L’Autriche, championne d’Europe du bio
La république alpine aime se présenter comme un modèle en la matière. Si elle a de bons arguments pour le faire, la filière est aujourd’hui confrontée à des défis structurels et s’interroge sur son avenir
Le pacte vert européen prévoit d’accroître la production biologique afin qu’elle représente, d’ici à 2030, 25% de l’utilisation des terres agricoles dans l’Union européenne. Selon les derniers chiffres disponibles d’Eurostat, cette part était, en 2021, de 9,9% seulement. L’objectif est donc ambitieux. Pas pour l’Autriche: dans la république alpine, c’est déjà 27% et une exploitation sur cinq est bio. Les Autrichiens sont habitués à consommer bio depuis longtemps déjà. Pour le comprendre, il faut se rendre dans l’un des nombreux supermarchés du pays. Ceux-ci ont en effet joué un rôle important dans la diffusion du bio et ce, relativement tôt. Le groupe Rewe a ainsi lancé sa marque Ja! Natürlich dès 1994: «C’était le bon moment, explique Andreas Steidl, le directeur de la marque. Les clients étaient prêts. Mais nous avons fait les choses correctement en développant une offre importante non seulement de produits individuels mais de gammes entières, ça a été l’un des piliers du succès. Nous avons aujourd’hui environ 1000 articles bios, cela varie dans l’année, notamment pour les fruits et légumes qui sont des produits saisonniers, mais c’est dans cet ordre de grandeur. Nous pouvons couvrir tous les besoins d’un ménage avec le bio.»
L’importance des aides directes
Les autres groupes ont eux aussi lancé leur propre marque bio et, aujourd’hui, l’amour des Autrichiens pour le bio perdure, malgré l’inflation. Selon Andreas Steidl, «c’est aussi une question de positionnement sur le marché. Il faut que le bio reste abordable, c’est-à-dire que ce ne soit pas un produit élitiste, mais un produit accessible, y compris pour quelqu’un qui n’a pas un revenu important. […] Il faut faire attention et optimiser chaque détail afin que les prix ne s’envolent pas, cela concerne, par exemple, la manière dont les articles sont produits et distribués jusque dans nos magasins.» On trouve ainsi du lait bio Ja!
Natürlich dès 1,69 euro, mais la question est de savoir comment vivent les agriculteurs qui remplissent ces étals.
«La production laitière est notre activité principale.» Un grand sourire aux lèvres, Michael Eder nous accueille chez lui à Dorfbeuern, dans la région de Salzbourg, à l’ouest de l’Autriche. «Nous avons 30 vaches laitières. Et nous exploitons environ 40 hectares, dont la moitié est située dans une réserve naturelle. En plus du lait, nous produisons donc, pour ainsi dire, aussi de la nature.» Il y a 20 ans, ce passionné a repris avec sa femme Johanna cette exploitation, qui est dans sa famille depuis cinq générations. Ils produisent du lait de foin bio, appellation qui certifie que les vaches sont nourries principalement d’herbe en été et de foin en hiver. «Nous recevons 69 centimes par litre pour le lait de foin bio. Pour le lait bio normal, sans foin, c’est seulement 59 centimes. A titre de comparaison, 1 litre de lait conventionnel vaut actuellement 52 centimes, si on prend le standard le plus bas proposé dans notre laiterie.» Michael estime vivre décemment, mais comme de nombreux agriculteurs bios, il a un deuxième travail afin de faire face aux fluctuations de revenus d’une année à l’autre. Il passe donc une partie de sa semaine à Vienne, où il enseigne à l’Institut d’économie agricole et forestière de l’Université BOKU, tandis que sa femme, Johanna, travaille dans l’exploitation à temps plein. Un modèle très répandu en Autriche. Autre point clé, selon Michael Eder: les aides directes. «Si on regarde les chiffres moyens, on constate que pour de nombreuses exploitations, les revenus correspondent quasiment à ces subventions. Sans elles, il n’y aurait pas de revenus. Elles jouent donc un grand rôle. Mais bien sûr, il y a toujours des plaintes sur cette dépendance et surtout sur ces réglementations qui changent sans cesse et toute la bureaucratie qui va avec.»
Un modèle viable?
Des motifs de colère qu’on a entendus, ces dernières semaines, partout en Europe, lors des manifestations d’agriculteurs. Le mouvement n’a pas réellement pris en Autriche, la situation, pourtant, est loin d’être idyllique. «Ces vingt dernières années, on est passé de 55 000 exploitations laitières [biologiques et conventionnelles confondues] à 25 0000», rappelle Michael Eder. «Dans mon village aussi, beaucoup d’agriculteurs ont arrêté la production laitière, nous sommes actuellement quatre alors que nous étions entre douze et quinze il y a 20 ans. Il y en a également beaucoup qui cherchent leur salut dans l’agrandissement. Cela concerne surtout les exploitations conventionnelles mais il y a aussi quelques exploitations bios. Or cette voie n’est pas plus sûre.» Le monde agricole autrichien fait face aux mêmes défis et problématiques que ses voisins et, ici aussi, on s’interroge sur la pérennité du modèle. Alors que 900 fermes ont abandonné la production biologique l’an passé, les ONG exigent davantage d’engagement de la part des pouvoirs publics: «L’écart entre les subventions accordées à l’agriculture conventionnelle et celles accordées à l’agriculture biologique ne cesse de se resserrer», avance Brigitte Reisenberger de l’association environnementale Global 2000. «Or les agriculteurs bios ont des exigences beaucoup plus strictes en ce qui concerne la rotation des cultures ou la biodiversité par exemple, cela devrait être compensé financièrement en conséquence car c’est en réalité un investissement dans l’avenir.»
Les agriculteurs bios sont également sous pression en raison du poids des supermarchés, selon Brigitte Reisenberger, et de l’influence que ceux-ci ont sur les prix: «C’est une épée à double tranchant parce que, d’un côté, les supermarchés font partie de l’histoire du succès du bio en Autriche, mais, d’un autre, cela a aussi pour conséquence que les agriculteurs sont dans une position de négociation très faible et ont peu de pouvoir sur leurs propres prix, produits et commercialisation.» La solution pourrait être de créer des coopératives et marques bios indépendantes, mais le modèle est si ancré en Autriche qu’il n’est pas aisé d’en sortir «car les grands supermarchés ou les grandes laiteries n’y ont pas intérêt. Il est pourtant vital de renforcer la position des agriculteurs au sein de la chaîne, afin qu’ils puissent travailler de manière plus indépendante et avoir une influence sur la fixation des prix.» De l’avis de beaucoup, ce qui manque en Autriche, comme ailleurs, c’est une vision à long terme pour penser l’avenir de l’agriculture biologique. Force est de constater qu’elle fait aujourd’hui défaut au niveau politique. ■
«Les revenus correspondent quasiment à ces subventions. Sans elles, il n’y aurait pas de revenus» MICHAEL EDER, AGRICULTEUR