A Genève, l’heure de vérité pour le «Cé qu’è lainô»
La majorité de droite veut inscrire l’hymne dans la Constitution cantonale pour préserver son héritage. Un geste jugé disproportionné par la gauche. La population aura le dernier mot le 3 mars
XC’est un de ces débats hautement émotionnels dont Genève a le secret. Lancé sur un malentendu par un député, il a embrasé le Grand Conseil sur fond de clivage gauche-droite avant de déboucher sur un vote populaire. Près de quatre siècles après sa création, le Cé qu’è lainô se retrouve ainsi au coeur d’un scrutin le 3 mars prochain. L’enjeu? Son inscription dans la Constitution en tant qu’hymne officiel du canton de Genève.
Tout est parti des interrogations du député socialiste Sylvain Thévoz à propos de ce chant écrit en franco-provençal au début du XVIIe siècle aux accents jugés anti-laïques et belliqueux. Dans une question écrite déposée l’an dernier, il suggérait au Conseil d’Etat de remettre au goût du jour les 68 strophes qui narrent la victoire de la République protestante sur les Savoyards dans la nuit du 11 au 12 décembre 1602. Un exploit baptisé Escalade et dûment célébré depuis.
«Il n’est pas nécessaire de couler les traditions dans le marbre. Même le Jura, pour qui la «Rauracienne» est sacrée, ne l’a pas fait» SYLVAIN THÉVOZ, DÉPUTÉ SOCIALISTE AU GRAND CONSEIL GENEVOIS
Préserver «l’ADN genevois»
Piquée au vif par ces ardeurs réformatrices, l’UDC a immédiatement dégainé un projet de loi pour ériger une armure autour du Cé qu’è lainô, ce chant populaire entonné avec ferveur en classe, lors des prestations de serment ou encore des matchs de hockey et de football. Non seulement, il ne bougerait pas d’un iota, mais on lui ferait une place de choix dans la Constitution.
La majorité de droite a soutenu cette proposition, à l’exception du groupe Libertés et justice sociale. Toute modification de la Constitution étant soumise à l’approbation populaire, un vote a dû être organisé. Au grand dam de la gauche et du Conseil d’Etat qui plaidait pour une solution intermédiaire, à savoir une inscription dans la loi, aucun canton ni même la Confédération ne mentionnant d’hymne dans sa Constitution.
Mais pour le député Stéphane Florey, à l’origine du projet, la loi ne suffit pas. Seule la Constitution est à même de protéger durablement l’hymne des «assauts répétés du wokisme». «Maintenant que l’idée d’une réécriture a été lancée, on sait qu’elle reviendra», s’inquiète l’élu pour qui le Cé qu’è lainô fait partie du patrimoine culturel et historique du canton. «Il compose l’ADN genevois et doit à ce titre être préservé.»
Que vient faire un hymne, tout populaire soit-il, dans un texte consacré aux droits fondamentaux? «Oui, cela peut paraître bizarre, mais n’oublions pas que les armoiries du canton figurent aussi dans la Constitution. Si la votation passe, on sera les premiers à sauter le pas et peut-être que d’autres cantons nous suivront», veut croire Stéphane Florey.
«Têtes coupées, potences et bûchers»
«Attristé» par la tournure du débat, Sylvain Thévoz déplore pour sa part que l’UDC ait déclenché un vote par jusqu’au-boutisme alors qu’il y a des enjeux plus importants à régler. «On voit qu’une simple question à propos d’un texte historique provoque une levée de boucliers de la droite identitaire, qui se sent immédiatement attaquée», déplore l’élu, qui maintient ses interrogations. «Au-delà des premières strophes, peu de gens connaissent véritablement le Cé qu’è lainô. Or, il comprend quantité d’hommages religieux, mais aussi des récits d’exécutions, entre têtes coupées, potences et bûchers. J’aurais aimé qu’une véritable discussion ait lieu sur la comptabilité de cet hymne avec les valeurs laïques et pacifistes de Genève.»
S’il reconnaît que le Cé qu’è lainô est populaire et vit dans le coeur des gens, cela ne justifie pas pour autant une inscription dans la Constitution. «Les traditions évoluent avec le temps, il n’est pas nécessaire de les couler dans le marbre, rappelle-t-il. Même le Jura, pour qui la Rauracienne est sacrée, ne l’a pas fait.»
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