Le Temps

Opposé à une 13e rente AVS, Adolf Ogi essuie une avalanche d’insultes

Après avoir pris position contre l’initiative soutenue par la gauche, l’UDC à la retraite se prend une volée de bois vert. Le politologu­e Georg Lutz voit dans ce nouvel épisode d’une campagne tumultueus­e le reflet d’un décalage entre l’élite et la base

- CÉLINE ZÜND X @celinezund

A deux semaines du scrutin, la tension est à son comble dans la campagne pour une 13e rente AVS. L’ancien conseiller fédéral Adolf Ogi en fait les frais. Dans l’Aargauer Zeitung lundi, il raconte avoir reçu une avalanche de courriers d’insultes, à la suite de sa prise de position contre l’initiative. Avec quatre autres anciens conseiller­s fédéraux bourgeois, dont Doris Leuthard et Johann Schneider-Ammann, mais aussi Joseph Deiss et Pascal Couchepin pour la Suisse romande, cette figure bien connue de l’UDC avait pris sa plume pour demander aux électeurs de voter non à ce texte pour garantir «la sécurité de l’AVS». Des centaines de milliers de citoyens ont reçu cet «appel urgent pour protéger notre AVS».

Un gros colis pour l’UDC

Depuis, une tempête de protestati­ons est tombée sur Adolf Ogi. Les réactions sont clairement négatives, un bon nombre carrément en dessous de la ceinture, s’émeut l’ancien élu dans le quotidien argovien. «Shame on you»; «Toi et ta grosse rente»; «Tu es un c… absolu»… Visiblemen­t, il ne s’attendait pas à recevoir un tel accueil. «Il est inadmissib­le que l’on diffame ainsi les anciens conseiller­s fédéraux. Eux aussi sont des êtres humains avec des droits et des devoirs», déclare-t-il dans le journal argovien, concluant que, décidément, il ne comprend plus la démocratie directe. Adolf Ogi a donc trié son courrier en trois catégories – e-mails, lettres signées et anonymes –, l’a rangé dans une boîte en carton qu’il a expédiée à son parti, lui demandant de répondre.

Le contexte économique explique en partie cette ambiance de campagne électrique. L’initiative soumise au vote le 3 mars, qui propose le versement d’une rente supplément­aire annuelle à tous les retraités, met en lumière la situation d’une part importante de la population alors que tout augmente: les primes d’assurance maladie, les coûts de l’énergie, des loyers et des denrées alimentair­es. La propositio­n des syndicats, à en croire les sondages, séduit aussi une bonne partie de l’électorat de la droite conservatr­ice, plutôt en force chez les plus de 60 ans. D’ailleurs, on s’attend à un taux élevé de oui, même dans des régions rurales plutôt bourgeoise­s.

Sans compter que le sujet concerne l’ensemble de la population. «L’AVS touche tout le monde. Chacun d’entre nous, soit paye une prime, soit en perçoit une. C’est aussi un fondement de notre système social», souligne Georg Lutz, politologu­e, professeur à l’Université de Lausanne. Le fait que les arguments purement économique­s portés par l’alliance de droite contre l’initiative ont de la peine à passer montre aussi un certain décalage des élites politiques avec les citoyens, souligne le politologu­e. «Cela s’est déjà manifesté par le passé: l’UDC n’est pas toujours en accord avec sa base, en ce qui concerne les politiques sociales. Sur l’AVS, le parti se trouve en situation d’autant plus inconforta­ble que le sujet touche les intérêts d’une grande partie de son électorat plutôt âgé et au revenu plutôt bas.»

Des symboles qui comptent

Mais la perte de confiance se manifeste aussi au-delà de ce parti de droite. «Pendant longtemps, dire qu’une initiative nuisait à l’économie suffisait pour la contrer. Aujourd’hui, cet argument montre ses limites. Au cours des vingt dernières années, la méfiance envers l’élite économique a grandi.» Un levier que les partisans d’une 13e rente n’hésitent pas à saisir, en rappelant le sauvetage récent de Credit Suisse, par exemple. «Le sauvetage des grandes banques, ou encore le salaire de Sergio Ermotti, le patron d’UBS, sont des éléments symbolique­s régulièrem­ent cités dans cette campagne.»

Cette dimension a sans doute été sous-estimée par les stratèges de la campagne du non, au moment où ils ont demandé à cinq anciens conseiller­s fédéraux touchant une rente de plus de 200 000 francs par an de s’engager pour le non, dans ce débat, souligne enfin Georg Lutz: «Que les citoyens les plus privilégié­s s’engagent contre une 13e rente ne paraît pas être un très bon calcul politique.» Mais en s’émouvant du ton populiste et agressif de la campagne, il n’est pas certain non plus que les représenta­nts du parti qui a fait des campagnes chocs sa marque de fabrique gagnent en crédibilit­é.

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