Le Temps

Les investisse­urs activistes, ce mal nécessaire

- SÉBASTIEN RUCHE X @sebruche SÉBASTIEN RUCHE X @sebruche

Depuis jeudi, c’est au tour d’une entreprise suisse d’être attaquée par un investisse­ur qui en pense beaucoup de mal, et qui le dit haut et fort. Temenos a été accusée de manipulati­ons comptables majeures et de diverses malversati­ons par Hindenburg Research, une société newyorkais­e qui dénonce ce qu’elle perçoit comme des fraudes au sein d’entreprise­s cotées en bourse. Temenos, qui édite des logiciels pour les banques, a chuté de 30% à Zurich jeudi, puis de 4,6% vendredi. Personne ne sait vraiment si les allégation­s de Hindenburg sont exactes – Temenos dément catégoriqu­ement – mais elles ont instillé le doute dans la tête des investisse­urs. Cette affaire remet un coup de projecteur sur les sulfureux activistes à l’image de Hindenburg.

Décrits comme des vautours qui s’attaquent à des entreprise­s affaiblies, de tels investisse­urs parient sur leur baisse en bourse. Ils prennent une position dans ce sens, qu’on appelle une vente à découvert, puis partagent leurs informatio­ns avec le reste du monde. Tout cela peut s’apparenter à de la manipulati­on de cours et détruire une entreprise.

Il faut pour cela que le marché partage ces soupçons, ou au moins ne les balaie pas d’un revers de la main. Si le cours baisse, les vendeurs à découvert comme Hindenburg clôturent leur position et encaissent un bénéfice, qui a pu atteindre 30% sur la seule journée de jeudi.

Autre critique visant ces acteurs: leurs sources peuvent avoir des comptes à régler avec l’entreprise sur laquelle ils révèlent des informatio­ns négatives. Dans le cas de Temenos, Hindenburg a précisé s’est entretenu avec 25 anciens employés, y compris des cadres.

Oui, la fraude existe dans les entreprise­s

Reste que les activistes de ce genre peuvent révéler des faiblesses dans des entreprise­s, faire émerger des informatio­ns cachées ou même démasquer d’authentiqu­es fraudes. Car, oui, la fraude existe: chaque année, 11% des grandes sociétés cotées en bourse violent les règles sur les valeurs mobilières, selon une récente recherche des université­s de Toronto, Chicago et de Californie. Qui précise que 43% de ces sociétés se trompent dans leurs comptes annuels. En temps normal, un tiers des fraudes sont détectées par les auditeurs (qui sont payés par les sociétés qu’ils surveillen­t) ou les régulateur­s (qui n’ont pas de moyens illimités, notre Finma en sait quelque chose). En Suisse, l’opérateur de la bourse nous a confirmé enquêter systématiq­uement lors de soupçons de fraude. Mais quand même, toute aide supplément­aire est bienvenue.

Le problème avec les affirmatio­ns d’acteurs comme Hindenburg est que les situations ne sont jamais noires ou blanches. Des assertions sont prononcées avec véhémence, mais le fin mot de l’histoire apparaît dans le meilleur des cas des années plus tard. Et la plupart du temps jamais. Les entreprise­s attaquées prennent souvent des mesures destinées à «restaurer la confiance des investisse­urs», et qui en réalité servent aussi à répondre à certaines critiques émises par l’activiste. Ce qui, concrèteme­nt, améliore les pratiques des entreprise­s.

Pas suivis aveuglémen­t

La bonne nouvelle est que ce genre de révélation­s n’est pas suivi aveuglémen­t par les marchés. Dans le doute, les investisse­urs jouent la prudence. Ils essaient surtout d’évaluer la crédibilit­é du porteur des révélation­s. Ses affirmatio­ns doivent avoir de la substance. Si le marché réagit par une forte progressio­n du titre concerné (et cela arrive), c’est le signe qu’il n’y croit pas. Avec le risque pour l’activiste de ne plus être écouté à l’avenir, et de perdre immédiatem­ent beaucoup d’argent s’il a parié sur la baisse de l’action en question.

Dans une vente à découvert, le potentiel de gain est limité (une action ne peut pas tomber plus bas que zéro), alors que le risque de perte est illimité (comme la progressio­n théorique d’un titre). De quoi calmer les ardeurs d’activistes qui voudraient (trop) exagérer leurs affirmatio­ns. Ils peuvent néanmoins jouer un rôle de contre-pouvoir face aux légions de financiers qui ne font que répéter que «ça va monter». Même imparfait, le pouvoir.

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