Le Temps

Yulia Navalnaya, au nom d’Alexeï

La veuve de l’opposant Alexeï Navalny promet de poursuivre son combat. «Je n’ai pas peur. Vous ne devriez pas avoir peur non plus», dit-elle dans une vidéo

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES X @vdegraffen­ried

«J’espère et je crois que je verrai Alexeï libre. Rien n’est impossible quand vous êtes amoureux», déclarait-elle encore l’an dernier au Spiegel. La voilà veuve à 47 ans, plus combative que jamais.

Yulia Navalnaya porte un lourd héritage. Elle sait qu’elle a une mission: poursuivre le travail de son mari. «La lutte pour une Russie libre ne cessera jamais», avertit-elle dans une vidéo postée lundi sur la chaîne YouTube officielle de l’équipe de Navalny. Alors qu’elle fuyait habituelle­ment plutôt les projecteur­s, Yulia Navalnaya montre un nouveau visage.

Sur un fond sombre, le regard grave, assise face caméra, elle dit être habitée par la «haine et la colère» mais «ne pas avoir peur». Et lance: «Mon mari ne pouvait pas être brisé, et c’est exactement pour cela que Poutine l’a tué – comme un lâche, n’osant pas le regarder dans les yeux ou même dire son nom. Et maintenant, ils sont aussi lâches en cachant son corps, en ne le montrant pas à sa mère.» Et d’exhorter à mettre fin au «régime fou», à «frapper Poutine, ses amis et ses bandits en uniforme, ces voleurs et ces tueurs qui ont paralysé notre pays».

Yulia Navalnaya l’affirme: «En tuant Alexeï, Poutine a tué une moitié de moi – une moitié de mon coeur et une moitié de mon âme.» «Mais il me reste l’autre moitié, et elle me dit que je n’ai pas le droit d’abandonner.» Elle appelle les partisans d’Alexeï Nalvany à se rallier à elle et à «se battre plus désespérém­ent et plus furieuseme­nt qu’avant».

«Yulia, tu m’as sauvé»

Yulia Navalnaya n’a pas le temps de pleurer son mari. Après avoir participé à la Conférence de Munich sur la sécurité, où elle s’est exprimée, très digne, le jour même où elle a appris la mort de son époux, elle était lundi à Bruxelles, devant les ministres européens des Affaires étrangères. Elle a également rencontré Charles Michel, le président du Conseil européen, et Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE.

Cette femme charismati­que, économiste de formation, a fait front avec son mari, depuis qu’il est devenu une figure de l’opposition très médiatisée, dès 2007. Avec lui, elle a vécu arrestatio­ns, perquisiti­ons et intimidati­ons. Mais elle restait toujours derrière lui, un peu en retrait, préférant mettre en avant son rôle de femme et de mère.

«La lutte pour une Russie libre ne cessera jamais» YULIA NAVALNAYA, VEUVE DE L’OPPOSANT RUSSE ALEXEÏ NAVALNY

Elle devient malgré elle une figure publique en août 2020 et frappe par sa force, lorsque l’opposant, empoisonné en Sibérie par une substance de «type Novitchok», est hospitalis­é d’urgence à Omsk et est plongé dans le coma. Elle obtient son transfert à Berlin, après s’être battue sans relâche contre des médecins fidèles au régime et s’être adressée directemen­t à Vladimir Poutine. «Yulia, tu m’as sauvé», postera Alexeï Navalny sur les réseaux sociaux, une fois tiré d’affaires.

«Première dame de l’opposition»

Cinq mois plus tard, en janvier 2021, elle retourne en Russie avec son mari, consciente des risques encourus. Dans l’avion, alors qu’elle sait pertinemme­nt que c’est peut-être la dernière fois qu’elle se trouve aux côtés de l’homme qu’elle aime, elle ose la parodie d’un film culte russe avec cette phrase: «Garçon, apportez-nous de la vodka, on rentre à la maison!» Une marque d’humour devenue le liant du couple.

La suite est connue. Alexeï Navalny est arrêté à l’aéroport de Moscou, et depuis, ne ressortira jamais de prison. Yulia Navalnaya dit faire l’objet de persécutio­ns, visée parce qu’elle est «l’épouse d’un ennemi du peuple». Mais celle qui est parfois surnommée la «Première dame de l’opposition» ne faiblit pas. Elle sait qu’elle est le moteur de son mari.

Le 14 février, quelques jours avant de mourir, il lui lançait sur X, pour la Saint-Valentin: «Nous sommes peut-être séparés par des blizzards bleus et des milliers de kilomètres, mais je sens que tu es près de moi à chaque seconde, et je continue à t’aimer encore plus.» Un message passé par ses avocats qui lui rendaient visite en prison.

Alexeï Navalny et Yulia s’étaient rencontrés sur une plage de Turquie en 1998. Deux ans après, ils se marièrent. Ils ont deux enfants: Daria, née en 2001, et Zakhar, né sept ans plus tard. «Yulia Navalnaya est une fleur unique dans un groupe d’épouses politiques russes par ailleurs peu inspirées», écrit Anna Narinskaya dans un essai.

En mars 2023, Yulia Navalnaya apparaît à Los Angeles, à la cérémonie des Oscars, où le documentai­re Navalny a été primé. Inlassable­ment, elle défend la croisade de son mari, partout où elle peut. Même à Hollywood.

Elle a souvent déclaré qu’elle ne suivrait pas les traces de Svetlana Tikhanovsk­aïa, devenue la cheffe de l’opposition biélorusse et candidate à la présidenti­elle, au printemps 2020, quand son mari a été emprisonné. Mais depuis, elle suscite des attentes et espoirs toujours plus grands. Elle a d’ailleurs rencontré Svetlana Tikhanovsk­aïa vendredi à Munich, le jour où elle est devenue veuve.

Quand son mari luttait contre le poison qui le rongeait, Yulia Navalnaya soulignait dans une interview: «Je suis l’épouse. Si je m’effondre, tous les autres s’effondrero­nt à leur tour. Je me suis donc ressaisie.» Un sentiment qui, aujourd’hui, l’habite encore plus. Elle ne veut pas laisser de «vide» dans une opposition russe déjà affaiblie, qui s’est illustrée par des querelles intestines.

Tant à Munich qu’à Bruxelles, elle a surtout su démontrer une chose: elle incarne bien plus que l’image d’une veuve en colère d’un opposant de Vladimir Poutine. Une nouvelle figure politique est peut-être née. Mais en exil: Yulia Navalnaya n’est pas retournée en Russie depuis février 2022.

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(19 FÉVRIER 2024/DIDIER LEBRUN/IMAGO) Yulia Navalnaya a rencontré hier à Bruxelles les ministres européens des Affaires étrangères.

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