Jugée trop «addictive», Tinder est attaquée en justice en Californie
APPLICATION Le jour de la Saint-Valentin, une plainte a été déposée contre Match, le groupe possédant Tinder, Hinge ou Meetic. En cause: des fonctionnalités visant une dépendance de ses utilisateurs, sacrifiés sur l’autel du profit
La Saint-Valentin, c’était mercredi dernier. La fête de l’amour, des roses éthiopiennes… et des règlements de compte. A San Francisco ce 14 février, six utilisateurs se sont associés pour déposer une plainte fédérale contre le groupe Match, société américaine propriétaire des applications de rencontres bien connues Tinder, Hinge ou encore Meetic.
En cause, des fonctionnalités jugées addictives, s’appuyant sur une «manipulation de la dopamine» et qui auraient comme objectif de «transformer les utilisateurs en joueurs, enfermés dans une quête de récompenses psychologiques que Match rend volontairement insaisissables.» A la clé, de juteux abonnements sans cesse renouvelés, les coeurs devenus de simples marchandises sacrifiées sur l’autel du profit.
De quoi contredire la devise de Hinge, app contemporaine de Tinder qui s’implante de plus en plus en Suisse, se présentant comme «l’application de rencontre conçue pour être supprimée»?
Plus concrètement, les plaignants dénoncent une violation des lois fédérales sur la publicité mensongère et la protection des consommateurs. «Ridicule et sans fondement», a rétorqué un porte-parole de Match. «Nous nous efforçons activement de faire en sorte que les gens se rendent chaque jour à des rendez-vous et quittent nos applications. Quiconque affirme le contraire ne comprend pas l’objectif et la mission de l’ensemble de notre secteur.»
Certains n’ont pas hésité à évoquer le documentaire de HBO Swiped: Hooking Up in the Digital Age (2018), dans lequel le cofondateur de Tinder Jonathan Badeen expliquait que le «swipe», au coeur de son interface, était partiellement inspiré d’une célèbre expérience du psychologue comportementaliste Burrhus Skinner. Dans les années 1940, l’expert américain était parvenu à conditionner des rats et des pigeons, enfermés dans une boîte et nourris à intervalles irréguliers, à actionner sans cesse le levier responsable de l’alimentation dans l’espoir d’une potentielle récompense. «Tout comme les pigeons peuvent être conditionnés à picorer à intervalles déterminés, les utilisateurs peuvent être conditionnés à «swiper» sans cesse», n’hésitent pas à comparer les plaignants. Un dating façon machine à sous qui a de quoi créer des sentiments de frustration, voire de solitude et d’impuissance.
Au-delà des techniques utilisées – récompenses bien placées, notifications incessantes – qui ne sont pas le propre des seules applications de rencontres (on pense aux jeux mobiles du type Candy Crush), c’est la question de la responsabilité qui est posée: Tinder et les autres sontils tenus d’avertir leurs utilisatrices et utilisateurs du risque de dépendance? Les éduquer sur les biais qu’elles développent? Opter pour plus de transparence quant aux algorithmes qui régissent les matchs?
Selon le média NPR, l’action en justice de la Saint-Valentin s’inscrit dans une tendance plus générale, celle de la multiplication des plaintes contre les plateformes et réseaux sociaux, dont on souligne de plus en plus le rôle de «gamification» de l’expérience humaine.
En septembre dernier, une quarantaine d’Etats américains se liguaient pour attaquer Meta, accusé d’exploiter, manipuler les jeunes et d’alimenter une vaste crise de santé mentale.
Les nouvelles cigarettes
«Je ne suis pas du tout surprise que cette affaire ait été portée devant les tribunaux. Je pense que les grandes entreprises technologiques sont les nouveaux fabricants de tabac, car les smartphones créent une dépendance aussi forte que les cigarettes», déclarait samedi Mia Levitin, autrice du livre The Future of Seduction, dans les colonnes du Guardian. Et le nombre d’utilisateurs et utilisatrices d’applications de rencontres n’a rien à envier au pourcentage de fumeurs. En 2022, on en aurait recensé 366 millions dans le monde et selon une étude de 2018, les millennials passeraient en moyenne dix heures par semaine à faire défiler les conquêtes sur leurs smartphones.
Si plus personne ne met en doute l’explosion du dating en ligne, l’efficacité de ces recherches virtuelles reste, elle, largement débattue. Certains soulignant le nombre de couples formés sur internet (27% en Suisse en 2017), d’autres relevant les comportements problématiques nés de ces relations virtuelles – le ghosting en tête de file.
Mais en Occident, cette «gamification» de la romance n’a rien de nouveau, préfère nuancer Lee Mackinnon, maître de conférences au London College of Communication, interrogée par le Guardian. En effet, à l’époque de l’amour courtois, les métaphores compétitives ne manquaient pas, et on se gargarisait déjà de cette course à l’attention – avec, traditionnellement, la main d’une dame comme prix ultime.
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