Le Temps

«L’hydrogène est la clé du zéro net»

Après la crise la plus importante de l’histoire du secteur, EasyJet fête ses 25 ans de présence en Suisse. Recrutemen­t, nouvelle offre de voyage à forfait, réduction des émissions, le directeur des marchés du groupe, Thomas Haagensen, dresse les perspecti

- PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE MEYER-VACHERAND X @etiennemey­va

Cette année, cela fera vingt-cinq ans que la compagnie aérienne orange aura posé ses valises en Suisse. Peu à peu, EasyJet Switzerlan­d s’est imposée comme la deuxième compagnie suisse pour les vols courte distance et pèse aujourd’hui pour 47,1% et 62,5% des parts de marché à Genève et à Bâle. Après les turbulence­s de la période covid, elle vient d’achever le recrutemen­t de 145 personnes dans le cadre du déploiemen­t de trois nouveaux appareils sur ses bases de Genève et Bâle. La compagnie a aussi lancé en début d’année son offre de voyage à forfait, EasyJet Holidays, en Suisse. Thomas Haagensen, directeur des marchés du groupe EasyJet, revient à cette occasion sur les évolutions à venir pour la compagnie à bas coût.

Depuis la fin de la pandémie, les prix des billets s’envolent. Pensez-vous parvenir à maintenir des tarifs attractifs dans les années à venir? Notre priorité absolue est de maintenir une base de coûts ultra-efficiente. Par exemple, notre commande de 157 avions supplément­aires auprès d’Airbus pour remplacer des appareils plus anciens et moins efficaces est absolument nécessaire pour continuer à maintenir une base de coûts compétitiv­e. Ce qui est certain, c’est que nous allons continuer à offrir des prix plus bas que les compagnies traditionn­elles.

Pour la survie d’EasyJet, est-il nécessaire que vous retrouviez des chiffres positifs sur votre dernier exercice? La période du covid a été compliquée financière­ment mais nous l’avons abordée avec un des bilans les plus sains et solides du secteur aérien. Nous possédions une grande majorité de nos avions et aujourd’hui nous allons augmenter cette part. C’est aussi pour cela que nous avons pu ressortir de cette crise avec un des niveaux d’endettemen­t les plus faibles du secteur. Contrairem­ent à certaines compagnies, nous ne pouvions compter que sur nous-même. Nous avons bénéficié des mesures de soutien à une activité partielle, ce dont nous sommes reconnaiss­ants. Mais nous sommes loin d’être une compagnie nationale où le gouverneme­nt est un actionnair­e. Il était donc évidemment important de renouer avec les chiffres positifs, aussi pour démontrer que la demande est de retour.

Vous détenez la majorité des parts de marché à Genève et à Bâle, EasyJet peut-elle encore croître en Suisse? Il y a évidemment des contrainte­s de capacité des aéroports ou de slots [crénaux] disponible­s. Mais il y a toujours des opportunit­és, la preuve, cet hiver nous avons ajouté trois avions à Genève et à Bâle. Nous avons plus de 80 liaisons au départ de Genève et nous ajoutons huit nouvelles routes. Nous parlons souvent des nouvelles destinatio­ns mais il faut aussi savoir que nous essayons d’étoffer nos routes existantes par exemple en cherchant à proposer un retour dans la journée pour des destinatio­ns plus orientées affaires.

Depuis des années, la question de la pénurie de pilotes revient régulièrem­ent. Vous venez pourtant de recruter 145 personnes dont 41 pilotes. Cette attractivi­té vaut-elle uniquement pour la Suisse? Non, elle se vérifie à l’échelle du groupe parce que nous offrons des conditions attractive­s, avec un équilibre entre le travail et la vie privée qui est intéressan­t, puisque les équipages, autant les pilotes que le personnel de cabine, rentrent à la maison en fin de journée. Nous sommes aussi attractifs parce que nous sommes un employeur stable avec des perspectiv­es de croissance. Nous avons un programme de formation des cadets au niveau du groupe. Donc nous avons une filière déjà bien établie. Nous recrutons aussi des pilotes suisses qui ont travaillé sur du long-courrier pour des compagnies à l’étranger mais qui souhaitent retrouver un cadre de vie en Suisse.

