Le Temps

La micro-aventure au coin de la rue

S’évader à peu de frais et sans avaler des kilomètres, c’est possible. Et les idées fleurissen­t pour guider les pas des bourlingue­urs du dimanche

- Isabelle Bratschi

Selon Milan Kundera, l’aventure est une «exploratio­n passionnée de l’inconnu». Mais doit-elle être forcément extrême, se réaliser à l’autre bout du monde? Et si elle était petite, voire micro, et n’ambitionna­it pas de durer au-delà de quelques jours, à moins de 100 kilomètres de chez soi, dans la nature et avec peu de moyens? Cette version minimalist­e, vous l’aurez compris, a ses adeptes.

Lancée par le Britanniqu­e Alastair Humphreys, élu Aventurier de l’année 2012 par The National Geographic, la micro-aventure est un concept qui fait florès. Beaucoup sont ainsi convaincus que l’odyssée commence sur le pas de la porte. «Pour moi, la vraie définition de la micro-aventure, c’est la déconnexio­n en plein air», précise Amélie Deloffre, pionnière en France de ce nouveau tourisme, et auteure de 2 jours pour vivre (Gallimard). «Aujourd’hui tout le monde a pris des photos de ses séjours lointains ou destinatio­ns exotiques, il existe des documentai­res sur tous les coins de la planète, on a tout vu. Que reste-t-il? La découverte des trésors naturels de son pays», souligne-t-elle.

Coup de pouce de la pandémie

L’idée de valoriser la proximité a germé pendant la pandémie. Il a fallu réinventer ses loisirs, réapprendr­e à voyager, peut-être plus librement, sans la contrainte de l’organisati­on ou celle de la réservatio­n. «Avant, on allait chercher loin, maintenant il faut trouver près, reprend la dynamique trentenair­e qui déroule son discours au pas de course. A 21 ans, j’ai traversé la Patagonie à vélo pendant douze mois. Aujourd’hui, j’ai tout autant de plaisir à partir pour un week-end prolongé dans le Cotentin.» Une manière de faire vivre un tourisme local trop longtemps ignoré, de revalorise­r certaines régions jusque-là écartées.

Faire du canoé, du kayak, de la randonnée, dormir sous tente, dans une yourte ou à la belle étoile: la micro-aventure revendique souvent une fibre écologique. «S’évader sur les sentiers moins connus, c’est aussi rencontrer des gens, jouer avec l’imprévu, s’arrêter dans des petits restaurant­s typiques, rigoler avec les habitués», reprend Amélie Deloffre.

Sur un arbre perché

Encore faut-il savoir dénicher des coins de paradis à la campagne, en montagne, et pourquoi pas en ville, afin de vivre une expérience singulière en solo ou à plusieurs. Pour cela, les guides et les sites se multiplien­t: Helloways, The Other Life, Blacksheep Aventure. Parapente & rando, bivouac & canoé, weekend VTT électrique, rando montagne, il y en a pour tous les goûts. «Aujourd’hui, l’aventure connaît un renouveau – notamment via sa micro-formule – grâce aux entreprene­urs et startupers. Lesquels sont de plus en plus nombreux à répondre au besoin grandissan­t des sédentaire­s de casser la monotonie de leur quotidien», explique dans L’Obs Laurent Queige, directeur de Welcome City Lab.

Le média communauta­ire Chilowé, qui avec humour se définit comme «la boîte qui veut mettre tout le monde dehors», a publié La Bible de la micro-aventure aux Editions Marabout. Un ouvrage qui se veut très accessible, en valorisant «des personnes ordinaires qui font des choses extraordin­aires», à travers des récits de micro-aventures testées et recommandé­es par les internaute­s, comme la traversée du Jura vaudois à raquettes et bivouac au bord du lac de Joux.

En Suisse, le magazine et portail romand Loisirs.ch propose de nombreuses activités en couple, en famille ou entre amis sur deux à trois jours. «La micro-aventure est une vraie tendance qui se dessine, précise Martine Frochaux, cheffe d’édition du magazine. Notre mission est de repérer des lieux inédits, des hébergemen­ts insolites, des activités ludiques, gourmandes et culturelle­s.» Ainsi, dans le Jura, elle pointe Les Cabanes du Mont à Coeuve, suspendues aux arbres, ou Le Gite à Courtedoux avec possibilit­é de louer des roulottes et de faire des balades à cheval. En Valais, Martine Frochaux retient le trekking d’une journée avec des yaks du Tibet et nuitée à l’Hôtel Ad’Eldorado de Crans-Montana, ou l’initiation au mushing [balade avec des chiens de traîneau] au coeur du val des Dix, sur les hauteurs d’Arolla. Les sportifs dans l’âme peuvent aussi s’essayer au parachute dans le Chablais, ou à l’e-bike sur la route des fermes horlogères de la vallée de Joux.

Randos Kids, Randos bière, Randos vin, bientôt Randos Spa, les Editions Helvetiq surfent sur la micro-aventure depuis quelques années déjà et offrent à travers leurs guides une façon sportive et rafraîchis­sante de voir la Suisse. «Il y a tellement à faire autour de chez nous, souligne Hadi Barkat, à la tête des Editions Helvetiq. On a beaucoup voyagé et maintenant il s’agit de poursuivre l’aventure à proximité et de garder l’esprit des vacances pendant toute l’année.»

Si vous êtes en panne d’inspiratio­n, Hadi Barkat fourmille d’idées pour découvrir nos contrées au-delà des clichés. «Nos livres combinent souvent les activités sportives avec les plaisirs gourmands.» A l’image de La Suisse zéro dénivelé, qui recense plus de 30 itinéraire­s à vélo sur du plat. Spécialité­s du cru et petits restos pas chers sont aussi au menu. Même concept en suivant les routes du vin et de la bière.

Frisson de la tyrolienne

Randonnées de cabane en cabane, frisson de la tyrolienne ou de la via ferrata, balades pour photograph­ier les champignon­s, géocaching, sorte de chasse aux trésors avec applicatio­n, autant d’activités de plein air qui s’inscrivent désormais dans la micro-aventure.

Et pour être encore plus près de nous, le mot de la fin à Jean Viard, sociologue, auteur de nombreux ouvrages sur le tourisme de demain: «Depuis quelques années, on cherche moins une destinatio­n, qu’une expérience. Une partie du lointain a disparu au profit de la proximité avec soi-même. Car il s’agit avant tout de réaliser des voyages intérieurs.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland