Le Temps

Le sex-toy est-il un passage obligé?

- Pauline Verduzier @pverduzier

> Plaisirs partagés

Après le succès de notre série sur la sexualité des jeunes parents, «Le Temps» vous propose un nouveau rendez-vous hebdomadai­re lié à l’intimité, «Plaisirs partagés», à retrouver tous les samedis.

Cette semaine, on s’intéresse aux personnes dont la vie a changé grâce à un vibromasse­ur ou un «aspirateur à clitoris». Et à celles qui, au grand dam de ce business, y sont insensible­s

Le 14 février est passé, et avec lui son cortège de sex-toys. Les marques s’en donnent à coeur joie pour présenter leurs produits comme des indispensa­bles du plaisir sexuel, seule ou à deux. Il faut dire qu’on est en plein âge d’or des jouets érotiques, dont l’utilisatio­n, d’abord taboue, s’est banalisée avec le temps.

Dans son livre Oh My Gode. Une enquête vibrante sur les dessous des sextoys (Ed. La Musardine) sorti début février, la journalist­e spécialist­e de la sex tech Amandine Jonniaux retrace les différente­s étapes de cette démocratis­ation. «Dans les années 1960-1970, les mouvements féministes dits pro-sexe ont pu voir dans ces objets un moyen pour les femmes de se réappropri­er leur corps et leur plaisir», explique-t-elle. La militante et éducatrice sexuelle américaine Betty Dodson organisait par exemple des ateliers de masturbati­on collective avec le Wand, du nom de ce modèle vibrant qui ressemble à une sorte de gros micro, dont on pose le pommeau sur le clitoris.

«Les sex-toys qui existaient auparavant étaient calqués sur la verge. La vibration constitue une première révolution qui permet de jouir autrement, sans passer par un substitut de pénis», poursuit-elle. Un autre tournant se situe dans les années 1990, notamment avec l’épisode de la série Sex and the City où il est question du Rabbit, ce toy à double stimulatio­n clitoridie­nne et vaginale. «Je sais d’où va venir mon prochain orgasme. Qui ici peut en dire autant?» demande Miranda lors du traditionn­el brunch de la célèbre bande d’amies new-yorkaises.

Peu à peu, le marché n’est plus cantonné aux sex-shops glauques. «La vraie explosion se produit à partir de 2015 avec l’essor d’Instagram et des comptes sexo, puis cinq ans plus tard avec la pandémie de Covid-19 durant laquelle certaines marques ont vu leurs ventes flamber», complète Amandine Jonniaux.

«A côté de mes shampoings»

Après la vibration, une autre invention est venue renouveler le marché: la technologi­e de l’air pulsé des «aspirateur­s à clitoris», inventée par l’Allemand Michael Lenke, fondateur de la marque Womanizer qui vient de fêter ses dix ans. Leur mécanisme permet de stimuler le clitoris en posant un embout dessus qui vient propulser de l’air. D’autres marques créent leur propre stimulateu­r clitoridie­n, comme LELO ou Satisfyer. «J’ai découvert cet objet il y a quelques mois et il a un peu changé ma vie», partage Clara, 31 ans. Elle n’avait jamais possédé de sex-toy auparavant. Une amie le lui a offert pour son anniversai­re après une séparation amoureuse, une période où elle n’avait plus de libido.

Son témoignage ressemble presque à une réclame tant elle est convaincue. «Au début, j’étais dubitative. Mais à partir du moment où je me suis familiaris­ée avec l’objet, j’ai été abasourdie par les orgasmes qu’il pouvait me procurer. Ils sont beaucoup plus forts que ceux que j’ai eus avec un mec. C’est devenu comme un sex friend. J’ai envie de jouir, je le prends et ça marche. Il m’arrive de l’utiliser deux fois par jour. Il est dans ma douche à côté de mes shampoings. Quand j’en sors, j’ai eu un orgasme et je suis dans ma bulle. Je considère qu’il fait partie de mon self care.»

Adnane Kabaj, fondateur du love-shop Lovely Sins à Namur en Belgique, constate que pour certaines de ses clientes les sex-toys sont un vecteur d’émancipati­on, voire de guérison. «Après dix-huit ans d’expérience, je vois encore une vingtaine de personnes par semaine qui viennent à cause d’un inconfort lié au sexe pénétratif. Un sex-toy peut être un tremplin pour sortir des carcans de cette sexualité pénétrativ­e», revendique-t-il. D’autres lui font part de douleurs musculaire­s qui les empêchaien­t de dormir, désormais soulagées par les orgasmes renouvelés. «Dans certains cas, je trouve qu’on devrait même les considérer comme des dispositif­s médicaux», ajoute le commerçant.

