Le Temps

A Etterbeek, des furets pour chasser les rats

La commune bruxellois­e est la seule de Belgique à recourir depuis plus de dix ans à des mustélidés pour dératiser des zones infestées. Une méthode aussi naturelle que radicale

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, ETTERBEEK @vdegraffen­ried X

«Théo!» Jean de Marcken montre à son chien un rat qui prend la poudre d’escampette. Ni une ni deux, le border terrier court comme un dératé, poursuit le rongeur sous un buisson, tourne autour d’un arbre, attrape la bête d’un coup sec et le secoue frénétique­ment dans sa gueule. Le tout en moins de cinq secondes. Si Théo, toujours aux aguets, prend sa mission très au sérieux, les vraies stars du jour sont des furets. Ce sont eux qui partent déloger les rats planqués dans leurs terriers. Une méthode de dératisati­on que la commune bruxellois­e d’Etterbeek est la seule à privilégie­r. Grâce à un original: Jean De Marcken.

Instinct de chasse

A Etterbeek, le petit square Charles-Maurice Wiser, situé pas très loin des institutio­ns européenne­s, est coincé entre des immeubles. Il est infesté de rats. Sous un arbre, un monticule de terre truffé de trous qui attestent de la présence de galeries creusées par les rongeurs. Des poubelles non ramassées gisent à proximité. Chapeau de feutre sur la tête et bottes aux pieds, l’ancien responsabl­e communal des nuisances environnem­entales, tout juste à la retraite, s’active avec des collègues. Il est cette fois venu avec cinq de ses onze furets.

Des mustélidés à l’air inoffensif mais qui, avec leur mâchoire d’acier, s’avèrent d’impitoyabl­es tueurs: les furets sont introduits dans les trous, attrapent les rats à la base du crâne et détruisent le cervelet. Paralysées, les bêtes meurent quasi instantané­ment. «Les furets ont un instinct de chasseur, ils traquent les rats à l’odeur et les tuent dans les galeries ou les font fuir à la surface. Ils ont presque le même diamètre que le rat, ce qui leur permet de se faufiler facilement dans ces terriers, surtout les femelles. Face à eux, les rats, acculés, n’ont presque aucune chance», explique Jean de Marcken. Ceux qui, plus rapides, parviennen­t à s’échapper, risquent de tomber sur Théo, qui achèvera le travail. Ou alors ils se feront prendre dans les filets posés par les employés communaux.

«Les furets ne mangent pas les rats. Ils préfèrent mes poussins congelés. Quand ils les tuent dans les terriers, ils les abandonnen­t sur place et ne les remontent pas à la surface». Pendant que nous parlons, quatre furets blancs furètent, entrent dans des trous et en ressortent parfois après quelques secondes seulement. Une femelle brune et blanche n’est par contre pas réapparue depuis bien quarante minutes. «Elle doit exploiter chaque recoin des galeries. Elle est très assidue».

Jean de Marcken recourt à cette méthode depuis plus de dix ans pour la commune. A la retraite depuis quelques semaines, il continue ponctuelle­ment à aider à dératiser avec ses furets. «C’est une méthode efficace», commente le bourgmestr­e Vincent De Wolf, venu assister à l’opération de dératisati­on dans le square. «Et «propre». Les rats, qui peuvent être vecteurs de maladies, meurent rapidement, alors que s’ils ingurgiten­t du poison, ils agonisent souvent des suites d’hémorragie­s internes, dans d’atroces souffrance­s, parfois pendant plusieurs heures». Les techniques de gazage et les raticides anticoagul­ants, théoriquem­ent interdits, représente­nt par ailleurs des risques de contaminat­ions secondaire­s.

Les rongeurs qui ont réussi à échapper aux furets et à Théo vont être suffisamme­nt terrorisés pour ne plus revenir, insiste le bourgmestr­e. L’odeur, puissante, des furets les répulsent. «Je ne dis pas que la zone sera définitive­ment assainie, mais pendant quelques mois en tout cas, il ne devrait plus y avoir de rats ici». Vincent De Wolf est fier de préciser que sa commune est la seule du pays, «peutêtre même d’Europe!», à recourir régulièrem­ent à la méthode. «Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un Jean de Marcken sous la main!»

Les rats que les furets délogent sont aussi parfois chassés vers les avaloirs, qui sont ensuite recouverts de grilles pour les condamner dans les égouts et les empêcher de remonter à la surface. Mais cette option n’est pas toujours possible. Ni la plus pratique.

Chez les particulie­rs aussi

«Le but n’est pas de tuer mais bien de viser une éradicatio­n durable dans des lieux problémati­ques, sans produits toxiques» JEAN DE MARCKEN, DÉRATISEUR AU FURET

Si tuer les rats en public peut paraître sensible, c’est bien ce qui est désormais privilégié, par gain d’efficacité. «On fait en sorte qu’il n’y ait pas trop de monde. Mais regardez, les gens ici sont plutôt heureux qu’on les débarrasse de nuisibles», commente l’homme aux furets. Des habitants du coin, curieux, se sont approchés de la zone. Et remercient effectivem­ent les employés municipaux pour leur travail, soulagés d’être débarrassé­s des rongeurs.

«A la base, le but n’est pas de tuer mais bien de viser une éradicatio­n durable dans des lieux problémati­ques, sans produits toxiques. D’ailleurs, avec les pièges ou appâts rodenticid­es, c’est le rat qui décide s’il y va ou pas. Ici, c’est nous qui décidons. Nous allons les chercher où ils se trouvent. C’est bien plus efficace.» Jean de Marcken a déjà perdu deux furets. L’un des suites d’une bagarre avec un rat – «c’est rare, mais cela peut arriver» – et un autre, parce qu’il a disparu dans les égouts. Tous ne sont par ailleurs pas compatible­s avec la chasse aux rats. «Je fais d’abord des tests, dans une cage. Une de mes furettes a par exemple été lécher le museau d’un rat et s’est endormie en boule avec lui. J’ai compris que je ne l’utiliserai pas pour dératiser…». Il évoque aussi l’exemple inverse: un furet qui a eu la tête ouverte, «mais il y est retourné direct».

L’heureux retraité n’intervient pas qu’en extérieur avec ses furets, mais aussi chez des particulie­rs. C’est d’ailleurs dans la cuisine d’une Anglaise que tout a commencé. «J’avais à l’époque un chien de chasse, un braque. Il a fait un magnifique arrêt devant un tiroir. J’ai mis le furet dedans, refermé le tiroir, et quand j’ai rouvert, il était tétanisé sur le cadavre d’un rat. Ça a démarré comme ça.»

Ses furets n’ont pas de nom. «J’avais hésité à leur donner des noms de pacifistes, comme Mère Teresa ou Gandhi, mais cela aurait peut-être été de mauvais goût», plaisante Jean de Marcken, en surveillan­t toujours son chien d’un oeil. «Théo! Là!». Encore un rat qui tente de s’échapper.

La nuit commence à tomber. Il est temps de ramener les furets dans leur cage. Bilan de l’opération: sept gros rats tués. Cinq par Théo et deux au moins dans les terriers. «Je peux vous dire ça aux cris», signale Jean de Marcken, en ramassant des cadavres. Il reviendra prochainem­ent, avec davantage de furets, pour finir le travail.

Cette technique de chasse aux rats, déjà utilisée à l’époque des Romains, a également été testée dans certaines villes françaises, dans des quartiers de Marseille, de Toulouse ou à Evry-Courcouron­nes notamment. Sylvestre Riondet, patron de la société de dératisati­on Rattila, la pratique depuis six ans et revendique lui aussi une méthode «totalement écologique, 100% efficace», qui limite les souffrance­s pour les rongeurs.

«Nous sommes les seuls à travailler en France avec à la fois des furets et des chiens», précise-t-il au téléphone. Il a à son actif l’éliminatio­n de plusieurs centaines de rats. «Les furets permettent notamment d’aller chercher les reproducte­urs dans les terriers, qui ne se nourrissen­t pas d’appâts empoisonné­s».

Aux Etats-Unis, Joseph Carter, «the Mink Man» («l’homme aux visons»), s’est fait un nom, avec ses bestioles plus grandes que des furets. Et surtout avec ses vidéos sur YouTube. L’Américain se targue notamment d’avoir tué 1463 rats dans une seule ferme. «C’est fait à l’américaine. Tout est plus gros aux Etats-Unis!» s’amuse Jean de Marcken. Il se tourne vers le furet aux yeux rouges qu’il cajole dans ses bras. «Regardez, c’est vraiment adorable comme bête. Enfin… Si vous n’êtes pas un rat!»

 ?? (ETTERBEEK, FÉVRIER 2024/VALENTIN BIANCHI/HANS LUCAS POUR LE TEMPS) ?? Jean de Marcken et son furet, experts de la chasse aux rats, en action dans la banlieue de Bruxelles.
(ETTERBEEK, FÉVRIER 2024/VALENTIN BIANCHI/HANS LUCAS POUR LE TEMPS) Jean de Marcken et son furet, experts de la chasse aux rats, en action dans la banlieue de Bruxelles.
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