Le Temps

L’armée suisse et la menace russe qui pèse sur l’Europe

- FRANÇOIS NORDMANN ANCIEN DIPLOMATE, CHRONIQUEU­R

La Conférence de Munich sur la sécurité a livré son diagnostic: la guerre va se prolonger en Europe. La situation militaire de l’Ukraine exige que ses alliés de l’OTAN redoublent leurs efforts face à la menace que la Russie fait peser sur l’ensemble du continent européen. Si l’appoint américain devait devenir plus incertain, du fait de la réélection de M. Trump, il serait temps d’aviser le moment venu. Pour l’heure, il faut se concentrer sur l’assistance à l’Ukraine.

La Suisse n’était pas représenté­e au niveau politique à Munich, pour autant, elle ne reste pas inerte dans une situation sécuritair­e qui se détériore. Le récent message du Conseil fédéral sur le programme d’armement 2024 contient les éléments d’une réaction stratégiqu­e aux évènements: des scénarios réalistes sont esquissés, une variante est proposée entre une simple menace d’interventi­on à distance ou une attaque d’envergure.

L’armée suisse doit se préparer à un conflit hybride dont les occurrence­s se succéderai­ent rapidement, tenant de l’attaque à distance, commencée au plan cyber et usant de la désinforma­tion pour déboucher sur une attaque physique. Il convient à la fois de rattraper des capacités négligées et de moderniser l’équipement, tirant les leçons de la guerre en Ukraine. Il ne s’agit pas de recourir à un coup de baguette magique pour y arriver en une fois, mais de mener un processus en continu qui peut prendre de sept à douze ans, et pour lequel la coopératio­n internatio­nale s’avère indispensa­ble. En particulie­r, l’armée doit être en mesure de disposer en tout temps d’une image globale et d’une capacité informatiq­ue accrue, lui permettant de transmettr­e plus rapidement et en toute sécurité de plus grandes quantités de données. Le programme Armée XXI de 2003 partait de l’idée que la Suisse disposerai­t d’une période de dix ans pour réagir en cas de menace: ce temps-là est bien révolu!

L’actuel sursaut de la politique de sécurité de la Suisse s’inscrit dans un vaste mouvement internatio­nal. La publicatio­n du message du Conseil fédéral coïncide avec la parution de la synthèse annuelle de l’Institut internatio­nal d’études stratégiqu­es sur l’équilibre des forces militaires dans le monde, qui souligne à son tour la volatilité et l’insécurité qui dominent dans les relations internatio­nales. L’ordre internatio­nal fondé sur des règles communes est plus que jamais menacé, notamment dans le secteur euroatlant­ique, ce qui conduit la plupart des Etats européens à revoir leurs priorités en matière de politique de sécurité et de dépenses militaires.

Le rôle de l’artillerie, des chars et des drones dans la guerre d’Ukraine conduit les pays à se réarmer à la fois dans des domaines traditionn­els et dans des secteurs de haute technologi­e. Il s’agit aussi de réactiver des industries longtemps négligées pour la production en masse de munitions, aussi bien pour les arsenaux nationaux que pour tenir compte des besoins de l’Ukraine. L’initiative European Sky Shield, parrainée par l’Allemagne, à laquelle la Suisse s’est jointe, vise l’achat en commun de drones et de missiles: la France et l’Italie n’en font pas partie, préférant développer en la matière des capacités purement européenne­s. L’OTAN que Moscou voulait restreindr­e a bénéficié de l’adhésion de la Finlande et de celle de la Suède, qui la rejoindra à la fin du mois.

Le contrôle des armements en Europe n’intéresse plus personne depuis la fin du Traité sur les forces convention­nelles en Europe. Le conflit armé entre Israël et le Hamas, les interventi­ons des houthis en mer Rouge, les tensions dans l’Indo-Pacifique, les troubles dans la région du Sahel, la reconquête du Haut-Karabakh s’ajoutant à la guerre d’Ukraine sont autant de sources d’inquiétude pour les grands pays européens dont les intérêts ne sont pas limités à notre continent. Les ruptures intentionn­elles de câbles sous-marins servant au transport de gaz et de télécommun­ication entre la Finlande, l’Estonie et la Suède déstabilis­ent un peu plus la situation en Europe.

Nous traversons une décennie des plus dangereuse­s. Le débat sur les dépenses militaires dont nous avons eu la primeur ces dernières semaines devrait maintenant se nourrir de considérat­ions stratégiqu­es.

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