Retraite à 66 ans: oui, mais pas comme ça
Responsable romande de la campagne en faveur d’une hausse de l’âge de la retraite, l’ancienne présidente des JLR neuchâtelois Anna Ludwig est une mordue de politique. Mais pas au point de trahir ses valeurs
C’est un grand classique: faut-il accepter un objet même imparfait pour faire avancer les choses ou le renvoyer pour améliorations? La votation du 3 mars sur le relèvement de l’âge de la retraite (initiative sur les rentes) soulève cette question. L’initiative répond à un vrai besoin. L’AVS sera dans les chiffres rouges dès 2030, ou 2026 si la 13e rente est acceptée le 3 mars prochain. Le problème est connu et répété à chaque votation touchant nos assurances sociales: le nombre de personnes actives baisse, celui des retraités augmente ainsi que le nombre de leurs années de vie. Les naissances ne compensent plus la génération des baby-boomers, bientôt tous inactifs. Faut-il pour autant augmenter l’âge de la
La formule soumise au peuple souffre de quelques défauts
retraite à 66 ans, puis de manière automatique chaque fois que l’espérance de vie s’améliore? C’est ce que propose l’initiative sur les rentes. Nous serions ainsi, par le mécanisme proposé, contraints de trimer jusqu’à 67 ans aux environs de 2043.
La responsable romande de l’initiative, Anna Ludwig, et ses co-initiants ont le grand mérite d’ouvrir frontalement le débat sur ce sujet, encore très tabou. Il faudra bien, un jour, admettre que les jeunes générations ne peuvent pas indéfiniment porter ce poids financier grandissant et que les autres solutions (baisser les rentes, augmenter les cotisations ou la TVA) sont moins pertinentes. D’autres pays ont franchi le pas. Les Irlandais et les Néerlandais travaillent jusqu’à 66 ans, les Danois et les Islandais jusqu’à 67.
Quel système est le bon? Le dispositif peut être meilleur que celui proposé. Refuser l’automatisme entre l’espérance de vie et l’augmentation de l’âge de la retraite, trop rigide. Intégrer le traitement des métiers pénibles, avec les exceptions qui ont du sens. Ou encore imaginer un moyen d’adapter les relèvements au contexte économique ou migratoire. Le cadre de ces réflexions existe déjà: le parlement a demandé au Conseil fédéral de lui soumettre une réforme pour la période après 2030, ce qui doit être fait d’ici à 2026. C’est bien dans cet environnement, impliquant l’indispensable débat politique, que doit se concocter la recette. Celle qui permettra de garantir une AVS solide et bien pensée pour les prochaines décennies. Grâce au sens des responsabilités mais aussi à toutes les nuances et les compromis dont la Suisse a le secret.
«Si les réactions sont si vives, c’est que l’on a touché un point sensible, et il est sain d’en débattre» ANNA LUDWIG, EX-PRÉSIDENTE DES JEUNES LIBÉRAUX-RADICAUX NEUCHÂTELOIS
Proposer d’augmenter l’âge de la retraite reste un tabou en Suisse, et elle en a bien conscience. Ce qui n’amoindrit aucunement la ferveur avec laquelle Anna Ludwig, 28 ans, s’engage pour convaincre la population que l’initiative des Jeunes libéraux-radicaux suisses soumise le 3 mars à la population est la meilleure solution pour assurer le financement à long terme de l’AVS. Soit travailler jusqu’à 66 ans dans un premier temps, puis adapter cette limite en fonction de l’évolution de l’espérance de vie. «Ça ne fait pas plaisir à entendre, mais il faut avoir une vision à long terme et pas pour dix ans comme le fait la gauche», martèle celle qui a endossé le rôle de responsable romande sur cette campagne.
Un record qui la rend fière
Cette bataille, la Neuchâteloise la mène depuis ses débuts en politique il y a 6 ans. «La récolte de signatures venait d’être lancée et je me suis beaucoup impliquée sur le terrain avec les JLRN. Notre section est celle qui a obtenu le plus de paraphes en Suisse romande, c’est une fierté.» Auparavant, elle a développé son amour du débat en tant que coprésidente du Conseil des étudiants de l’Université de Fribourg durant son bachelor en sociologie et philosophie. «J’ai ensuite fait une pause dans mes études pour travailler pour la Chancellerie fédérale, mais ces échanges me manquaient. C’est là que j’ai commencé à regarder ce que je pouvais faire au niveau politique.»
Amie de Nicolas Jutzet, alors fer de lance des JLR neuchâtelois et de la campagne «No Billag», Anna Ludwig décide de s’engager à ses côtés et deviendra plus tard présidente de la section. «J’ai des idées et des valeurs très libérales, dans le sens de sauvegarder la liberté de l’individu, et la ligne des JLR me correspondait bien. Cela ne signifie pas qu’il faut abandonner l’idée de solidarité. Mais il faut faire confiance aux individus plutôt que de s’enfoncer dans un paternalisme d’Etat qui part du principe que les gens ne vont pas réussir à se débrouiller. Evidemment, la liberté implique une responsabilité que chacun doit assumer. C’est ce que l’on fait en tant que jeunes qui proposent de travailler plus longtemps pour que l’AVS survive.»
