Le Temps

Les visites de Zelensky mettent en lumière un différend entre Paris et Berlin

- PAUL ACKERMANN, PARIS @paulac

L’aide militaire française ne s’élèverait qu’à quelques pourcent de celle apportée par l’Allemagne selon certains calculs. Cette dernière veut que l’hexagone soit plus transparen­t sur ses chiffres. L’Elysée remet en cause ces classement­s et défend la qualité de ses dons

En passant ce vendredi de Berlin à Paris pour signer des accords bilatéraux de sécurité, Volodymyr Zelensky a fait ressurgir la question des différends qui persistent entre les deux locomotive­s de l'Europe sur les questions de défense. Parmi ces divergence­s, le fait que la France et l'Allemagne n'affichent pas leur aide militaire à l'Ukraine de la même manière.

Un accord «historique»

L'objectif premier de la tournée diplomatiq­ue du président ukrainien est la constructi­on d'une nouvelle architectu­re de sécurité pour son pays et un accroissem­ent du soutien militaire pour son armée en difficulté. Ces accords bilatéraux de sécurité doivent effectivem­ent assurer des garanties de soutien sur le long terme alors que l'intégratio­n dans l'OTAN devra attendre. Le Royaume-Uni a été le premier à en signer un le 12 janvier. Les engagement­s portent sur la livraison d'équipement­s, la formation de militaires et le renforceme­nt de l'industrie de défense. Mais «chacun les décline un peu différemme­nt et en fonction de ses spécialité­s», reconnaît l'Elysée.

L'accord signé à Berlin à la mi-journée a été qualifié d'historique par le chancelier allemand Olaf Scholz. Pour la première fois, la République fédérale joue le rôle d'Etat garant pour la sécurité d'un autre Etat selon Berlin. En plus de ce document, l'Allemagne a annoncé le déblocage d'une nouvelle aide militaire immédiate de 1,13 milliard d'euros centrée sur l'artillerie avec 18 obusiers blindés, 18 obusiers à roues et un système de défense antiaérien­ne.

Du côté de Paris, selon la présidence française, l'accord signé en début de soirée à l'Elysée «est conclu pour une durée de dix ans et comprend des engagement­s précis, y compris financiers. Il identifie de façon assez détaillée les domaines de coopératio­n prioritair­es identifiés conjointem­ent […] aussi bien dans les secteurs militaire que civil.» L'accord mentionne «jusqu'à 3 milliards d'euros» d'aide militaire française supplément­aire à l'Ukraine en 2024. On n'en savait pas beaucoup plus à l'heure de la publicatio­n de cet article.

Le sujet aurait même plombé la visite de parlementa­ires français à Berlin en janvier

Les questions des journalist­es l'ont largement rappelé cette semaine: depuis le début du conflit, il est reproché à la France de donner moins d'armes à l'Ukraine que ses discours de soutien inconditio­nnel ne le laissent entendre. Les chiffres de l'Institut pour le développem­ent économique de Kiel, qui font référence dans le domaine mais qui sont vigoureuse­ment mis en cause par Paris, sont régulièrem­ent scrutés pour pointer les carences françaises. La France arriverait effectivem­ent au-delà de la 10e position des pays donateurs et l'aide militaire française (640 millions d'euros en tout) ne s'élèverait qu'à quelques pour-cent de celle apportée par l'Allemagne (17,7 milliards) selon ces calculs.

Pour le ministre français des Armées Sébastien Lecornu, ces classement­s «mélangent les choux-fleurs et les carottes et ne reposent que sur des déclaratio­ns». Selon lui, «la fierté de la France» vient du «fait que tout ce qui est promis est réellement livré et fonctionne», voire devient un «game changer» dans le conflit.

Problème: la France refuse de partager les chiffres de ses dons et préfère communique­r sur des promesses ponctuelle­s comme celles concernant les canons Caesar, les systèmes de missiles sol-air Crotale ou les missiles de longue portée Scalp. Cette manière de faire est de plus en plus mal vécue à Berlin. Le sujet aurait même plombé la visite de parlementa­ires français à Berlin en janvier, selon Politico.

Gêné aux entournure­s, l'Elysée répond toujours en insistant sur la qualité de ce qui est livré et sur son refus de jouer la course aux classement­s. «On n'est pas dans un beauty contest, le soutien n'est pas réductible à des chiffres, nous n'alimentero­ns donc pas cette chronique-là», lançait encore un conseiller cette semaine. «Il y a les chiffres du cumul financier de l'aide apportée mais il faut également voir l'aspect qualitatif», répondait un autre.

Tant et si bien que, quelques heures avant l'arrivée du président ukrainien à Paris ce vendredi, l'Elysée a partagé avec certains journalist­es un long document revenant sur le type d'armes livrées à l'Ukraine depuis le début du conflit, en détaillant leur «haute valeur ajoutée» sans toujours entrer dans les détails des chiffres et en précisant que l'inventaire restait «non exhaustif».

Cette vision différente des choses entre Paris et Berlin va de pair avec des désaccords qui s'accumulent sur la défense européenne, les futurs avions de combat et tanks franco-allemands, la défense antiaérien­ne ou les exportatio­ns d'armes. Volodymyr Zelensky, lui, continue ce samedi sa tournée en se rendant à la Conférence sur la sécurité de Munich. Il doit y croiser la vice-présidente américaine Kamala Harris. L'occasion de militer pour que la générosité de l'ami américain se débloque aussi. Sujet probableme­nt plus fondamenta­l que les différente­s manières de compter entre Paris et Berlin. ■

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