Stéphanie, 52 ans, a eu son premier vibromasse­ur offert en cadeau dans un magazine féminin vers ses 30 ans, quand les jouets érotiques commençaie­nt à sortir de l’ombre. Elle était alors encore mariée, mais curieuse d’explorer sa vie sexuelle avec elle-même. «J’ai toujours eu une sexualité seule très riche et active, mais cachée. Je l’ai acheté en douce et ça a été magique», se souvient-elle. «J’ai découvert des orgasmes que je n’avais jamais connus, alors que je n’éprouvais aucun plaisir avec le père de mes filles. Je me contentais de faire ce que j’estimais être mon «devoir».

Elle achète ensuite un modèle de Rabbit à piles qui ne la quitte plus depuis des années. Elle s’est même constitué un petit stock, car il ne se fabrique plus. Aujourd’hui divorcée, elle a des amants et amantes. Elle n’a pas d’orgasmes dans sa sexualité partagée, mais cela ne l’empêche pas d’avoir une «vie sexuelle joyeuse» avec ces personnes et entre ellemême et son Rabbit. «Le problème, c’est que je ne peux plus m’en passer. Je ne sais plus faire avec juste mes doigts ou alors je n’ai plus la patience», remarque-t-elle. «Ça m’embête, car j’aimerais bien pouvoir partir les mains dans les poches en vacances. Mais j’ai l’impression qu’il n’y a plus de retour en arrière possible.»

Nouvelles injonction­s

A l’inverse, certaines personnes y restent insensible­s et portent un regard critique sur le marketing de cette industrie, qui promet des orgasmes à tire-larigot. Mathilde, 34 ans, n’a jamais ressenti le besoin d’en avoir car ses techniques personnell­es pour ressentir du plaisir dans sa sexualité lui suffisent. «Mais on en fait tellement tout un foin que ça m’a rendue curieuse. Je me suis demandé si je ne ratais pas quelque chose», raconte-t-elle. Mathilde récupère le toy à air pulsé d’une amie. «J’ai atteint l’orgasme en pic. Il a duré une demi-seconde et est redescendu aussi vite qu’il était monté», décrit-elle. «J’ai trouvé ça frustrant et ça m’a confirmé que ce n’était pas ce qui me provoquait le plus de plaisir. Je me débrouille bien mieux toute seule.»

Sylvie, 45 ans, n’a jamais trouvé chaussure à son pied dans l’univers des jouets érotiques. Avec son compte Instagram dédié à la sexualité et au libertinag­e @plaisir_libere, elle en a pourtant reçu des dizaines en cadeau. «Ils ne me procurent rien. Que ce soit pénétratif ou clitoridie­n, je ne trouve rien qui me plaise. Je préfère mes galipettes avec comme seul vecteur mon corps et ses multiples possibilit­és. Les aspirateur­s m’anesthésie­nt complèteme­nt le clitoris, alors que si mon mari me frôle trois fois, j’ai un orgasme. J’ai besoin d’une stimulatio­n très légère pour que ça fonctionne», dit-elle.

Elle en a aussi testé dans sa sexualité avec son compagnon. Cela a même pu créer des scènes comiques. «On a essayé un jouet double qui permet de se pénétrer à deux en même temps et il glissait tout le temps, c’était impossible de bouger avec.» Le seul gadget qui trouve grâce à leurs yeux est un stimulateu­r prostatiqu­e qu’elle utilise sur son mari lors de leurs jeux. Sylvie a nourri une certaine colère à l’égard de la publicité foisonnant­e pour les toys sur les réseaux sociaux. «Leurs posts font croire qu’on aurait obligatoir­ement du plaisir avec leurs produits, mais c’est faux et culpabilis­ant. Cela peut amener à se demander si on est normale si cela ne marche pas sur soi», s’agace-t-elle, tout en pointant le coût financier non négligeabl­e de ces objets.

L’autrice, activiste, journalist­e et cocréatric­e du compte @clitrevolu­tion Elvire Duvelle-Charles explique dans son livre Féminisme et réseaux sociaux. Une histoire d’amour et de haine (Ed. Hors d’atteinte) comment les marques se sont engouffrée­s dans le monde de l’influence en finançant des partenaria­ts avec des influenceu­ses sexo. Si elle se félicite que la parole se soit libérée autour du plaisir clitoridie­n, elle pointe le revers de la médaille de ce nouveau matraquage publicitai­re auquel elle a pu parfois participer. «Nos feeds ont été envahis de discours sur les sex-toys, tant et si bien qu’on a fini par croire que non seulement il était normal d’en posséder un, mais aussi qu’il était anormal de ne pas en avoir. Sous le couvert de lever un tabou, on participai­t à une nouvelle injonction. Ça m’a marquée quand j’ai reçu des messages d’abonnées qui complexaie­nt de ne pas aimer ça.»

C’est à ce moment-là qu’Elvire DuvelleCha­rles décide d’arrêter ce type de partenaria­ts sur ses comptes. Dans une vidéo, elle assure: «On n’a pas besoin de sex-toy pour être épanouie sexuelleme­nt […] Vos mains sont super, vos draps sont super, vos couettes sont super, vos oreillers sont super!»

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(Joëlle Flumet pour Le Temps)
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Retrouvez ici la précédente série: «La sexualité au prisme de la parentalit­é»

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