Les investisseurs activistes, ce mal nécessaire
Depuis jeudi, c’est au tour d’une entreprise suisse d’être attaquée par un investisseur qui en pense beaucoup de mal, et qui le dit haut et fort. Temenos a été accusée de manipulations comptables majeures et de diverses malversations par Hindenburg Research, une société newyorkaise qui dénonce ce qu’elle perçoit comme des fraudes au sein d’entreprises cotées en bourse. Temenos, qui édite des logiciels pour les banques, a chuté de 30% à Zurich jeudi, puis de 4,6% vendredi. Personne ne sait vraiment si les allégations de Hindenburg sont exactes – Temenos dément catégoriquement – mais elles ont instillé le doute dans la tête des investisseurs. Cette affaire remet un coup de projecteur sur les sulfureux activistes à l’image de Hindenburg.
Décrits comme des vautours qui s’attaquent à des entreprises affaiblies, de tels investisseurs parient sur leur baisse en bourse. Ils prennent une position dans ce sens, qu’on appelle une vente à découvert, puis partagent leurs informations avec le reste du monde. Tout cela peut s’apparenter à de la manipulation de cours et détruire une entreprise.
Il faut pour cela que le marché partage ces soupçons, ou au moins ne les balaie pas d’un revers de la main. Si le cours baisse, les vendeurs à découvert comme Hindenburg clôturent leur position et encaissent un bénéfice, qui a pu atteindre 30% sur la seule journée de jeudi.
Autre critique visant ces acteurs: leurs sources peuvent avoir des comptes à régler avec l’entreprise sur laquelle ils révèlent des informations négatives. Dans le cas de Temenos, Hindenburg a précisé s’est entretenu avec 25 anciens employés, y compris des cadres.
Oui, la fraude existe dans les entreprises
Reste que les activistes de ce genre peuvent révéler des faiblesses dans des entreprises, faire émerger des informations cachées ou même démasquer d’authentiques fraudes. Car, oui, la fraude existe: chaque année, 11% des grandes sociétés cotées en bourse violent les règles sur les valeurs mobilières, selon une récente recherche des universités de Toronto, Chicago et de Californie. Qui précise que 43% de ces sociétés se trompent dans leurs comptes annuels. En temps normal, un tiers des fraudes sont détectées par les auditeurs (qui sont payés par les sociétés qu’ils surveillent) ou les régulateurs (qui n’ont pas de moyens illimités, notre Finma en sait quelque chose). En Suisse, l’opérateur de la bourse nous a confirmé enquêter systématiquement lors de soupçons de fraude. Mais quand même, toute aide supplémentaire est bienvenue.
Le problème avec les affirmations d’acteurs comme Hindenburg est que les situations ne sont jamais noires ou blanches. Des assertions sont prononcées avec véhémence, mais le fin mot de l’histoire apparaît dans le meilleur des cas des années plus tard. Et la plupart du temps jamais. Les entreprises attaquées prennent souvent des mesures destinées à «restaurer la confiance des investisseurs», et qui en réalité servent aussi à répondre à certaines critiques émises par l’activiste. Ce qui, concrètement, améliore les pratiques des entreprises.
Pas suivis aveuglément
La bonne nouvelle est que ce genre de révélations n’est pas suivi aveuglément par les marchés. Dans le doute, les investisseurs jouent la prudence. Ils essaient surtout d’évaluer la crédibilité du porteur des révélations. Ses affirmations doivent avoir de la substance. Si le marché réagit par une forte progression du titre concerné (et cela arrive), c’est le signe qu’il n’y croit pas. Avec le risque pour l’activiste de ne plus être écouté à l’avenir, et de perdre immédiatement beaucoup d’argent s’il a parié sur la baisse de l’action en question.
Dans une vente à découvert, le potentiel de gain est limité (une action ne peut pas tomber plus bas que zéro), alors que le risque de perte est illimité (comme la progression théorique d’un titre). De quoi calmer les ardeurs d’activistes qui voudraient (trop) exagérer leurs affirmations. Ils peuvent néanmoins jouer un rôle de contre-pouvoir face aux légions de financiers qui ne font que répéter que «ça va monter». Même imparfait, le pouvoir.
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