Le Temps

Du jazz dans un bouillon futuriste

Mené par Leo Fumagalli avec des musiciens issus comme lui de prestigieu­ses écoles de musique, le groupe Bada-Bada sort son premier opus, «Portraits». Il y visite des territoire­s sonores insolites, aux frontières des genres musicaux

- MICHEL MASSEREY

Inventive, curieuse, en constante mutation, la musique de Bada-Bada frappe par son incroyable liberté. Fluide, organique bien que trafiquée via des ordinateur­s savants, elle frappe par son immédiatet­é, sa dimension à la fois sauvage et conceptuel­le. Percussion­s, cuivres, claviers, guitares et machines se répondent dans une furia sonore passionnan­te et jouissive.

Bada-Bada développe son propre vocabulair­e, il en va ainsi de son nom aux consonance­s à la fois enfantines et tribales, mais surtout de ses production­s musicales. En un peu plus de cinq ans d’existence, Tiss Rodriguez, Lilian Mille et Leo Fumagalli ont composé trois EP, dont une partie nourrit aujourd’hui leur premier véritable album.

Si les deux premiers membres vivent à Paris, le dernier compte parmi les saxophonis­tes suisses les plus talentueux de la nouvelle génération. Ancien étudiant de Berklee et de la Haute Ecole de musique de Lausanne, Leo Fumagalli a par ailleurs fréquenté le Centre des musiques Didier Lockwood, une école d’improvisat­ion créée par le violoniste français virtuose où le Lausannois rencontre le batteur Tiss Rodriguez. Ensemble, ils décident de créer en improvisat­ion libre sous le nom de Plug-In.

Plus que le jazz, qu’ils explorent académique­ment, ce sont les musiques électroniq­ues, soul ou funk qu’ils écoutent au quotidien, qui les inspirent dans leur propre travail musical. Leur duo se produit alors un peu partout dans la région parisienne, dans des squats, des clubs improvisés, des festivals hippies, sans jamais se baser sur un répertoire précis. «Lors de ces concerts, on improvisai­t avec d’autres musiciens à chaque fois, et c’est alors qu’on a rencontré le trompettis­te Lilian Mille, avec qui on a créé Bada-Bada», précise Leo Fumagalli.

Inspiratio­ns électroniq­ues

De jazz-rock à ses débuts, le répertoire évolue toujours plus vers des musiques hybrides, métamorpho­sées grâce aux machines. Bada-Bada sort deux EP avant de faire évoluer une nouvelle fois son univers musical vers un son plus live, en incorporan­t lors des sessions d’enregistre­ments trois batteurs supplément­aires. Les musiciens alternent parties très écrites et improvisat­ions lors de multiples semaines de studio avant de passer à la postproduc­tion. Finalement, le trio ne consacrera pas moins de six mois au travail de laborantin­s du son, isolant les pistes, changeant les structures, ajoutant telle sonorité, filtrant l’autre, pour aboutir à un album étonnammen­t organique, voire brut parfois.

«On est tous fascinés par la manière dont on peut faire naître une émotion via un son que l’on travaille, poursuit Leo Fumagalli. Nous sommes tous de vrais geeks, on adore utiliser nos instrument­s de base, la batterie, le saxo ou la trompette, et leur donner une autre significat­ion et une autre fonction en ayant recours notamment à des pédales analogique­s ou à des synthétise­urs. L’idée est de ne pas en faire des instrument­s solistes ou mélodistes, mais de les traiter comme des basses ou comme un orchestre.»

Si ses instrument­s sont clairement liés à la tradition jazz, le trio évolue constammen­t dans un entre-deux. Chaque membre a des projets parallèles qui nourrissen­t indirectem­ent Bada-Bada. Le groupe brouille savamment les étiquettes, récemment il a été présélecti­onné par le festival Le Printemps de Bourges dans la catégorie électro. D’ailleurs, Leo Fumagalli est un grand amateur de sonorités électroniq­ues. Le trio avoue une passion pour Son Lux, groupe majeur de la scène expériment­ale américaine, dont le travail musical a profondéme­nt marqué BadaBada. Björk compte aussi parmi les figures inspiratri­ces, son travail sur les sons repiqués et triturés a eu un fort impact sur BadaBada. «Les musiques électroniq­ues nous ont avant tout influencés de par le soin apporté au son, à sa spatialisa­tion. C’est capital.»

Rêverie voyageuse

C’est ce qui frappe dans l’album Portraits, cette attention extrême apportée aux textures sonores. Pour autant, Bada-Bada ne propose pas une musique absconse. L’expériment­ation est au service de compositio­ns gourmandes et généreuses qui proposent des mélodies limpides ou des frénésies rythmiques jouissives. L’album est savamment construit au niveau de sa dynamique. «On voulait proposer un voyage cohérent, une sorte de rêverie avec une introducti­on, un interlude, une «outro». Le but était de ne pas être dans un même univers du début à la fin, tout en présentant une sorte d’histoire.»

Parallèlem­ent à la sortie de Portraits, Leo Fumagalli vient de sortir un autre album sous le nom de June Dogs, en duo avec la chanteuse et musicienne Lucille Mille. Une nouvelle fois, le Lausannois y brouille les pistes. Ni jazz ni électro, ce projet explore une pop boisée qui met en avant voix célestes et accords de guitare suspendus. «Le folk indépendan­t compte parmi les musiques que j’ai le plus écoutées. Sans doute à cause de l’écriture, du texte qui y prime. Cela fait quatre ans qu’avec Lucille on construit un répertoire très intime et privé.» Bien que destiné à l’origine à du placement, à savoir à l’illustrati­on sonore (série, film ou tout autre produit audiovisue­l), ce premier album intitulé Folk Songs est une première ébauche d’un projet plus ambitieux. Un autre long format devrait sortir avant la fin de l’année. D’ici là, Leo Fumagalli aura écumé les scènes avec Bada-Bada, principale­ment en France. Il devrait se produire en Suisse à la rentrée… Aux festivals de faire preuve de curiosité!

Bada-Bada, Portraits (Gum Club). En concert le 22 mars au Festival Chorus, à Paris, et le 23 mars à La Rodia, Besançon.

 ?? (6 NOVEMBRE 2023/ JUSTINE ABITBOL) ?? Bada-Bada (de g. à dr. Tiss Rodriguez, Lilian Mille et Leo Fumagalli): «Nous sommes tous de vrais geeks, on adore recourir à des pédales analogique­s ou à des synthétise­urs.»
(6 NOVEMBRE 2023/ JUSTINE ABITBOL) Bada-Bada (de g. à dr. Tiss Rodriguez, Lilian Mille et Leo Fumagalli): «Nous sommes tous de vrais geeks, on adore recourir à des pédales analogique­s ou à des synthétise­urs.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland