Le Temps

Credit Suisse maintient son rang

FONDS DE PLACEMENT Le secteur n’a pas été bouleversé par l’intégratio­n de Credit Suisse dans UBS. L’ex-deuxième banque du pays n’a pas subi la même vague de retraits que sur les dépôts, même si des clients ont rejoint des gérants plus spécialisé­s

- @sebruche X SÉBASTIEN RUCHE

Avec le rachat de Credit Suisse par UBS, la gestion d’actifs suisse a également connu un tournant qui s’est traduit par des changement­s dans la structure du marché, reconnaiss­ait l’Asset Management Associatio­n (AMAS) fin janvier. Le lobby de la gestion d’actifs suisse présentait alors les statistiqu­es des fonds autorisés en Suisse. Leur fortune totale a progressé de 3,7% sur un an, à 1371 milliards de francs fin décembre 2023, après une année marquée par une redistribu­tion des cartes en faveur de gérants plus petits et plus spécialisé­s. Alors que Credit Suisse avait subi une fuite des dépôts de ses clients lorsque la banque s’enfonçait dans les difficulté­s en 2022, le même phénomène ne s’est pas produit dans les fonds de placement.

Les deux plus grands promoteurs, UBS et Credit Suisse, ont vu leur part de marché cumulée reculer sur un an de 2,4 à 37,6%. Les dix plus grands acteurs ont également subi une baisse, à 70,6% de parts de marché cumulées (-2,4%, soit environ 33,6 milliards de francs d’avoirs en moins). «Cela signifie que les profession­nels de la finance qui ont déplacé leurs fonds des deux grandes banques sont plutôt allés vers des acteurs qui ne figurent pas parmi les dix plus grands, ils ont donc choisi des gérants plus petits et/ou plus spécialisé­s», analyse Christian Carron, directeur général de Gérifonds, une société de direction de fonds appartenan­t à la BCV.

Un risque moins élevé

Surtout, ces mouvements hors de Credit Suisse se sont essentiell­ement déroulés au premier semestre, voire dans la dernière partie de 2022, lorsque l’ex-deuxième banque du pays tanguait déjà sérieuseme­nt. «Mais une décision de déplacer des fonds de placement est beaucoup moins émotionnel­le qu’une décision de déplacer des dépôts, car en cas de faillite, les fonds sont ségrégués, ils ne font pas partie de la masse en faillite, contrairem­ent aux dépôts», observe encore notre interlocut­eur, fin connaisseu­r de la gestion institutio­nnelle. Selon lui, les profession­nels qui ont déplacé leurs fonds de placement voulaient surtout se diversifie­r et ne pas avoir UBS pour seul prestatair­e après la fusion.

Il est possible que des fonds restent estampillé­s Credit Suisse, qui bénéficie d’une bonne image dans l’institutio­nnel. «Mais si UBS et Credit Suisse identifien­t des doublons dans leurs gammes, en particulie­r dans la gestion passive qui offre des marges très faibles, il ne serait pas sensé de conserver des fonds sous chacune des marques. Dans la gestion active, en revanche, les équipes sont l’élément déterminan­t dans le choix de rester ou de quitter un prestatair­e de services», conclut Christian Carron.

Par rapport à fin juin 2023, UBS a maintenu sa part de marché à 25% en fin d’année, tandis que celle de Credit Suisse reculait modérément, à 12,6%. C’est surtout au deuxième trimestre 2023 que des fonds de placement ont changé de promoteurs, la part de marché des dix plus grands passant de 73,2% fin mars à 71% fin juin. Un mouvement de cette ampleur et de cette rapidité est historique sur ce marché traditionn­ellement très stable.

Sur l’ensemble de l’année, Swisscanto et Pictet apparaisse­nt comme les gagnants de cette redistribu­tion. Le premier, propriété de la Banque cantonale de Zurich, complète le podium et augmente sa part de marché à 10,3%, contre 9,7% fin juin. Le groupe bancaire genevois conserve son 5e rang et sa part de marché de 5,8%. Parmi les autres membres de ce top 10, le numéro 4 Blackrock est passé de 7,8 à 7,3% de part de marché au deuxième semestre, tandis que les autres maintenaie­nt leur position, à part GAM (l’ex-10e fin 2022) désormais devancé par Zurich Assurance.

Une tendance à «préférer la sécurité au rendement»

Sur l’ensemble du marché, quelque 5,8 milliards de francs de capitaux supplément­aires ont rejoint les fonds autorisés en Suisse l’an dernier, après des sorties nettes de 4,9 milliards en 2022. La progressio­n enregistré­e en 2023 s’explique principale­ment par un dernier trimestre solide sur les marchés boursiers et un afflux proche de 16 milliards dans des fonds monétaires. Ces derniers ont attiré plus de 34 milliards de francs de nouveaux capitaux depuis le 1er trimestre 2022, reflétant la tendance des investisse­urs à «préférer la sécurité au rendement», observait Adrian Schatzmann, le directeur général de l’AMAS lors de la présentati­on des statistiqu­es du marché suisse. Ce biais défensif se voit également dans les afflux vers les fonds d’actions et d’obligation­s, «qui se sont largement concentrés sur les placements suisses, ce qui est typiquemen­t l’expression d’une attitude prudente parmi les investisse­urs», précise-t-il encore.

En revanche, le nombre de fonds autorisés a reculé de 19 unités à 10 463, les créations de fonds de droit suisse (+37) n’ayant pas compensé la dissolutio­n de 56 fonds étrangers. Un peu moins de la moitié des fonds sont des fonds d’actions.

Il est rarissime que le nombre de fonds autorisés baisse, observe Christian Carron, directeur général de Gérifonds: «2023 a été très calme, après une année 2022 très agitée sur les marchés, en particulie­r au niveau de l’obligatair­e, qui avait reculé en même temps que les actions. En 2023, les investisse­urs ont d’abord craint une récession, puis cette peur s’est dissipée et ils se sont préoccupés de l’inflation. On a donc constaté peu de créations de fonds et peu de dissolutio­ns».

«Il est rarissime que le nombre de fonds autorisés baisse»

CHRISTIAN CARRON, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE GÉRIFONDS

D’autres raisons peuvent avoir pesé, comme l’attente de l’officialis­ation du L-QIF, un nouveau type de fonds offrant une grande liberté de gestion et une mise sur le marché potentiell­ement très rapide (moins d’un mois). Ce nouveau type de véhicule pourra être lancé dès le 1er mars. Le renforceme­nt de la réglementa­tion peut aussi avoir joué, en particulie­r en matière de durabilité, obligeant les acteurs des fonds à devoir préciser leur politique de placement des fonds existants plutôt qu’à lancer de nouveaux véhicules. Enfin, «les deux grandes banques ont eu d’autres choses en tête que de créer des fonds l’an dernier».

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(ZURICH, 27 OCTOBRE 2022/MICHAEL BUHOLZER/KEYSTONE) Selon les experts, les profession­nels de la finance se sont diversifié­s après la fusion.
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