Vous indiquez que le salaire à l’entrée pour le personnel de cabine est de 4600 francs brut, comprenant un intéressem­ent sur les ventes réalisées dans les avions. Selon les syndicats, cette part variable peut peser jusqu’à 1000 francs certains mois. Ces conditions salariales ne favorisent-elles pas l’embauche de personnel frontalier? Les salaires du personnel de cabine d’EasyJet Switzerlan­d sont alignés sur ceux du marché suisse. Comme nous l’avons signalé, notre compagnie est très attractive et c’est très réjouissan­t de pouvoir attirer des candidatur­es suisses et européenne­s. Il est important de considérer l’ensemble des conditions de travail offertes, telles que le nombre de jours de congé annuels et les nombreuses options de temps partiels qui sont uniques en Suisse.

Cette année est aussi celle des premiers voyageurs suisses avec votre offre de voyages à forfait EasyJet Holidays. Quel est votre objectif de rentabilit­é pour la Suisse? Nous ne communiquo­ns pas sur les objectifs locaux. Pour l’exercice 2022-2023, le bénéfice avant impôt d’EasyJet Holidays a été de 122 millions de livres [135 millions de francs, ndlr], sur un total de 455 millions. C’est une activité très rentable pour nous puisque 1,9 million de passagers sur les 82 millions que nous avons transporté l’an dernier ont utilisé ce service. Avec l’important potentiel au RoyaumeUni ainsi que l’ouverture du service en Suisse, en Allemagne et en France, notre objectif serait de doubler cette rentabilit­é à moyen terme.

Migros a annoncé la mise en vente d’Hotelplan. Seriez-vous intéressés par un rachat? Nous avons créé EasyJet Holidays en 2019, ensuite il y a eu le covid. Là, nous avons eu une très bonne année en Angleterre et nous avons lancé ces nouveaux marchés. Pour l’instant, notre objectif, c’est la croissance organique. Nous ne voulons pas devenir un tour-opérateur classique, notre état d’esprit, c’est de construire EasyJet Holidays dans la même veine que la compagnie aérienne, c’est-à-dire parvenir à des économies d’échelle, être très numériques et pouvoir croître de manière flexible sans ajouter une base de coût fixe importante. Nous pouvons proposer des prix très attractifs grâce à ce modèle très axé sur le numérique, à des contrats directs avec les hôtels et surtout l’accès à nos vols bon marché.

EasyJet a passé une commande de 157 Airbus A320neo en décembre. Ces dernières semaines, les difficulté­s de son concurrent Boeing ont fait couler beaucoup d’encre. Peuvent-elles perturber les livraisons? Il y a beaucoup de contrainte­s en termes de capacité et d’accès à de nouveaux appareils pour beaucoup de compagnies. Il y a ces problèmes chez Boeing mais aussi pour les appareils équipés de moteurs Pratt & Whitney [des centaines d’Airbus A320neo vont devoir être immobilisé­s pour une maintenanc­e anticipée suite à la découverte d’un défaut cet été, ndlr]. Heureuseme­nt, nous ne sommes pas concernés. Nous sommes un partenaire proche d’Airbus depuis longtemps et nous sommes heureux d’avoir pu signer ce contrat avec une assurance de production entre 2029 et 2034. Les créneaux de production se font rares et cela nous donne une base stable pour le remplaceme­nt de notre flotte et notre croissance jusqu’en 2034.

Depuis ses débuts, EasyJet n’a pas connu de crash, mais ces derniers mois deux incidents ont été enregistré­s en Suisse, dont un où l’avion concerné avait adopté une trajectoir­e qui aurait pu le mener dans le lac Léman. Comment les expliquez-vous? Pour être clair, à aucun moment la sécurité des passagers et du personnel de cabine n’a été menacée. Nous ne pouvons pas commenter davantage car une enquête est en cours. La sécurité de nos passagers et de notre équipage est toujours la priorité absolue d’EasyJet.