Droite sur sa chaise, le regard perçant, Anna Ludwig parle politique avec une passion dévorante. Ce qui intéresse la doctorante en droit née d’une mère suisse alémanique et d’un père allemand, ce sont les dossiers au long cours, qui ont des conséquences sur l’ensemble de la population du pays. «J’ai très vite eu l’envie de m’impliquer sur des sujets avec une perspective nationale. Les sections cantonales font à mon sens trop souvent leurs trucs dans leur coin.»
Conseillère de l’ombre
Critique, mais pas pessimiste, elle déplore également le manque de remise en question des autorités fédérales. «Dans bien des domaines, comme l’énergie ou la prévoyance, on se trouve dans des situations compliquées parce que des erreurs ont été commises il y a 20 ans. Il faut oser le reconnaître et discuter franchement pour parvenir à redresser la barre. Ce n’est pas en faisant l’autruche qu’on va trouver des solutions.»
Le 3 mars sonnera pour elle la fin d’un travail de longue haleine, réalisé bien davantage dans l’ombre que sous les feux des projecteurs. Il a tout d’abord fallu gérer la précampagne, en réfléchissant à la manière de thématiser le sujet, aux événements à organiser, à la création des affiches et des prospectus de campagne, et surtout à l’argumentaire qui pourrait convaincre. Sont ensuite venus le temps de la campagne et la réactivité qu’elle implique. «Au début, on nous attaquait sur le fait que les plus de 50 ans peinaient à trouver un emploi. Nous y avons répondu et soudainement la peur du chômage a disparu, remplacée par la pénibilité du travail dans certaines professions. Les questions des journalistes ont aussi changé, il faut sans cesse s’adapter.»
«Il faut bosser»
Pour les sections romandes, la Neuchâteloise est aussi la personne qui prodigue des conseils aux troupes sur le terrain. «Les arguments ne sont pas forcément les mêmes selon que les militants sont jeunes ou plus âgés.» Cela peut aussi varier en fonction des régions ou des partis, par exemple pour l’UDC, qui a décidé de soutenir l’initiative sans forcément communiquer de la même manière. «Il faut y être très attentifs. Les militants doivent aussi apprendre à gérer des critiques parfois très violentes.» En tant que jeune femme, elle s’est d’ailleurs souvent vu reprocher de mener ce combat. «Si les réactions sont si vives, c’est que l’on a touché un point sensible, et il est de toute façon sain d’en débattre.»
A Neuchâtel, lors d’une petite action menée par des membres du comité des JLR à deux pas de la place Pury, le travail d’Anna Ludwig est salué. «Elle est très organisée, réfléchit à tous les détails, se demande toujours si les idées politiques proposées sont réalistes ou non. C’est quelqu’un de très pragmatique, avec un petit côté suisse alémanique, rit Alex Ferreira. Elle dit les choses et il faut bosser.»
Le PLR? «Pas assez libéral»
«C’est encourageant de voir des gens qui se battent pour leurs convictions et sur qui on peut toujours compter», poursuit la coprésidente de la section, Camille Hostettler. Et que pense-t-elle de sa ligne politique? «C’est sûr qu’elle est très libérale, ma ligne à moi est plus nuancée. Mais elle n’a pas peur de défendre ses très fortes convictions devant d’autres partis, ce qui n’est pas évident pour tout le monde.»
Alors qu’on aurait pu lui prédire une belle ascension au sein du parti cantonal, Anna Ludwig a pourtant décidé de le quitter en fin d’année dernière. «Actuellement, le PLR ne correspond plus à 100% à mes valeurs. Il n’est pas assez libéral au sens où je l’entends. La politique qui manque de courage, ça ne m’intéresse pas, et je ne suis pas dans une vision utilitariste où la fin justifie les moyens.» Pour le moment, elle n’envisage pas de rejoindre un autre parti. «Ça ne changerait pas le problème de fond.»
En créer un nouveau? Elle rit: «Pourquoi pas, mais je sais tout le travail que ça implique avant d’arriver au niveau fédéral.» Ce qui lui tient à coeur, c’est de mener cette campagne jusqu’au bout, et le travail est loin d’être terminé: «Il faudra ensuite s’attaquer au deuxième pilier. Je prends une pause par rapport à la politique partisane, mais il y a d’autres manières de faire bouger les choses, que ce soit au travers d’associations ou dans une carrière professionnelle qui a des liens directs avec la politique.»
Nouveau président du PLR neuchâtelois depuis début janvier, le député Francis Krähenbühl espère, quant à lui, qu’elle fera marche arrière: «Elle a la politique dans l’âme et s’est beaucoup engagée. Elle a une ligne, et il faut des gens comme elle qui disent haut et fort ce qu’ils pensent!»
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