Les visites de Zelensky mettent en lumière un différend entre Paris et Berlin
L’aide militaire française ne s’élèverait qu’à quelques pourcent de celle apportée par l’Allemagne selon certains calculs. Cette dernière veut que l’hexagone soit plus transparent sur ses chiffres. L’Elysée remet en cause ces classements et défend la qualité de ses dons
En passant ce vendredi de Berlin à Paris pour signer des accords bilatéraux de sécurité, Volodymyr Zelensky a fait ressurgir la question des différends qui persistent entre les deux locomotives de l'Europe sur les questions de défense. Parmi ces divergences, le fait que la France et l'Allemagne n'affichent pas leur aide militaire à l'Ukraine de la même manière.
Un accord «historique»
L'objectif premier de la tournée diplomatique du président ukrainien est la construction d'une nouvelle architecture de sécurité pour son pays et un accroissement du soutien militaire pour son armée en difficulté. Ces accords bilatéraux de sécurité doivent effectivement assurer des garanties de soutien sur le long terme alors que l'intégration dans l'OTAN devra attendre. Le Royaume-Uni a été le premier à en signer un le 12 janvier. Les engagements portent sur la livraison d'équipements, la formation de militaires et le renforcement de l'industrie de défense. Mais «chacun les décline un peu différemment et en fonction de ses spécialités», reconnaît l'Elysée.
L'accord signé à Berlin à la mi-journée a été qualifié d'historique par le chancelier allemand Olaf Scholz. Pour la première fois, la République fédérale joue le rôle d'Etat garant pour la sécurité d'un autre Etat selon Berlin. En plus de ce document, l'Allemagne a annoncé le déblocage d'une nouvelle aide militaire immédiate de 1,13 milliard d'euros centrée sur l'artillerie avec 18 obusiers blindés, 18 obusiers à roues et un système de défense antiaérienne.
Du côté de Paris, selon la présidence française, l'accord signé en début de soirée à l'Elysée «est conclu pour une durée de dix ans et comprend des engagements précis, y compris financiers. Il identifie de façon assez détaillée les domaines de coopération prioritaires identifiés conjointement […] aussi bien dans les secteurs militaire que civil.» L'accord mentionne «jusqu'à 3 milliards d'euros» d'aide militaire française supplémentaire à l'Ukraine en 2024. On n'en savait pas beaucoup plus à l'heure de la publication de cet article.
Le sujet aurait même plombé la visite de parlementaires français à Berlin en janvier
Les questions des journalistes l'ont largement rappelé cette semaine: depuis le début du conflit, il est reproché à la France de donner moins d'armes à l'Ukraine que ses discours de soutien inconditionnel ne le laissent entendre. Les chiffres de l'Institut pour le développement économique de Kiel, qui font référence dans le domaine mais qui sont vigoureusement mis en cause par Paris, sont régulièrement scrutés pour pointer les carences françaises. La France arriverait effectivement au-delà de la 10e position des pays donateurs et l'aide militaire française (640 millions d'euros en tout) ne s'élèverait qu'à quelques pour-cent de celle apportée par l'Allemagne (17,7 milliards) selon ces calculs.
Pour le ministre français des Armées Sébastien Lecornu, ces classements «mélangent les choux-fleurs et les carottes et ne reposent que sur des déclarations». Selon lui, «la fierté de la France» vient du «fait que tout ce qui est promis est réellement livré et fonctionne», voire devient un «game changer» dans le conflit.
Problème: la France refuse de partager les chiffres de ses dons et préfère communiquer sur des promesses ponctuelles comme celles concernant les canons Caesar, les systèmes de missiles sol-air Crotale ou les missiles de longue portée Scalp. Cette manière de faire est de plus en plus mal vécue à Berlin. Le sujet aurait même plombé la visite de parlementaires français à Berlin en janvier, selon Politico.
Gêné aux entournures, l'Elysée répond toujours en insistant sur la qualité de ce qui est livré et sur son refus de jouer la course aux classements. «On n'est pas dans un beauty contest, le soutien n'est pas réductible à des chiffres, nous n'alimenterons donc pas cette chronique-là», lançait encore un conseiller cette semaine. «Il y a les chiffres du cumul financier de l'aide apportée mais il faut également voir l'aspect qualitatif», répondait un autre.
Tant et si bien que, quelques heures avant l'arrivée du président ukrainien à Paris ce vendredi, l'Elysée a partagé avec certains journalistes un long document revenant sur le type d'armes livrées à l'Ukraine depuis le début du conflit, en détaillant leur «haute valeur ajoutée» sans toujours entrer dans les détails des chiffres et en précisant que l'inventaire restait «non exhaustif».
Cette vision différente des choses entre Paris et Berlin va de pair avec des désaccords qui s'accumulent sur la défense européenne, les futurs avions de combat et tanks franco-allemands, la défense antiaérienne ou les exportations d'armes. Volodymyr Zelensky, lui, continue ce samedi sa tournée en se rendant à la Conférence sur la sécurité de Munich. Il doit y croiser la vice-présidente américaine Kamala Harris. L'occasion de militer pour que la générosité de l'ami américain se débloque aussi. Sujet probablement plus fondamental que les différentes manières de compter entre Paris et Berlin. ■