONG Memorial, qui avait mené un extraordin­aire travail sur les crimes du stalinisme, en dit long sur un Kremlin qui a réhabilité le Petit Père des peuples. Avec la mort de Navalny, le poutinisme est une nouvelle fois sur la sellette, mais avec la réélection du maître du Kremlin, il a encore de beaux jours devant lui. En Ukraine, en particulie­r à Avdiivka, les affaires vont très mal pour les forces ukrainienn­es. En Europe, les thuriférai­res de Poutine ont le vent en poupe au sein des partis d’extrême droite – qui bénéficien­t pour la plupart, du soutien de Moscou.

Mépriser et éliminer les voix dissidente­s ne font pas une politique. La Russie connaît certes une légère embellie, mais elle n’a jamais réformé son économie, tributaire de la seule rente pétrolière et gazière. Sa puissance, aujourd’hui, ce n’est certaineme­nt pas son PIB (qui équivaut à celui de l’Espagne), mais son arsenal nucléaire (le plus important du monde) et le sentiment que sa brutalité ne rencontrer­a aucune résistance. Sur la place des Nations, vendredi à Genève, les partisans de l’organisati­on Russie du futur sont venus dire «stop à Poutine». Ils ont crié leur colère et désespoir. Les démocratie­s doivent les entendre et appliquer la devise de Navalny: ne jamais avoir peur de contrer les plans de l’autocrate de Moscou. ■

Navalny a démontré le courage de celui qui pensait pouvoir transforme­r un jour son pays

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