L’heure de vérité pour le Parti républicain
L’élection primaire qui aura lieu dans l’Etat de Caroline du Sud le 24 février prochain et qui opposera Donald Trump à Nikki Haley, dernière adversaire encore en lice contre l’ancien président dans les primaires de 2024, marquera une date importante dans l’histoire du Parti républicain américain. Elle constituera en effet un test grandeur nature qui devrait apporter une réponse définitive à une question devenue lancinante depuis 2016: que signifie être républicain aujourd’hui? Un retour à la normale est-il possible pour le Parti républicain?
Par «retour à la normale», on imagine un Parti républicain qui redeviendrait un parti de droite, certes ultra-conservateur, mais situé dans les bornes traditionnelles du débat caractérisant la vie politique dans les grandes démocraties occidentales depuis 1945. En ce sens, Haley offre une belle opportunité pour les républicains désireux de renouer avec un passé pas si lointain. Après tout, elle incarne un profil idéologique finalement assez proche de celui d’un leader comme George W. Bush: ancienne gouverneure d’un Etat sudiste (la Caroline du Sud justement, où elle sera donc la régionale de l’étape le 24 février), avec un pedigree conservateur au-delà de tout soupçon tant sur les questions économiques (proche du monde du business, favorable à de fortes baisses d’impôts) que culturelles (évangélique opposée au droit à l’avortement).
Mais force est de constater que, pour l’instant, le parti a refusé de profiter de cette sortie de secours. Déjà, en janvier 2021, pendant le second procès en impeachment de Trump, accusé d’avoir été complice de l’insurrection du Capitole le 6 janvier 2021, l’establishment du parti au Sénat avait voté à la quasiunanimité pour ne pas condamner Trump, lui offrant ainsi l’opportunité de poursuivre sa carrière politique. Aujourd’hui, à l’occasion des primaires de 2024, c’est la base du parti, celle des militants ayant déjà voté en janvier dans l’Iowa et le New Hampshire, qui envoie un message similaire: ils sont bien conscients que la page du trumpisme peut être tournée, qu’il existe des alternatives à un candidat qui a été condamné au printemps dernier pour agression sexuelle et qui est toujours mis en examen dans de nombreuses autres affaires, mais ils n’en veulent simplement pas.
Si Donald Trump l’emporte en Caroline du Sud, ce que semblent prévoir les sondages, alors on pourra dire que l’allégeance du Parti républicain à l’ancien président est totale et librement consentie. Ce choix, fait en toute connaissance de cause, est tragiquement révélateur de l’évolution du Parti républicain depuis environ une quinzaine d’années – rétrospectivement, la vague du Tea Party à partir de 2010, sous Obama, annonçait la tempête à venir.
Avec le trumpisme, le Parti républicain est entré dans un nouveau paradigme politique. Les arguments habituels, que l’on pourrait qualifier de «rationnels», disparaissent. On le voit aujourd’hui, par exemple, la réalité économique n’a plus aucune prise sur le débat présidentiel. Le bilan économique de Joe Biden est, objectivement, excellent. La croissance des Etats-Unis dépasse les 3%, l’inflation a été jugulée, le pays a renoué avec le plein-emploi après la terrible récession provoquée par le covid. Mais cela n’a aucune influence sur l’opinion, et la popularité de Biden stagne sous les 40% depuis de longs mois. Idem pour les questions de politique étrangère: il est de plus en plus difficile pour Biden de convaincre les Américains de soutenir, financièrement et militairement, les alliés des Etats-Unis comme l’Ukraine et Israël, tant l’isolationnisme, que l’on croyait disparu depuis les années 1940, revient en force.
Ce que Trump a compris, et ce qui fait sa force, c’est qu’aujourd’hui, aux EtatsUnis, la seule chose qui compte, c’est le ressentiment culturel. Là encore, il ne s’agit pas d’une lutte des classes traditionnelle
– la preuve: de nombreux émeutiers qui ont été arrêtés et condamnés à la suite de l’insurrection du Capitole sont des Américains de la classe moyenne, ayant fait des études supérieures et bénéficiant de belles situations professionnelles. L’objet de la haine de ces Américains trumpistes, ce sont plutôt les élites culturelles, celles qui incarnent la mutation rapide et profonde qu’est en train de traverser le pays, qu’il s’agisse de la transition démographique (la population blanche n’est plus majoritaire parmi les Américains âgés de moins de 18 ans, et ce cap sera franchi à l’échelle de la population totale avant 2050), de l’évolution rapide des moeurs sur les questions de droits des minorités sexuelles, ou de l’augmentation rapide du nombre d’Américains se déclarant non croyants. Ce qui nous ramène au duel Trump-Haley. Il sera très difficile pour Haley, une femme d’origine indienne, qui est née bouddhiste (avant de se convertir au protestantisme), de battre Trump et d’arracher la nomination républicaine.
Pour avoir une chance de l’emporter en novembre, Joe Biden et les démocrates devront absolument calibrer leur propre campagne à ce nouveau paysage politique. Ils semblent l’avoir compris, si on en juge par l’importance qu’occupe déjà dans leur rhétorique de campagne la question du droit à l’avortement, sévèrement limité par la Cour suprême en 2022. Ainsi, même si Nikki Haley est battue, ce seront les femmes américaines, en tant qu’électrices et citoyennes se battant pour leurs droits fondamentaux, qui feront probablement la présidentielle de 2024 aux Etats-Unis.
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Ce que Trump a compris, et qui fait sa force, c’est qu’aujourd’hui, aux Etats-Unis, la seule chose qui compte, c’est le ressentiment culturel