Derrière la polémique, une rivalité tenace
MONDIAUX 2027 Alors que la Fédération internationale de ski menace de retirer l’organisation de l’événement à Crans-Montana, les tensions existant entre les présidents de la FIS et de SwissSki, Johan Eliasch et Urs Lehmann, sont de toutes les conversations
Est-ce que toute l’histoire se résume à une guerre d’ego? C’est ce qu’il se dit, à Crans-Montana, dès que les calepins se referment et que les micros s’éteignent. Alors que la Fédération internationale de ski (FIS) a menacé de retirer l’organisation des Championnats du monde de ski alpin 2027 à la station valaisanne, la rivalité tenace qu’entretiennent le président de l’instance Johan Eliasch et celui de Swiss-Ski, Urs Lehmann, nourrit toutes les conversations.
Les deux noms n’apparaissaient pas dans le communiqué publié par la FIS, vendredi soir. Le texte regrette que la candidature de Crans-Montana, plébiscitée en mai 2022, se soit appuyée sur des garanties financières lacunaires sinon inexistantes. Et elle prévient que si la situation ne rentre pas dans l’ordre, une réattribution ne peut pas être exclue. Eliasch et Lehmann n’ont pas davantage été cités samedi par les différents partenaires impliqués dans l’organisation de l’événement sur le Haut-Plateau, à l’heure d’exprimer, en substance, leur surprise et leur incompréhension face à l’opération de communication de la FIS.
Par ailleurs, les deux hommes eux-mêmes sont restés discrets ce week-end. Johan Eliasch n’était pas à Crans-Montana pour les épreuves de Coupe du monde, contrairement à Urs Lehmann, mais ce dernier n’a signé qu’une courte apparition devant les caméras des chaînes nationales de télévision. Sinon, le directeur commercial Diego Züger a donné le point de vue de la Fédération suisse. C’est elle, rappelons-le, qui a la main sur l’organisation des Mondiaux 2027. Elle a pris le relais du comité de candidature local lorsque le dossier a été retenu par les membres du Conseil de la FIS, à Milan, en mai 2022.
Centralisation des droits
A l’époque, quatre concurrents étaient en lice: Crans-Montana en Suisse, Garmisch-Partenkirchen en Allemagne, Narvik en Norvège et Soldeu en Andorre. Cette dernière candidature était la plus redoutée. Il se murmurait en coulisses qu’elle avait pour elle la préférence, et le discret lobbying, d’un Johan Eliasch reconnaissant: la Fédération andorrane l’avait soutenu l’année précédente lors de l’élection du successeur du Grison Gian-Franco Kasper à la tête de la FIS. La Suisse, l’Allemagne et la Norvège avaient donné leur voix à d’autres candidats. Le deuxième à avoir obtenu le plus de suffrages? Urs Lehmann.
Avant d’être battu dans les urnes, l’ancien skieur zurichois disait du milliardaire suédois et britannique qu’il était «un bon candidat», s’appuyant notamment sur son travail remarquable à la tête de la marque de skis Head. Mais les sujets de discorde n’ont pas tardé à apparaître après l’élection.
D’un côté, un nouveau président de la FIS aux ambitions profondément réformatrices, notamment dans le sens d’une mondialisation et d’une modernisation des différentes disciplines, et aux méthodes parfois brutales. De l’autre, un «champion» des grandes nations historiques des sports d’hiver attachées à défendre leurs acquis. Celles-ci craignent par exemple la centralisation des droits commerciaux, un des grands projets de Johan Eliasch, dont l’intéressé disait dans nos colonnes l’automne dernier qu’elle n’aurait «que des vainqueurs».
Quand, en mai 2022, il s’agit déjà de réélire Johan Eliasch, aucun candidat ne s’oppose à lui. Mais plusieurs fédérations s’offusquent du mode de scrutin: pas d’autre option à part donner une voix au président sortant ou s’abstenir. Quatre d’entre elles, dont Swiss-Ski, déposent une plainte auprès du Tribunal arbitral du sport avant de la retirer un peu moins d’une année plus tard. La FIS se félicite que «les accusations dénuées de substance» n’aient plus cours et que «la légitimité de la réélection du président Eliasch ne fasse plus aucun doute». Mais les quatre plaignants martèlent que leur conception du droit n’a pas changé: ils n’ont renoncé à la procédure que parce qu’elle entravait la bonne marche des affaires courantes.
Nouvel épisode de tension en janvier 2024, après les courses masculines de Wengen où plusieurs graves blessures sont survenues
Un nouvel épisode de tension survient au mois de janvier 2024, après les courses masculines de Wengen où plusieurs graves blessures sont survenues. Urs Lehmann pointe la mauvaise gestion du calendrier par la FIS. «Il faut penser à qui le fait. C’est une personne seule, chez elle. On ne peut pas faire comme cela», déclaret-il à différents médias, sans laisser guère de doutes quant à l’identité de la «personne seule» qu’il a en tête.
La riposte ne se fait pas attendre: la FIS publie un communiqué pour renvoyer le président de Swiss-Ski à ses responsabilités de membre du Conseil de la FIS, statut qui lui vaut de participer à l’élaboration des calendriers, et «condamne fermement» des déclarations qu’elle juge «contraires à l’éthique». «Un membre du Conseil a le devoir d’agir avec intégrité et en ayant à coeur les meilleurs intérêts de la FIS», estime l’instance. Ambiance.
Retour à Crans-Montana, où les représentants de la commune, du canton et de l’organisation assurent que «des solutions seront trouvées» par rapport aux quelques points à éclaircir avant de signer le contrat définitif d’organisation des Mondiaux 2027. Les uns évoquent des «discussions constructives en cours», les autres des négociations somme toute classiques à ce stade d’un tel projet. Elles concerneraient certains aspects financiers et/ ou marketing et, nous dit-on, les dissensions auraient pu être aplanies à l’interne, si le contexte était apaisé et les relations fluides entre la FIS et Swiss-Ski. Mais cela fait un bout de temps qu’au plus haut niveau, ce n’est plus le cas.
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