En RDC, l’étau se resserre autour de Goma
Des affrontements ont lieu entre les forces congolaises et les rebelles du M23 dans la ville de Saké, aux portes de la capitale du Nord-Kivu, ceinturée par des camps de réfugiés. La région craint l’émergence d’une guerre ouverte
Investi il y a un mois, le président congolais, Félix Tshisekedi, avait promis de ramener la paix dans le Nord-Kivu, à l'est du pays. Pourtant, à Goma, capitale de la province, voilà des années que la guerre n'avait pas été aussi proche. Depuis l'intensification des combats il y a deux semaines entre les forces congolaises alliées à des groupes armés et le M23 (Mouvement du 23 mars), soutenu par des unités de l'armée rwandaise, l'une des routes principales menant à la ville est bloquée, faisant craindre un manque d'approvisionnement. Des camions franchissent néanmoins la frontière rwandaise adossée à la ville, ouverte tous les jours jusqu'à 15h.
Dans la ville bordée au sud par le lac Kivu, la situation est particulièrement tendue. Les manifestants anti-Rwanda ont brûlé hier les drapeaux de pays occidentaux, les accusant de soutenir Kigali et, dans la nuit de samedi, l'armée congolaise a accusé le Rwanda d'avoir lancé une attaque de drones sur l'aéroport de Goma, endommageant plusieurs avions. Enfin, à Saké, dernier verrou à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Goma, les combats font rage. Selon des témoins, lundi à la mi-journée, un bombardement a tué un enfant de 12 ans et blessé cinq autres civils. La population est poussée à la fuite: des dizaines de milliers de personnes se dirigent vers les camps de réfugiés de la capitale du Nord-Kivu. En RDC, près de 7 millions de personnes sont déjà déplacées à l'intérieur du pays selon l'Organisation mondiale des migrations.
La ligne de front se rapproche
Goma, 1 million d'habitants, est entourée par des camps de réfugiés saturés où vivraient jusqu'à 600 000 personnes, dont 135 000 arrivées ces dernières semaines. «Nous sommes dans une situation unique: les positions d'artillerie de l'armée congolaise sont extrêmement proches des camps de réfugiés et plusieurs bombes sont déjà tombées sur Goma», explique un travailleur humanitaire depuis le Nord-Kivu. Cinq ans après son arrivée dans la région, c'est la première fois qu'il sent une menace si pressante sur la ville. «Plus la ligne de front se rapproche, plus les organisations humanitaires ont des problèmes d'accès aux camps de réfugiés. Le risque, c'est que face à la surmilitarisation des environs, la population des camps de la ceinture se déplace à l'intérieur de la ville, rendant la situation encore un peu plus complexe.»
A Goma, les prix flambent déjà. «Je doute du fait que le M23 souhaite prendre Goma, mais il peut resserrer son dispositif, étouffer la ville et, en quelque sorte, l'assiéger», explique Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l'Institut français de relations internationales (IFRI). Rébellion majoritairement tutsie, le M23 est apparu en 2012 et avait brièvement occupé Goma, avant d'être vaincu militairement. Il est réapparu en novembre 2021, reprochant au gouvernement de ne pas avoir respecté des accords sur la réinsertion de ses combattants. Depuis cette date, il contrôle plusieurs territoires dans la province.
L'intensification des combats dans l'est de la RDC marque aussi un changement de paradigme: les armes utilisées sont de plus en plus lourdes, provoquant toujours plus de blessés au sein de la population civile. Selon les renseignements français, «les M23 et l'armée rwandaise» sont en possession de véhicules blindés équipés de missile solair, de canons antiaériens et de systèmes portatifs de défense aérienne.
Les Etats-Unis haussent le ton
Mais surtout, le conflit se régionalise encore. D'un côté, l'armée congolaise (FARDC) est appuyée par des groupes armés, les wazalendo («patriotes» en kiswahili), la force de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) qui comprend 2900 militaires sud-africains et d'autres soldats de Tanzanie et du Malawi. Et Kinshasa travaille également avec au moins deux sociétés militaires étrangères: les mercenaires roumains et bulgares s'occupent principalement de la protection aérienne, de la formation des FARDC ou encore du pilotage de drone.
Face à eux, le M23 est soutenu par des unités de l'armée rwandaise. Dans un communiqué publié ce week-end, les EtatsUnis ont pour la première fois haussé le ton face au M23 et au Rwanda, appelant à une «cessation immédiate des hostilités» et demandant à Kigali de «retirer ses systèmes de missiles solair, qui menacent la vie des civils, des soldats de la force de l'ONU, d'autres forces de maintien de la paix régionales et d'humanitaires».
Dans l'est du pays, on sent le risque d'un embrasement et d'une guerre ouverte entre Kinshasa et Kigali. «Le président Tshisekedi n'a pas fait mystère pendant sa campagne électorale du fait qu'il allait régler le problème, ajoute Thierry Vircoulon. Tout le monde a compris que ça pouvait signifier une offensive militaire de grande ampleur et donc un conflit avec le Rwanda. La principale inquiétude qui retient Kinshasa pour le moment, c'est que l'armée congolaise soit défaite: elle l'a déjà été par le passé.»
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