Face aux attaques renouvelées de la Russie, le difficile sursaut européen
La démonstration de force, organisée à l’initiative du parti de l’ex-premier ministre Imran Khan pour contester les résultats d’élections jugées partiales et injustes, n’a pas réussi à mobiliser. Les manifestants ont été intimidés par la police, et plusie
Le tableau s’assombrit. Deux ans après l’agression russe de l’Ukraine, le rapport de force s’est-il inversé? Après l’échec de l’assaut de Moscou sur Kiev, la guerre d’usure pourrait tourner à l’avantage d’une Russie passée en mode d’économie de guerre soutenue par la Corée du Nord et l’Iran. Durant tout le weekend, Vladimir Poutine semblait ainsi jouer à distance avec les nerfs des alliés de l’Ukraine réunis à Munich pour une Conférence sur la sécurité.
Première stupeur, vendredi, avec l’annonce de la mort d’Alexeï Navalny. Le message? Il n’y aura désormais plus d’opposition dans une Russie soudée de gré ou de force derrière son chef. Deuxième choc, samedi, Moscou annonce la prise d’Avdiivka. Cette cité minière ukrainienne n’était peut-être pas stratégique, mais elle confirme que, sur le terrain, les troupes russes ont retrouvé leur supériorité. Ce n’est pas encore une défaite, mais lorsque Volodymyr Zelensky explique que la priorité est désormais de sauver ses soldats épuisés, il faut bien le reconnaître: on frôle le sauve-qui-peut.
Après l’Europe de l’Est, Berlin et Paris s’alarment
L’an dernier, dans la capitale bavaroise, Européens et Américains affichaient leur unité pour donner une leçon au chef du Kremlin. Le camp des démocraties s’affichait en ordre de bataille contre les autocrates. Ce camp avançait avec ses valeurs en bandoulière, mais pas seulement. L’aide militaire et humanitaire traduisait un effort réel de solidarité. L’espoir était que d’autres pays, au Sud, se rallieraient à ce combat. C’était une erreur. Le Sud n’est pas indifférent, mais la guerre en Ukraine n’est pas la sienne. C’est une cause européenne.
Le conflit israélo-palestinien n’a fait qu’affaiblir un peu plus l’idée d’une coalition des tenants du droit international face à Moscou.
Deux ans plus tard, le constat s’impose. Le soutien calibré à Kiev s’avère insuffisant. Si l’avenir de l’Europe se joue en Ukraine, alors les armes et munitions arrivent en trop petit nombre et trop lentement face à la machine de guerre de Poutine. Après l’Europe de l’Est, Berlin et Paris s’alarment à présent de la désinformation russe qui menace directement la stabilité politique du continent. Au fil des débats, à Munich, s’imposait ainsi la nécessité d’une action bien plus décisive. La lutte pour rétablir la paix sera de longue haleine. Elle se chiffrera en dizaine de milliards d’euros.
Les chefs d’Etat, ministres et officiers réunis en Bavière ont affiché leur volontarisme. Ils ne cachent toutefois plus leurs interrogations. Avec un pouvoir d’achat en berne et une extrême droite en embuscade, les Européens sont-ils capables d’un sursaut face aux assauts russes? Le doute s’installe. C’est une première victoire pour Vladimir Poutine. Reste à l’Europe à lui prouver qu’il a tort. Elle en a largement les ressources. Mais a-telle pris conscience de l’ampleur de la menace?
Le nombre de policiers dépasse largement celui des manifestants face au siège du Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), à Lahore. Armées de bâtons, les forces de l’ordre s’emploient à disperser systématiquement tout nouveau groupe de protestataires, progressivement réduits au silence, sous la bannière de leur leader incarcéré, l’ex-premier ministre Imran Khan, affichée sur la façade du bâtiment. «Nous sommes ici aujourd’hui parce que cette élection est complètement truquée, c’est du vol et nous nous battons contre ça. Nous voulons du changement», s’indigne Rahila Komal, 60 ans. Cette mère au foyer fait partie des quelques soutiens déterminés, présents malgré la confusion autour des lieux.
Semi-victoire pour le PTI
Initialement organisée au Club de la presse de la capitale culturelle du Pakistan, la mobilisation s’est déplacée devant la permanence locale du PTI, découragée par l’important dispositif policier. Accusés de «bloquer la route», les manifestants n’ont guère eu droit de cité. Dès les premières minutes, une dizaine d’entre eux sont arrêtés, dont l’avocat Salman Akram Raja, le candidat du PTI dans l’une des circonscriptions de Lahore. «Ils m’arrêtent illégalement. Je suis avec le public et nous continuerons à faire entendre ma voix pour la vérité», a-t-il assuré pendant qu’il était emmené par la police vers l’un des camions.
