Marchés privés, une opportunité avec des risques spécifiques
Si les marchés privés ont longtemps été l’apanage d’investisseurs institutionnels spécialisés, on pense notamment aux fondations de prestigieuses universités américaines, leurs portes s’ouvrent désormais à un public plus large. A l’heure où la manne des banques centrales s’est tarie, et avec une réglementation du secteur bancaire qui continue de freiner l’offre de crédit, le private equity – et ses corollaires dans l’obligataire, l’immobilier ou encore l’infrastructure – occupe en effet une place fondamentale dans les circuits de financement des entreprises. Que les investisseurs privés puissent aussi y participer est une excellente chose, à condition d’être encadrés par des spécialistes et d’en apprécier pleinement les risques.
Et maintenant, les particuliers
Depuis la fin de la grande crise financière, les encours en private equity ont été multipliés par 5, pour atteindre 7600 milliards de dollars en 2022. Sans compter 1300 milliards de dollars de fonds dédiés à la dette privée. La législation américaine Dodd-Frank de 2010, forçant les banques à réduire la voilure de leur bilan, a porté un coup d’accélérateur à la croissance de ces marchés privés – nourrie aussi par la longue période de taux zéro et la pandémie de covid.
La poursuite de cette tendance reposerait désormais, à en croire certains grands acteurs du secteur, sur un intérêt grandissant de la part de particuliers disposant d’un patrimoine élevé.
En octobre dernier, Blackstone annonçait ainsi vouloir doubler la taille de son équipe desservant la clientèle privée. Une clientèle dont la part du portefeuille allouée aux marchés privés dépasse aujourd’hui rarement 5% – contre 30% pour de nombreux fonds de pension étrangers et plus de 50% pour les fondations universitaires américaines pionnières du domaine.
La tentation de vendre au pire moment
S’agissant de notre pays plus particulièrement, une étude publiée fin 2022 par Mercer et Titanbay décrit effectivement un fort intérêt pour les marchés privés de la part d’individus fortunés. Parmi les quelque 100 personnes sondées, 30% indiquaient avoir déjà des positions dans leur portefeuille et 40% de celles non encore exposées souhaitaient le devenir, à condition que l’accès se simplifie. Les obstacles cités à cet égard tournaient autour du manque d’expertise, des longues périodes d’incessibilité, du seuil d’investissement minimal important…
«L’investisseur qui souhaite s’exposer à cette classe d’actifs a donc tout intérêt à opter pour la version originelle, non liquide»
Avant de revenir sur ces considérations ô combien importantes, attardons-nous un instant sur l’opportunité qu’offrent les marchés privés dans le contexte conjoncturel actuel. S’il est vrai que le resserrement monétaire mené par les banques centrales depuis 2022 constitue un défi pour une classe d’actifs qui a énormément profité de l’ère de l’argent gratuit, le pire de la remontée des taux semble derrière nous – sur fond d’inflation en net recul. Les modèles de valorisation par actualisation des cash-flows futurs, typiques du private equity, devraient donc être moins pénalisés. La dette inhérente à des opérations de LBO redeviendra aussi plus abordable et gageons que le «mur de refinancement» auquel font face nombre d’entreprises pourrait être franchi sans trop de dégâts.
Accepter d’autres risques
Quant à l’incertitude géopolitique qui continue de planer, et pourrait à tout moment entraîner de brusques corrections sur les marchés financiers, nous considérons – de manière peut-être un peu paradoxale – qu’investir dans les marchés privés peut contribuer à en limiter les dégâts potentiels pour un portefeuille, du moins sur le plan de la volatilité. En effet, en acceptant de se «bloquer» durablement dans cette classe d’actifs, un investisseur réduit aussi le risque de succomber à la tentation (bien documentée par les chercheurs en économie comportementale) de vendre au pire moment.
Cet investisseur accepte en contrepartie plusieurs autres risques. La complexité, tant administrative que du point de vue analytique, est effectivement bien plus grande dans les marchés privés, requérant une équipe de spécialistes dédiés et un savoir-faire bien établi. Il en découle aussi une variabilité très importante des performances, largement supérieure à ce qui prévaut dans le monde des fonds en actions cotées.
Enfin, sur la question de l’incessibilité, nous observons avec une certaine circonspection les produits dits «semi-liquides» qui commencent à être proposés. Le packaging peut paraître alléchant à première vue, mais il ne s’agit que de fenêtres de vente ponctuelles, et seulement pour une partie de la position.
Si trop de clients devaient s’engager dans de tels produits en les pensant véritablement liquides puis, dans un moment de panique de marché, cherchaient tous à en sortir simultanément, alors se poserait le problème de l’illiquidité du sous-jacent. Ce qui risquerait de jeter un discrédit sur les marchés privés dans leur ensemble, film que nous avons déjà vu par le passé sur d’autres types d’actifs.
Au final, l’investisseur qui souhaite s’exposer à cette classe d’actifs a donc tout intérêt à opter pour la version originelle, non liquide. Cet actif va réellement contribuer à diversifier son portefeuille et en augmenter les rendements annuels projetés – sur un horizon temps nécessairement long.
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