Quand l’UDC ne croit plus à la croissance
« Croissez et multipliez!» Si même l’UDC, avec son initiative «Pas de Suisse à 10 millions!», ne croit plus aux préceptes bibliques de la Genèse, c’est que l’heure est grave. L’UDC néolibérale n’adhérerait plus aux vertus de la croissance. Cette semaine, dix ans après l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse», la droite nationale populiste annonçait avoir récolté plus de 110 000 signatures pour son texte exigeant que la population suisse ne dépasse pas 10 millions d’habitants avant 2050. Au même moment, le ministre de l’Economie Guy Parmelin présentait une série de mesures pour faire face à la grave pénurie de logements qui touche les grandes villes comme Zurich, Genève, mais aussi des cantons comme Schwytz, Obwald ou Zoug. Des villes et cantons qui attirent un grand nombre d’étrangers et où le taux de vacance est, avec moins de 0,50%, très inférieur à la moyenne suisse (1,15%).
Réglons ici, au passage, la question de la véritable motivation de l’UDC. Malgré le sous-titre, «initiative pour la durabilité», et les objectifs décrits en son projet d’article 73a, «en vue de protéger l’environnement et dans l’intérêt de la conservation durable des ressources naturelles», la finalité de l’initiative reste bel et bien, comme le mentionnent les dispositions transitoires (art. 197), la fin de l’accord de libre circulation des personnes et une politique d’asile plus restrictive. D’une part parce que l’UDC ne s’est jamais signalée par sa politique sociale ni comme une farouche alliée des écologistes pour limiter l’impact environnemental de l’agriculture ou de la société de consommation. D’autre part parce qu’il s’agit ici de sa troisième initiative, en dix ans, visant les étrangers. Il est dans la nature de la droite nationale populiste, partout dans le monde, d’en appeler au peuple pour porter secours à la nation, considérée comme un corps organique homogène, supposée menacée par la perte de valeurs mythiques et identitaires. Et de s’en prendre à l’origine du mal, l’immigration. Le greenwashing, ici, a du mal à passer.
Le débat autour de «la Suisse à 10 millions» avec les conséquences sur la qualité de vie dans les villes a au moins le mérite de mettre le doigt sur l’absence, en raison du fédéralisme, d’une véritable politique d’aménagement du territoire à l’échelle nationale. Car si à Zurich ou Genève les locataires paient très cher la pénurie de logements, si le taux d’appartements vacants a encore baissé en 2023, c’est loin d’être le cas partout. Dans l’Arc jurassien, dans des cantons comme Thurgovie, Soleure ou le Tessin, dans les Préalpes comme le Toggenburg, les taux de logements vides varient entre 2 et 3%, notamment dans le canton du Jura. Une étude de 2019, «Mégatrends et développement territorial», notait ainsi que «contrairement aux grands centres, le pied du Jura n’a guère profité des places de travail créées au cours des vingt-cinq dernières années par les universités, les hôpitaux, les pouvoirs publics et les entreprises privées». Et surtout, «la région a vu sa population vieillir, notamment sous l’effet d’une émigration de ses jeunes». Il y a dix ans, Simonetta Sommaruga se demandait si, en laissant le marché organiser seul le territoire, nous n’étions pas en train de transformer la Suisse en un petit Monaco réservé aux salaires élevés, à quelques exilés fiscaux et autres privilégiés. Avec quelques poches abordables, en périphérie, pour les classes moyennes. On va bien finir par y arriver. ■