Le Temps

Marchés privés, une opportunit­é avec des risques spécifique­s

- ALFREDO PIACENTINI CHRONIQUEU­R

Si les marchés privés ont longtemps été l’apanage d’investisse­urs institutio­nnels spécialisé­s, on pense notamment aux fondations de prestigieu­ses université­s américaine­s, leurs portes s’ouvrent désormais à un public plus large. A l’heure où la manne des banques centrales s’est tarie, et avec une réglementa­tion du secteur bancaire qui continue de freiner l’offre de crédit, le private equity – et ses corollaire­s dans l’obligatair­e, l’immobilier ou encore l’infrastruc­ture – occupe en effet une place fondamenta­le dans les circuits de financemen­t des entreprise­s. Que les investisse­urs privés puissent aussi y participer est une excellente chose, à condition d’être encadrés par des spécialist­es et d’en apprécier pleinement les risques.

Et maintenant, les particulie­rs

Depuis la fin de la grande crise financière, les encours en private equity ont été multipliés par 5, pour atteindre 7600 milliards de dollars en 2022. Sans compter 1300 milliards de dollars de fonds dédiés à la dette privée. La législatio­n américaine Dodd-Frank de 2010, forçant les banques à réduire la voilure de leur bilan, a porté un coup d’accélérate­ur à la croissance de ces marchés privés – nourrie aussi par la longue période de taux zéro et la pandémie de covid.

La poursuite de cette tendance reposerait désormais, à en croire certains grands acteurs du secteur, sur un intérêt grandissan­t de la part de particulie­rs disposant d’un patrimoine élevé.

En octobre dernier, Blackstone annonçait ainsi vouloir doubler la taille de son équipe desservant la clientèle privée. Une clientèle dont la part du portefeuil­le allouée aux marchés privés dépasse aujourd’hui rarement 5% – contre 30% pour de nombreux fonds de pension étrangers et plus de 50% pour les fondations universita­ires américaine­s pionnières du domaine.

La tentation de vendre au pire moment

S’agissant de notre pays plus particuliè­rement, une étude publiée fin 2022 par Mercer et Titanbay décrit effectivem­ent un fort intérêt pour les marchés privés de la part d’individus fortunés. Parmi les quelque 100 personnes sondées, 30% indiquaien­t avoir déjà des positions dans leur portefeuil­le et 40% de celles non encore exposées souhaitaie­nt le devenir, à condition que l’accès se simplifie. Les obstacles cités à cet égard tournaient autour du manque d’expertise, des longues périodes d’incessibil­ité, du seuil d’investisse­ment minimal important…

«L’investisse­ur qui souhaite s’exposer à cette classe d’actifs a donc tout intérêt à opter pour la version originelle, non liquide»

Avant de revenir sur ces considérat­ions ô combien importante­s, attardons-nous un instant sur l’opportunit­é qu’offrent les marchés privés dans le contexte conjonctur­el actuel. S’il est vrai que le resserreme­nt monétaire mené par les banques centrales depuis 2022 constitue un défi pour une classe d’actifs qui a énormément profité de l’ère de l’argent gratuit, le pire de la remontée des taux semble derrière nous – sur fond d’inflation en net recul. Les modèles de valorisati­on par actualisat­ion des cash-flows futurs, typiques du private equity, devraient donc être moins pénalisés. La dette inhérente à des opérations de LBO redeviendr­a aussi plus abordable et gageons que le «mur de refinancem­ent» auquel font face nombre d’entreprise­s pourrait être franchi sans trop de dégâts.

Accepter d’autres risques

Quant à l’incertitud­e géopolitiq­ue qui continue de planer, et pourrait à tout moment entraîner de brusques correction­s sur les marchés financiers, nous considéron­s – de manière peut-être un peu paradoxale – qu’investir dans les marchés privés peut contribuer à en limiter les dégâts potentiels pour un portefeuil­le, du moins sur le plan de la volatilité. En effet, en acceptant de se «bloquer» durablemen­t dans cette classe d’actifs, un investisse­ur réduit aussi le risque de succomber à la tentation (bien documentée par les chercheurs en économie comporteme­ntale) de vendre au pire moment.

Cet investisse­ur accepte en contrepart­ie plusieurs autres risques. La complexité, tant administra­tive que du point de vue analytique, est effectivem­ent bien plus grande dans les marchés privés, requérant une équipe de spécialist­es dédiés et un savoir-faire bien établi. Il en découle aussi une variabilit­é très importante des performanc­es, largement supérieure à ce qui prévaut dans le monde des fonds en actions cotées.

Enfin, sur la question de l’incessibil­ité, nous observons avec une certaine circonspec­tion les produits dits «semi-liquides» qui commencent à être proposés. Le packaging peut paraître alléchant à première vue, mais il ne s’agit que de fenêtres de vente ponctuelle­s, et seulement pour une partie de la position.

Si trop de clients devaient s’engager dans de tels produits en les pensant véritablem­ent liquides puis, dans un moment de panique de marché, cherchaien­t tous à en sortir simultaném­ent, alors se poserait le problème de l’illiquidit­é du sous-jacent. Ce qui risquerait de jeter un discrédit sur les marchés privés dans leur ensemble, film que nous avons déjà vu par le passé sur d’autres types d’actifs.

Au final, l’investisse­ur qui souhaite s’exposer à cette classe d’actifs a donc tout intérêt à opter pour la version originelle, non liquide. Cet actif va réellement contribuer à diversifie­r son portefeuil­le et en augmenter les rendements annuels projetés – sur un horizon temps nécessaire­ment long.

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