Le Temps

A propos d’un «national-socialisme aux caractéris­tiques chinoises»

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

En découvrant la Chine, on vous apprend que vous avez affaire à un très ancien pays, le plus ancien même par sa continuité civilisati­onnelle. Les officiels, les manuels, les Chinois eux-mêmes évoquent «5000 ans d’histoire», une nation de 55 minorités harmonieus­ement associées à l’ethnie dominante des Han sur un territoire aux contours presque constants et dont la préservati­on de l’unité relève d’une «mission sacrée». En recevant Donald Trump à Pékin en 2017, Xi Jinping lui fit ainsi visiter la Cité interdite – ancienne résidence des empereurs – en lui expliquant que les Chinois ont les «cheveux noirs», la «peau jaune» et qu’on les appelle les «descendant­s du dragon». Comme tout «hôte» qui fait ses premiers pas, le président américain en fut positiveme­nt impression­né. Nul doute que le destin de la Chine est exceptionn­el.

Cette vulgate est volontiers reprise par les visiteurs d’un jour et rediffusée telle quelle à leur retour pour imposer le grand récit de la nation chinoise. Celui d’un immense empire un temps humilié par les forces impérialis­tes qui retrouve peu à peu sa place naturelle de grand pays. Et il faut bien reconnaîtr­e qu’il est d’une redoutable efficacité. La réalité est que ce récit repose pour l’essentiel sur des mythes créés de toutes pièces à partir de la fin du XIXe siècle. Il se fonde sur les théories raciales et du darwinisme social importées d’Europe, qui seront reprises et adaptées par les réformateu­rs, puis par les révolution­naires nationalis­tes ou communiste­s. Jusqu’à nos jours.

C’est ce que raconte avec brio Bill Hayton dans un livre intitulé L’Invention de la Chine, publié en 2020 et opportuném­ent traduit en français l’an dernier par les Editions Saint-Simon. Ce journalist­e de la BBC fait l’inventaire de la recherche historique en se basant sur les sources chinoises, japonaises, indiennes, européenne­s et américaine­s pour déconstrui­re l’histoire officielle de Pékin sur laquelle repose la légitimité du Parti communiste chinois. Il explique comment furent inventées les notions de «Chine», de «Chinois», de «race chinoise», de «territoire chinois», de «nation chinoise» et de «souveraine­té chinoise» en faisant le tri dans un passé beaucoup plus complexe et bien moins linéaire. Il ne serait par exemple venu à l’esprit d’aucun «Chinois» de se définir comme tel au début du XXe siècle. Les Han étaient des sujets parmi d’autres du «grand empire Qing» contrôlé par les Mandchous.

Ce dévoilemen­t ne fait qu’appliquer à la République populaire un exercice historiogr­aphique plutôt banal en Europe mais qui paraît trop souvent encore sacrilège à l’égard de la Chine. Il est pourtant nécessaire et urgent de questionne­r ce passé au vu des ambitions affichées par le «Rêve chinois» de restaurati­on prôné par Xi Jinping. «Comment appeler cette idéologie, qui présente un dirigeant unique et central, des exigences d’homogénéit­é, une intoléranc­e à la différence, une direction par le Parti et non par la loi, des politiques économique­s corporatis­tes, un accent mis sur la discipline et une idéologie fondée sur l’exceptionn­alisme racial – le tout appuyé sur une surveillan­ce d’Etat massive?», s’interroge Bill Hayton. Le Parti parle depuis longtemps de construire un «socialisme aux caractéris­tiques chinoises». Aujourd’hui, Xi Jinping semble être plus intéressé par un «national-socialisme aux caractéris­tiques chinoises».

Ce vade-mecum contre les idées reçues s’avérera particuliè­rement utile pour répondre à tous ceux qui ici, en Europe et en Suisse, ânonnent la propagande des autorités chinoises et dénoncent l’arrogance «occidental­e» lorsque l’on exerce un esprit critique. Vous y trouverez tous les contre-arguments nécessaire­s pour questionne­r le «siècle des humiliatio­ns» et des «culpabilit­és européenne­s» qui nourrit depuis trop longtemps le nationalis­me chinois. ■

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