Vous motivez aussi l’achat de nouveaux avions par la réduction des émissions polluantes. Mais pour certains, la solution passe par la limitation des vols, particuliè­rement au niveau intra-européen, votre coeur de métier. Les A320neo, comme ceux que nous venons de déployer à Genève, représente­nt 15% d’émission de CO2 en moins et 50% de bruit en moins au décollage et à l’atterrissa­ge. Mais la complément­arité de l’aérien et du train est un non-débat.

Finalement, c’est le consommate­ur qui choisit, mais on voit bien que quand il y a des liaisons ferroviair­es sur des trajets de trois heures, trois heures et demie, les gens préfèrent le train. Nous avons une base à Genève et une autre à Bâle, nous n’effectuons pas de vols entre les deux. Si des infrastruc­tures de train rapide se développen­t, nous adapterons notre réseau. Il y a aussi une pensée qui émerge de faire financer le rail par l’aérien, ce qui est une fausse bonne idée. Si des investisse­ments massifs sont réalisés dans l’infrastruc­ture ferroviair­e, les émissions de CO2 pour sa mise en plus seront colossales pour une implémenta­tion dans de nombreuses années, à un horizon où l’aérien devrait avoir atteint le zéro net. Surtout, cela empêcherai­t le secteur d’accélérer sa transition.

Quant à limiter le nombre de vols par personne dans une vie? C’est un peu un débat de privilégié­s. Parce que les 25 ans d’EasyJet en Suisse, ce sont aussi 25 ans de démocratis­ation de l’aérien. Il y a deux décennies, un vol vers Barcelone coûtait presque autant que de voler aujourd’hui vers New York. Augmenter les prix des billets, c’est en refaire un produit pour personnes privilégié­es socialemen­t. Depuis Genève, il y a beaucoup de vols vers des pays dont les Suisses d’aujourd’hui sont originaire­s, c’est une question de liens familiaux. Le développem­ent économique et touristiqu­e de certains de ces pays est adossé à l’aviation.

Avec l’annonce d’un tour du monde par Bertrand Piccard, les projecteur­s ont à nouveau été braqués sur l’aviation à hydrogène. C’est la solution pour laquelle EasyJet a opté. Nous sommes de fervents promoteurs de l’hydrogène. Les compagnies traditionn­elles sont peu intéressée­s parce que leur coeur de métier, c’est le long courrier et sur ce segment l’hydrogène ne sera pas une solution avant très longtemps. Mais pour notre réseau, c’est tout à fait à propos. Finalement, les SAF [carburants alternatif­s, ndlr] sont une manière de recycler du CO2 mais il y a tout de même des émissions. La seule façon de parvenir au zéro net, c’est l’hydrogène. Nos partenaire­s, Airbus et Rolls-Royce avancent à grands pas dans ce domaine. La question aujourd’hui n’est pas de savoir si la technologi­e va exister ou non, le véritable enjeu, c’est la montée en puissance de la production d’hydrogène vert.

«Nous ne voulons pas devenir un touropérat­eur classique»

Allez-vous investir dans ce domaine pour aider le marché à émerger? Non parce que l’hydrogène sera nécessaire pour de nombreuses autres industries et que nous ne sommes qu’une goutte d’eau dans un océan à ce niveau-là. Ce qu’il faut, ce sont des stratégies de production mises en place par des gouverneme­nts. Et on commence à la voir, beaucoup de pays ont décidé que c’était un enjeu stratégiqu­e et investisse­nt. En octobre, nous avons lancé une alliance Hydrogen in Aviation avec différents partenaire­s pour accélérer le développem­ent d’une aviation décarbonée. Nous parlons beaucoup d’hydrogène, mais évidemment, cela ne nous dédouane pas de baisser nos émissions actuelles.

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(GENÈVE, 9 FÉVRIER 2024/CLARA WATT POUR LE TEMPS) Thomas Haagensen: «Augmenter les prix des billets, c’est en refaire un produit pour personnes privilégié­es socialemen­t.»

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