L’armée suisse et la menace russe qui pèse sur l’Europe
La Conférence de Munich sur la sécurité a livré son diagnostic: la guerre va se prolonger en Europe. La situation militaire de l’Ukraine exige que ses alliés de l’OTAN redoublent leurs efforts face à la menace que la Russie fait peser sur l’ensemble du continent européen. Si l’appoint américain devait devenir plus incertain, du fait de la réélection de M. Trump, il serait temps d’aviser le moment venu. Pour l’heure, il faut se concentrer sur l’assistance à l’Ukraine.
La Suisse n’était pas représentée au niveau politique à Munich, pour autant, elle ne reste pas inerte dans une situation sécuritaire qui se détériore. Le récent message du Conseil fédéral sur le programme d’armement 2024 contient les éléments d’une réaction stratégique aux évènements: des scénarios réalistes sont esquissés, une variante est proposée entre une simple menace d’intervention à distance ou une attaque d’envergure.
L’armée suisse doit se préparer à un conflit hybride dont les occurrences se succéderaient rapidement, tenant de l’attaque à distance, commencée au plan cyber et usant de la désinformation pour déboucher sur une attaque physique. Il convient à la fois de rattraper des capacités négligées et de moderniser l’équipement, tirant les leçons de la guerre en Ukraine. Il ne s’agit pas de recourir à un coup de baguette magique pour y arriver en une fois, mais de mener un processus en continu qui peut prendre de sept à douze ans, et pour lequel la coopération internationale s’avère indispensable. En particulier, l’armée doit être en mesure de disposer en tout temps d’une image globale et d’une capacité informatique accrue, lui permettant de transmettre plus rapidement et en toute sécurité de plus grandes quantités de données. Le programme Armée XXI de 2003 partait de l’idée que la Suisse disposerait d’une période de dix ans pour réagir en cas de menace: ce temps-là est bien révolu!
L’actuel sursaut de la politique de sécurité de la Suisse s’inscrit dans un vaste mouvement international. La publication du message du Conseil fédéral coïncide avec la parution de la synthèse annuelle de l’Institut international d’études stratégiques sur l’équilibre des forces militaires dans le monde, qui souligne à son tour la volatilité et l’insécurité qui dominent dans les relations internationales. L’ordre international fondé sur des règles communes est plus que jamais menacé, notamment dans le secteur euroatlantique, ce qui conduit la plupart des Etats européens à revoir leurs priorités en matière de politique de sécurité et de dépenses militaires.
Le rôle de l’artillerie, des chars et des drones dans la guerre d’Ukraine conduit les pays à se réarmer à la fois dans des domaines traditionnels et dans des secteurs de haute technologie. Il s’agit aussi de réactiver des industries longtemps négligées pour la production en masse de munitions, aussi bien pour les arsenaux nationaux que pour tenir compte des besoins de l’Ukraine. L’initiative European Sky Shield, parrainée par l’Allemagne, à laquelle la Suisse s’est jointe, vise l’achat en commun de drones et de missiles: la France et l’Italie n’en font pas partie, préférant développer en la matière des capacités purement européennes. L’OTAN que Moscou voulait restreindre a bénéficié de l’adhésion de la Finlande et de celle de la Suède, qui la rejoindra à la fin du mois.
Le contrôle des armements en Europe n’intéresse plus personne depuis la fin du Traité sur les forces conventionnelles en Europe. Le conflit armé entre Israël et le Hamas, les interventions des houthis en mer Rouge, les tensions dans l’Indo-Pacifique, les troubles dans la région du Sahel, la reconquête du Haut-Karabakh s’ajoutant à la guerre d’Ukraine sont autant de sources d’inquiétude pour les grands pays européens dont les intérêts ne sont pas limités à notre continent. Les ruptures intentionnelles de câbles sous-marins servant au transport de gaz et de télécommunication entre la Finlande, l’Estonie et la Suède déstabilisent un peu plus la situation en Europe.
Nous traversons une décennie des plus dangereuses. Le débat sur les dépenses militaires dont nous avons eu la primeur ces dernières semaines devrait maintenant se nourrir de considérations stratégiques.
■