Du jazz dans un bouillon futuriste
Mené par Leo Fumagalli avec des musiciens issus comme lui de prestigieuses écoles de musique, le groupe Bada-Bada sort son premier opus, «Portraits». Il y visite des territoires sonores insolites, aux frontières des genres musicaux
Inventive, curieuse, en constante mutation, la musique de Bada-Bada frappe par son incroyable liberté. Fluide, organique bien que trafiquée via des ordinateurs savants, elle frappe par son immédiateté, sa dimension à la fois sauvage et conceptuelle. Percussions, cuivres, claviers, guitares et machines se répondent dans une furia sonore passionnante et jouissive.
Bada-Bada développe son propre vocabulaire, il en va ainsi de son nom aux consonances à la fois enfantines et tribales, mais surtout de ses productions musicales. En un peu plus de cinq ans d’existence, Tiss Rodriguez, Lilian Mille et Leo Fumagalli ont composé trois EP, dont une partie nourrit aujourd’hui leur premier véritable album.
Si les deux premiers membres vivent à Paris, le dernier compte parmi les saxophonistes suisses les plus talentueux de la nouvelle génération. Ancien étudiant de Berklee et de la Haute Ecole de musique de Lausanne, Leo Fumagalli a par ailleurs fréquenté le Centre des musiques Didier Lockwood, une école d’improvisation créée par le violoniste français virtuose où le Lausannois rencontre le batteur Tiss Rodriguez. Ensemble, ils décident de créer en improvisation libre sous le nom de Plug-In.
Plus que le jazz, qu’ils explorent académiquement, ce sont les musiques électroniques, soul ou funk qu’ils écoutent au quotidien, qui les inspirent dans leur propre travail musical. Leur duo se produit alors un peu partout dans la région parisienne, dans des squats, des clubs improvisés, des festivals hippies, sans jamais se baser sur un répertoire précis. «Lors de ces concerts, on improvisait avec d’autres musiciens à chaque fois, et c’est alors qu’on a rencontré le trompettiste Lilian Mille, avec qui on a créé Bada-Bada», précise Leo Fumagalli.
Inspirations électroniques
De jazz-rock à ses débuts, le répertoire évolue toujours plus vers des musiques hybrides, métamorphosées grâce aux machines. Bada-Bada sort deux EP avant de faire évoluer une nouvelle fois son univers musical vers un son plus live, en incorporant lors des sessions d’enregistrements trois batteurs supplémentaires. Les musiciens alternent parties très écrites et improvisations lors de multiples semaines de studio avant de passer à la postproduction. Finalement, le trio ne consacrera pas moins de six mois au travail de laborantins du son, isolant les pistes, changeant les structures, ajoutant telle sonorité, filtrant l’autre, pour aboutir à un album étonnamment organique, voire brut parfois.
«On est tous fascinés par la manière dont on peut faire naître une émotion via un son que l’on travaille, poursuit Leo Fumagalli. Nous sommes tous de vrais geeks, on adore utiliser nos instruments de base, la batterie, le saxo ou la trompette, et leur donner une autre signification et une autre fonction en ayant recours notamment à des pédales analogiques ou à des synthétiseurs. L’idée est de ne pas en faire des instruments solistes ou mélodistes, mais de les traiter comme des basses ou comme un orchestre.»
Si ses instruments sont clairement liés à la tradition jazz, le trio évolue constamment dans un entre-deux. Chaque membre a des projets parallèles qui nourrissent indirectement Bada-Bada. Le groupe brouille savamment les étiquettes, récemment il a été présélectionné par le festival Le Printemps de Bourges dans la catégorie électro. D’ailleurs, Leo Fumagalli est un grand amateur de sonorités électroniques. Le trio avoue une passion pour Son Lux, groupe majeur de la scène expérimentale américaine, dont le travail musical a profondément marqué BadaBada. Björk compte aussi parmi les figures inspiratrices, son travail sur les sons repiqués et triturés a eu un fort impact sur BadaBada. «Les musiques électroniques nous ont avant tout influencés de par le soin apporté au son, à sa spatialisation. C’est capital.»
Rêverie voyageuse
C’est ce qui frappe dans l’album Portraits, cette attention extrême apportée aux textures sonores. Pour autant, Bada-Bada ne propose pas une musique absconse. L’expérimentation est au service de compositions gourmandes et généreuses qui proposent des mélodies limpides ou des frénésies rythmiques jouissives. L’album est savamment construit au niveau de sa dynamique. «On voulait proposer un voyage cohérent, une sorte de rêverie avec une introduction, un interlude, une «outro». Le but était de ne pas être dans un même univers du début à la fin, tout en présentant une sorte d’histoire.»
Parallèlement à la sortie de Portraits, Leo Fumagalli vient de sortir un autre album sous le nom de June Dogs, en duo avec la chanteuse et musicienne Lucille Mille. Une nouvelle fois, le Lausannois y brouille les pistes. Ni jazz ni électro, ce projet explore une pop boisée qui met en avant voix célestes et accords de guitare suspendus. «Le folk indépendant compte parmi les musiques que j’ai le plus écoutées. Sans doute à cause de l’écriture, du texte qui y prime. Cela fait quatre ans qu’avec Lucille on construit un répertoire très intime et privé.» Bien que destiné à l’origine à du placement, à savoir à l’illustration sonore (série, film ou tout autre produit audiovisuel), ce premier album intitulé Folk Songs est une première ébauche d’un projet plus ambitieux. Un autre long format devrait sortir avant la fin de l’année. D’ici là, Leo Fumagalli aura écumé les scènes avec Bada-Bada, principalement en France. Il devrait se produire en Suisse à la rentrée… Aux festivals de faire preuve de curiosité!
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Bada-Bada, Portraits (Gum Club). En concert le 22 mars au Festival Chorus, à Paris, et le 23 mars à La Rodia, Besançon.