Dans le reste du pays, des milliers de personnes se sont rassemblées à l’appel du parti, afin de dénoncer des élections vues comme injustes. Au coeur d’Islamabad, la capitale, le gigantesque parc Fatima Jinnah est devenu le théâtre de cette colère, malgré le souvenir traumatisé de la répression des mouvements du 9 mai 2023, dans la foulée de l’arrestation d’Imran Khan. Au même moment, un commissaire de Rawalpindi a affirmé que les résultats des élections générales avaient été manipulés sous sa surveillance. «J’assume la responsabilité de tous ces actes répréhensibles. Nous avons fait perdre des candidats indépendants – qui avaient une avance de 70 000 à 80 000 voix – en apposant de faux tampons», a-t-il déclaré, précisant que le commissaire électoral en chef et un haut magistrat de la Cour suprême étaient impliqués. Il a également démissionné de son poste. Une semi-victoire pour Imran Khan et ses partisans.
Tout au long de la campagne, le PTI a été empêché de faire campagne au même titre que les autres concurrents. Contraints de se présenter comme indépendants, les candidats n’ont pas eu le droit d’utiliser l’emblématique logo du parti, une batte de cricket, ni d’organiser des meetings politiques. Le leader et fondateur du parti, Imran Khan, a été condamné à deux peines de prison quelques jours avant le scrutin, tenu le 8 février, alors qu’il était déjà incarcéré et inéligible pour cinq ans. Malgré ces difficultés, les candidats indépendants affiliés au PTI ont obtenu 93 sièges sur 266, arrivant ainsi en tête des suffrages. Mais, après cinq jours d’incertitude, le parti adverse de la Ligue musulmane pakistanaise (PMLN), soutenu par l’establishment, la puissante armée, a annoncé la formation d’un gouvernement de coalition représenté par Shehbaz Sharif, avec le Parti du Peuple (PPP). La composition doit être soumise au vote du parlement avant le 29 février. Les électeurs et cadres du PTI contestent ce dénouement et dénoncent une fraude massive orchestrée par les militaires. Leur mobilisation de ce samedi doit apparaître comme une démonstration de force.
Sauf qu’à Lahore, les manifestants ont été complètement empêchés d’exprimer leur mécontentement. «Ils ne nous autorisent pas à manifester parce que ce n’est pas une démocratie! Ils sont en train de détruire la nation!» fulmine Rehan d’une voix forte. Le vieil homme de 69 ans, à la dense barbe blanche et au regard camouflé par d’épaisses lunettes de soleil noires, se présente comme un supporteur du PTI de la première heure. Il n’aurait manqué pour rien au monde le rassemblement. «La manif a changé plusieurs fois de lieu et d’heure, et pourtant nous n’avons toujours pas le droit d’être là, hurle-t-il. Ils nous harcèlent. Bien sûr que cette élection a été volée!» A ses côtés, Usman, débarqué de Turquie, tempère le propos: «Ce ne sont pas aux forces de l’ordre que j’en veux, mais à l’armée. Je pense que l’establishment répond à l’agenda de la communauté internationale, qui n’apprécie pas Imran Khan mais a des intérêts au Pakistan.»
«Les gens ont peur»
«Beaucoup de gens ont investi de l’argent pour venir ici et montrer leur soutien en votant» ALI, MANIFESTANT
Un peu plus loin, sur le côté, Ali, 27 ans, regarde les policiers séparer un groupe de manifestants, suivi d’une nuée de caméras. Doctorant en physique à l’Université de Fribourg-en-Brisgau, le jeune homme a fait le voyage depuis l’Allemagne pour pouvoir voter. «Les résultats du PTI nous invitent à être optimistes, mais il y a encore beaucoup à faire quand on regarde l’issue officielle. L’establishment sait que nous soutenons Imran Khan, et c’est notre droit de nous battre contre l’oppression. Car oui, nous parlons bien d’un régime d’oppression», grince-t-il, montrant autour de lui les protestataires disséminés. Ali certifie ne pas avoir peur des autorités, mais comprend la crainte de ses concitoyens. «Les gens ont peur à Lahore, parce que je pense que la police a davantage de pouvoir ici qu’à Islamabad.» Son père aussi, Hasaf, s’est déplacé d’Arabie saoudite pour soutenir le PTI, mais il ne peut pas développer ses arguments. Un commandant de police lui intime l’ordre de quitter les lieux. «Beaucoup de gens avaient des attentes. Ils ont investi de l’argent pour venir ici et montrer leur soutien en votant, sans résultat», a-t-il tout juste le temps de lâcher, avant de s’engouffrer dans sa voiture avec son fils.
Au milieu d’un groupe d’irréductibles manifestants, un tout petit garçon de 5 ans à peine, s’époumone. Le bonhomme, loin d’être en âge de voter, crie pourtant des slogans politiques et harangue la minuscule foule, qui lui répond avec enthousiasme, avant que la police ne fasse irruption de nouveau. L’un des badauds, Mehan, le regarde avec attendrissement et espoir: «La troisième génération aussi attend Imran Khan.»
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