Le Temps

En Ukraine, l’agonie d’Avdiivka

La ville est en partie encerclée par les forces russes. La 3e brigade envoyée en renfort se trouve, elle aussi, en difficulté. Les médecins militaires parlent de pertes innombrabl­es. La colère contre l’étatmajor monte

- BORIS MABILLARD, RÉGION D’AVDIIVKA

«Oiseau», un nom de guerre, ne prête aucune attention aux déflagrati­ons qui font trembler les murs de la petite épicerie, l'une des deux ouvertes dans le même bâtiment, indemne, hormis les fenêtres brisées et les murs lacérés. «Des arrivées», commente-t-il simplement pour désigner les obus tirés par les Russes sur les positions ukrainienn­es. Une explosion lointaine mais assourdiss­ante secoue le bâtiment. Son auvent de métal résonne en ondulant. «Ils tirent sur les positions d'artillerie des alentours, sur les villages aussi.» En face, un énorme cratère a mangé ce qui devait être un bâtiment officiel et quelques mètres plus loin, les maisons sont éventrées. «Mais c'est bien pire là-bas, poursuit-il, à Avdiivka: une boucherie effroyable, des blessés en grand nombre. Et je ne vois que ceux que nous avons pu évacuer. Il y en a d'autres, qui sont prisonnier­s des décombres ou rendus inaccessib­les à cause des tirs ennemis.»

Le dernier passage pour fuir Avdiivka, ou s'y rendre – mais qui voudrait? – longe les champs et les fossés, à moins de trois kilomètres des positions russes. Le chemin agricole est envahi par la boue et creusé d'ornières.

Un va-et-vient de chars d'assaut, de blindés légers et d'ambulances militaires fait l'unique trafic. C'est l'itinéraire que suit Oiseau à bord de son ambulance pour rejoindre Orlivka, le dernier village avant la cokerie d'Avdiivka. Là, il prend en charge les blessés en urgence vitale que les blindés d'évacuation brinquebal­ent depuis les premières lignes. «On doit faire vite à Orlivka, c'est périlleux, lance Oiseau, un vétérinair­e promu chirurgien de guerre. Les drones russes suivent les mouvements de nos blindés. Un arrêt prolongé et les artilleurs ennemis font un carton sur nous.»

Tirs à bout portant, combats au corps à corps

Orlivka n'est plus qu'un amas de ruines, aucune maison n'y a résisté. Les militaires qui y maintenaie­nt des positions ont aussi déguerpi: signe que l'état-major prépare un grand repli. D'une position surélevée, on distingue les cheminées industriel­les de l'usine et les fumées qui montent au ciel à chaque explosion. Le chaudron d'Avdiivka n'est plus relié à l'Ukraine libre que par une fragile ligne de vie, sous le feu des artilleurs russes et la menace mortelle des drones kamikazes. «C'est la roulette russe à chaque traversée, décrit Oiseau, même à l'intérieur d'un blindé. Nous ne pouvons pas nous y risquer avec cette ambulance tout-terrain mais sans blindage. Orlivka est notre limite.»

La plupart des blessures sont désormais des blessures par balles, explique un jeune chirurgien attaché à la 3e brigade. «Ils souffrent de blessures terribles, aux membres, au ventre à travers les gilets pare-balles, ou même au cou et au visage, a-t-il constaté. C'est la mêlée. Nos camarades se battent désormais presque au corps à corps avec les Russes. Ils ont d'abord envoyé de la chair à canon sur nos positions, pour déterminer nos positions puis ils ont envoyé les forces spéciales.»

«C’est la roulette russe à chaque traversée» OISEAU, CHIRURGIEN DE GUERRE

L'unité d'Oiseau dépend du service de l'intelligen­ce militaire, le GUR. «Nous avons été envoyés ici pour une mission éclair d'un ou deux jours, déclare-t-il. Mais je suis ici depuis cinq jours et je ne sais pas quand cela se terminera.» Vétérinair­e de métier, il a immédiatem­ent été promu chirurgien de guerre lorsque, il y a six mois, il a décidé de rejoindre l'armée. Il n'en pouvait plus de rester à l'arrière, les bras ballants, alors que d'autres se battent de toutes leurs forces pour sauver l'Ukraine. «J'ai quatre fils en bas âge, raconte-t-il, et mon épouse est handicapée à la suite d'un accident de voiture. Je ne suis donc pas éligible à la conscripti­on. Mais j'ai décidé de m'engager dans l'armée. C'est mon choix. Je veux pouvoir regarder mes enfants sans rougir. J'espère aussi qu'eux n'auront pas à voir les horreurs auxquelles je suis confronté ici.»

Les appels à l’aide des blessés encerclés

Sur la piste, les blindés de transport de troupes et d'évacuation, les M113, se succèdent à toute vitesse et croisent dans un boucan d'enfer les tanks, les Humvee et les canons automoteur­s. Dans les fourrés, les artilleurs planqués répliquent aux tirs russes à grands fracas de détonation­s. Sur une butte voisine, des Caesar français font feu sur les positions

 ?? (14 FÉVRIER 2024/ HANDOUT/ ARMED FORCES OF UKRAINE/AFP) ?? Le ministre ukrainien de la Défense, Roustem Oumierov (à gauche) et le commandant en chef des forces armées ukrainienn­es, Oleksandr Syrsky (2e à gauche).
(14 FÉVRIER 2024/ HANDOUT/ ARMED FORCES OF UKRAINE/AFP) Le ministre ukrainien de la Défense, Roustem Oumierov (à gauche) et le commandant en chef des forces armées ukrainienn­es, Oleksandr Syrsky (2e à gauche).

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