L’hydrogène blanc, ressource prometteuse
Une source naturelle d’hydrogène a été découverte sous une mine en Albanie. Un gaz dont l’utilisation ne réchauffe pas le climat. Le gisement pourrait être important et renouvelable, laissent penser des mesures réalisées depuis 2017
«Après une série d’explosions, souvent mortelles, les responsables chinois de la mine de Bulqizë, à l’est de l’Albanie, ont procédé en 2017 à l’évacuation des gaz inflammables par des forages de drainage et la pose de capteurs pour détecter le niveau d’hydrogène, raconte le géologue Frédéric Victor Donzé, de l’Université Grenoble Alpes. Lors d’une mission scientifique au mois de mai 2013, nous avons analysé, à plus de 900 m de profondeur dans la mine, la nature du gaz qui bouillonne dans une accumulation d’eau de pluie, qui ruisselle dans l’infrastructure.» Il provient probablement d’un réservoir ou de roches plus profondes. «Le gaz contient 84% d’hydrogène, 13,2% de méthane et un peu d’azote.»
De cette petite piscine naturelle s’échappent environ 200 tonnes d’hydrogène par an, ont calculé Frédéric Victor Donzé et ses collègues français et albanais, qui relatent leurs travaux dans Science. Une goutte d’eau à l’échelle des 95 millions de tonnes consommées chaque année. Mais une source qui pourrait nous en apprendre beaucoup sur le fonctionnement des réservoirs naturels.
Une fois dans l’atmosphère, cet hydrogène – qui est un gaz très réactif chimiquement – induit un effet de serre indirect. A moins qu’on décide un jour de le récupérer pour profiter de son énergie: on ne produirait alors que de l’eau et plus de CO2!
Un gaz aux multiples couleurs
L’hydrogène naturel a été baptisé «blanc» pour le différencier du vert – produit par électrolyse de l’eau et indolore à l’usage pour le climat –, du noir et du gris – tirés respectivement du charbon et du gaz naturel, en produisant du dioxyde de carbone –, ou encore du bleu – tiré du méthane mais avec récupération et séquestration du CO2. Le site de Bulqizë pourrait être une aubaine puisque aucune baisse de pression n’a été constatée en plus de six années de suivi, suggérant qu’il pourrait être produit sous terre ou qu’il proviendrait d’un gisement.
L’appétit pour l’hydrogène blanc s’est éveillé avec la mise en service, en 2012, d’une installation artisanale à Bourakébougou, au sud du Mali. Vingt-cinq ans plus tôt, une cigarette jetée dans un forage en principe destiné à trouver de l’eau avait provoqué un feu. Rapidement refermé, le puits avait été oublié jusqu’à ce que Hydroma, une entreprise canadienne fondée par un entrepreneur d’origine malienne, ait vent de l’histoire: rouvert, le puits crachait de l’hydrogène pratiquement pur! Si bien que celui-ci a été récupéré pour alimenter un groupe électrogène et ainsi approvisionner une partie du village en électricité.
Depuis, 27 puits ont été forés dans la région, sans qu’on sache vraiment les quantités produites. «Je pense que le potentiel est important mais on ne dispose que d’estimations, pas de test de production dans la durée», indique le géologue Eric Gaucher. Après avoir travaillé au Bureau français de recherches géologiques et minières (BRGM), chez Total et à l’Université de Berne, celui-ci a fondé Lavoisier H2 Geoconsult, qui accompagne des entreprises dans la recherche de gisements d’hydrogène, notamment en Suisse.
Les premières sources naturelles d’hydrogène avaient été détectées dans les années 1970 sur les chaînes de montagnes – dorsales médio-océaniques – du Pacifique, puis de l’Atlantique. «On s’est aperçu que le gaz est produit au contact de l’eau de mer avec les roches du manteau terrestre, notamment l’olivine et les pyroxènes, très riches en fer «ferreux.» Une réaction chimique qui oxyde le fer et le rend ferrique – celui de la rouille –, tout en libérant de l’hydrogène. «Par la suite, on a cherché les régions terrestres où ces roches affleurent. Elles sont assez bien réparties sur le globe. On en trouve par exemple en Oman ou en Nouvelle-Calédonie, mais aussi dans les Pyrénées ou en Turquie.» Dans les Pyrénées, la formation de la chaîne de montagnes a fait remonter les roches du manteau, que des failles ont connecté à la surface. Un permis d’exploration a déjà été attribué par la France, tandis qu’un second est en cours d’étude par les autorités.
L’hydrogène naturel provient principalement de la transformation de certains minéraux – comme l’olivine et les pyroxènes – en serpentine, au contact de l’eau et en l’absence d’oxygène. Le gaz peut ensuite se transformer – si la température est suffisante – en méthane en présence de dioxyde de carbone. C’est ce qui explique qu’on trouve souvent ces gaz mélangés, comme en Turquie où les dégagements de gaz inflammables avaient été décrits dès l’Antiquité par Pline l’Ancien.
«En Albanie, nous ne savons pas si la serpentinisation a produit de l’hydrogène qui s’est accumulé pendant des millions d’années – ce qui le rendrait en quelque sorte «fossile» – ou si la réaction se poursuit aujourd’hui, explique Frédéric Victor Donzé. Nous allons retourner sur place pour mieux cerner la géologie du lieu. Nous espérons en apprendre aussi sur la manière dont on pourrait stocker l’hydrogène sous terre, car jusqu’à présent on pensait que ce gaz était si réactif et léger qu’il ne pouvait rester longtemps enfermé.»
Tout reste à faire
Parmi les sites les plus favorables, l’Islande occupe une place de choix. «L’île est la combinaison d’un point chaud et de la dorsale médio-océanique, les roches du manteau sont très proches de la surface, décrit Eric Gaucher. La production d’hydrogène mesurée est plus importante qu’en Albanie. On pourrait coexploiter la ressource géothermique et le gaz pour un surcoût modique puisque les investissements de forage ont déjà été faits. Il suffit d’équiper les puits d’un séparateur de gaz.»
L’hydrogène blanc pourrait-il prendre sa place dans la décarbonation de nos économies? S’il existe en abondance dans le soussol terrestre, il est encore trop tôt pour savoir si son extraction sera rentable. «On constate partout une accélération de projets, explique Frédéric Victor Donzé. Mais il y a encore peu de données concrètes, beaucoup d’estimations reposent sur des modélisations. Il est difficile de s’y retrouver entre ce qui est avéré ou simplement spéculatif.» Beaucoup de start-up se sont mises sur les rangs, avec des moyens parfois considérables. Aux Etats-Unis, Koloma, une firme soutenue par Bill Gates, vient de lever 245 millions de dollars.
La Suisse dispose peut-être de réserves, car il existe des roches propices à la formation d’hydrogène dans les cantons alpins. «Nous avons trouvé de l’hydrogène dans le val d’Hérens, mais ce n’est pas très prometteur, souligne Eric Gaucher. Il existe d’autres endroits en Valais qui le sont un peu plus. Nous ne sommes qu’au début de nos recherches.» ■