A propos d’un «national-socialisme aux caractéristiques chinoises»
En découvrant la Chine, on vous apprend que vous avez affaire à un très ancien pays, le plus ancien même par sa continuité civilisationnelle. Les officiels, les manuels, les Chinois eux-mêmes évoquent «5000 ans d’histoire», une nation de 55 minorités harmonieusement associées à l’ethnie dominante des Han sur un territoire aux contours presque constants et dont la préservation de l’unité relève d’une «mission sacrée». En recevant Donald Trump à Pékin en 2017, Xi Jinping lui fit ainsi visiter la Cité interdite – ancienne résidence des empereurs – en lui expliquant que les Chinois ont les «cheveux noirs», la «peau jaune» et qu’on les appelle les «descendants du dragon». Comme tout «hôte» qui fait ses premiers pas, le président américain en fut positivement impressionné. Nul doute que le destin de la Chine est exceptionnel.
Cette vulgate est volontiers reprise par les visiteurs d’un jour et rediffusée telle quelle à leur retour pour imposer le grand récit de la nation chinoise. Celui d’un immense empire un temps humilié par les forces impérialistes qui retrouve peu à peu sa place naturelle de grand pays. Et il faut bien reconnaître qu’il est d’une redoutable efficacité. La réalité est que ce récit repose pour l’essentiel sur des mythes créés de toutes pièces à partir de la fin du XIXe siècle. Il se fonde sur les théories raciales et du darwinisme social importées d’Europe, qui seront reprises et adaptées par les réformateurs, puis par les révolutionnaires nationalistes ou communistes. Jusqu’à nos jours.
C’est ce que raconte avec brio Bill Hayton dans un livre intitulé L’Invention de la Chine, publié en 2020 et opportunément traduit en français l’an dernier par les Editions Saint-Simon. Ce journaliste de la BBC fait l’inventaire de la recherche historique en se basant sur les sources chinoises, japonaises, indiennes, européennes et américaines pour déconstruire l’histoire officielle de Pékin sur laquelle repose la légitimité du Parti communiste chinois. Il explique comment furent inventées les notions de «Chine», de «Chinois», de «race chinoise», de «territoire chinois», de «nation chinoise» et de «souveraineté chinoise» en faisant le tri dans un passé beaucoup plus complexe et bien moins linéaire. Il ne serait par exemple venu à l’esprit d’aucun «Chinois» de se définir comme tel au début du XXe siècle. Les Han étaient des sujets parmi d’autres du «grand empire Qing» contrôlé par les Mandchous.
Ce dévoilement ne fait qu’appliquer à la République populaire un exercice historiographique plutôt banal en Europe mais qui paraît trop souvent encore sacrilège à l’égard de la Chine. Il est pourtant nécessaire et urgent de questionner ce passé au vu des ambitions affichées par le «Rêve chinois» de restauration prôné par Xi Jinping. «Comment appeler cette idéologie, qui présente un dirigeant unique et central, des exigences d’homogénéité, une intolérance à la différence, une direction par le Parti et non par la loi, des politiques économiques corporatistes, un accent mis sur la discipline et une idéologie fondée sur l’exceptionnalisme racial – le tout appuyé sur une surveillance d’Etat massive?», s’interroge Bill Hayton. Le Parti parle depuis longtemps de construire un «socialisme aux caractéristiques chinoises». Aujourd’hui, Xi Jinping semble être plus intéressé par un «national-socialisme aux caractéristiques chinoises».
Ce vade-mecum contre les idées reçues s’avérera particulièrement utile pour répondre à tous ceux qui ici, en Europe et en Suisse, ânonnent la propagande des autorités chinoises et dénoncent l’arrogance «occidentale» lorsque l’on exerce un esprit critique. Vous y trouverez tous les contre-arguments nécessaires pour questionner le «siècle des humiliations» et des «culpabilités européennes» qui nourrit depuis trop longtemps le nationalisme chinois. ■