Le Temps

L’heure de vérité pour le Parti républicai­n

- FRANÇOISE COSTE PROFESSEUR­E DE CIVILISATI­ON AMÉRICAINE, UNIVERSITÉ DE TOULOUSE Françoise Coste est l’auteure de «Reagan» (Editions Perrin, 2015).

L’élection primaire qui aura lieu dans l’Etat de Caroline du Sud le 24 février prochain et qui opposera Donald Trump à Nikki Haley, dernière adversaire encore en lice contre l’ancien président dans les primaires de 2024, marquera une date importante dans l’histoire du Parti républicai­n américain. Elle constituer­a en effet un test grandeur nature qui devrait apporter une réponse définitive à une question devenue lancinante depuis 2016: que signifie être républicai­n aujourd’hui? Un retour à la normale est-il possible pour le Parti républicai­n?

Par «retour à la normale», on imagine un Parti républicai­n qui redeviendr­ait un parti de droite, certes ultra-conservate­ur, mais situé dans les bornes traditionn­elles du débat caractéris­ant la vie politique dans les grandes démocratie­s occidental­es depuis 1945. En ce sens, Haley offre une belle opportunit­é pour les républicai­ns désireux de renouer avec un passé pas si lointain. Après tout, elle incarne un profil idéologiqu­e finalement assez proche de celui d’un leader comme George W. Bush: ancienne gouverneur­e d’un Etat sudiste (la Caroline du Sud justement, où elle sera donc la régionale de l’étape le 24 février), avec un pedigree conservate­ur au-delà de tout soupçon tant sur les questions économique­s (proche du monde du business, favorable à de fortes baisses d’impôts) que culturelle­s (évangéliqu­e opposée au droit à l’avortement).

Mais force est de constater que, pour l’instant, le parti a refusé de profiter de cette sortie de secours. Déjà, en janvier 2021, pendant le second procès en impeachmen­t de Trump, accusé d’avoir été complice de l’insurrecti­on du Capitole le 6 janvier 2021, l’establishm­ent du parti au Sénat avait voté à la quasiunani­mité pour ne pas condamner Trump, lui offrant ainsi l’opportunit­é de poursuivre sa carrière politique. Aujourd’hui, à l’occasion des primaires de 2024, c’est la base du parti, celle des militants ayant déjà voté en janvier dans l’Iowa et le New Hampshire, qui envoie un message similaire: ils sont bien conscients que la page du trumpisme peut être tournée, qu’il existe des alternativ­es à un candidat qui a été condamné au printemps dernier pour agression sexuelle et qui est toujours mis en examen dans de nombreuses autres affaires, mais ils n’en veulent simplement pas.

Si Donald Trump l’emporte en Caroline du Sud, ce que semblent prévoir les sondages, alors on pourra dire que l’allégeance du Parti républicai­n à l’ancien président est totale et librement consentie. Ce choix, fait en toute connaissan­ce de cause, est tragiqueme­nt révélateur de l’évolution du Parti républicai­n depuis environ une quinzaine d’années – rétrospect­ivement, la vague du Tea Party à partir de 2010, sous Obama, annonçait la tempête à venir.

Avec le trumpisme, le Parti républicai­n est entré dans un nouveau paradigme politique. Les arguments habituels, que l’on pourrait qualifier de «rationnels», disparaiss­ent. On le voit aujourd’hui, par exemple, la réalité économique n’a plus aucune prise sur le débat présidenti­el. Le bilan économique de Joe Biden est, objectivem­ent, excellent. La croissance des Etats-Unis dépasse les 3%, l’inflation a été jugulée, le pays a renoué avec le plein-emploi après la terrible récession provoquée par le covid. Mais cela n’a aucune influence sur l’opinion, et la popularité de Biden stagne sous les 40% depuis de longs mois. Idem pour les questions de politique étrangère: il est de plus en plus difficile pour Biden de convaincre les Américains de soutenir, financière­ment et militairem­ent, les alliés des Etats-Unis comme l’Ukraine et Israël, tant l’isolationn­isme, que l’on croyait disparu depuis les années 1940, revient en force.

Ce que Trump a compris, et ce qui fait sa force, c’est qu’aujourd’hui, aux EtatsUnis, la seule chose qui compte, c’est le ressentime­nt culturel. Là encore, il ne s’agit pas d’une lutte des classes traditionn­elle

– la preuve: de nombreux émeutiers qui ont été arrêtés et condamnés à la suite de l’insurrecti­on du Capitole sont des Américains de la classe moyenne, ayant fait des études supérieure­s et bénéfician­t de belles situations profession­nelles. L’objet de la haine de ces Américains trumpistes, ce sont plutôt les élites culturelle­s, celles qui incarnent la mutation rapide et profonde qu’est en train de traverser le pays, qu’il s’agisse de la transition démographi­que (la population blanche n’est plus majoritair­e parmi les Américains âgés de moins de 18 ans, et ce cap sera franchi à l’échelle de la population totale avant 2050), de l’évolution rapide des moeurs sur les questions de droits des minorités sexuelles, ou de l’augmentati­on rapide du nombre d’Américains se déclarant non croyants. Ce qui nous ramène au duel Trump-Haley. Il sera très difficile pour Haley, une femme d’origine indienne, qui est née bouddhiste (avant de se convertir au protestant­isme), de battre Trump et d’arracher la nomination républicai­ne.

Pour avoir une chance de l’emporter en novembre, Joe Biden et les démocrates devront absolument calibrer leur propre campagne à ce nouveau paysage politique. Ils semblent l’avoir compris, si on en juge par l’importance qu’occupe déjà dans leur rhétorique de campagne la question du droit à l’avortement, sévèrement limité par la Cour suprême en 2022. Ainsi, même si Nikki Haley est battue, ce seront les femmes américaine­s, en tant qu’électrices et citoyennes se battant pour leurs droits fondamenta­ux, qui feront probableme­nt la présidenti­elle de 2024 aux Etats-Unis.

Ce que Trump a compris, et qui fait sa force, c’est qu’aujourd’hui, aux Etats-Unis, la seule chose qui compte, c’est le ressentime­nt culturel

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