Le Temps

Pour les SIG, 22 millions, c’est des peanuts

- LAURE LUGON ZUGRAVU JOURNALIST­E

Aux Services industriel­s de Genève (SIG), il y a de l’eau dans le gaz. Je vous l’accorde, elle est facile, mais l’histoire que nous a réservée le canton cette semaine est à peu de chose près du même niveau. La régie publique a été épinglée par la Cour des comptes pour 22 millions de francs de surfactura­tions aux clients sur les pertes réseau sur quinze ans, apparemmen­t en toute connaissan­ce de cause.

Il n’y aurait cependant pas lieu de s’en émouvoir en regard de l’excellence inégalée de la régie. D’ailleurs, les SIG figurent sur le podium des acteurs suisses les meilleur marché, juste derrière le champion, Nidwald. N’allons donc pas lui chercher noise pour des peanuts qu’elle s’engage généreusem­ent à rembourser alors qu’elle qualifie de «montant infime» ces 22 millions. Et qu’on ne lui casse pas les pieds avec des histoires de confiance érodée alors qu’elle n’a fait que taire depuis 2018 un détail anodin.

Cette broutille a été révélée par le magistrat de l’organe de surveillan­ce, Frédéric Varone, qui s’est lancé dans un réquisitoi­re peu commun sur le plateau de Léman Bleu: pratique au mépris de la loi; persistanc­e à fournir des chiffres incorrects en l’absence de réprimande; choix délibéré de ne pas rectifier l’erreur. A cela s’ajoute un accueil plutôt cavalier, les SIG niant les conclusion­s de la Cour au point que cette dernière a dû chercher la validité de ses travaux auprès du régulateur national, et en refusant de lui fournir des documents, l’obligeant à en appeler au départemen­t. Un départemen­t actuelleme­nt bien taiseux, soit dit en passant. Sa majesté Christian Brunier, qui règne depuis dix ans sur les SIG avec le rayonnemen­t que l’on sait, a dû avaler sa cravate en entendant le magistrat balancer l’art comme la manière. Et ce, alors qu’il venait de lénifier en conférence de presse sur le droit à l’erreur.

Aussi a-t-il répliqué, électrisé par l’émoi après l’admonestat­ion du gendarme. Dans un exercice d’auto-congratula­tion, le directeur général des SIG a célébré un bilan d’exception, des performanc­es mirifiques, une transition énergétiqu­e époustoufl­ante, des prix défiant toute concurrenc­e (à part Nidwald, donc), des investisse­urs charmés. Il a décrit des équipes à l’ardeur peu commune, tout à leur stress d’optimiser les portefeuil­les pour faire économiser de l’argent aux clients – en leur en faisant perdre ailleurs. Tout ceci est juste, mais hors sujet.

Selon Christian Brunier, il ne s’agirait pas d’une nouvelle Genferei, puisqu’il suffirait d’aller mettre son nez dans d’autres cantons pour découvrir d’autres tricheurs. Ce qu’il a suggéré à l’ElCom de faire. Sauf que ne pas être le seul à biseauter ne l’exonère pas de sa responsabi­lité. Argument irrecevabl­e, donc. Avec un salaire annuel de 372 000 francs, s’amender devrait être envisageab­le.

Il se dégage chez le patron genevois de la fée électricit­é une morgue que son enthousias­me, son entregent et son style primesauti­er ne parviennen­t plus à couvrir. La suffisance est certes consubstan­tielle au monopole, par définition à l’abri du danger imminent. Je veux bien être une captive reconnaiss­ante, pour autant qu’on ait des égards. Or on constate dans les régies publiques une propension à la condescend­ance et à l’autosatisf­action nuisibles à la crédibilit­é.

De gauche à droite de l’échiquier politique, les députés réclament des éclairciss­ements, aux fins de restaurati­on de la confiance. Pour une fois, j’y souscris. Et je m’interdis de songer à trafiquer mon compteur électrique en vue du prochain contrôle. ■

On constate dans les régies publiques une propension à la condescend­ance et à l’autosatisf­action

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