Le Temps

«Le procès Vincenz n’a pas accouché d’une souris»

Le procès de l’ancien directeur de Raiffeisen devra donc se rejouer. L’analyse de Katia Villard, experte du Centre de droit bancaire et financier de Genève

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALINE BASSIN X @bassinalin­e

Sans se prononcer sur le fond, la Cour suprême zurichoise a dénoncé d’importants manquement­s dans la procédure qui avait débouché sur la condamnati­on du banquier à une peine de prison de 3 ans et 9 mois. Pourquoi une telle décision et quelles en sont les implicatio­ns?

Est-il courant de voir la justice de première instance pareilleme­nt désavouée sur la forme? Selon le Code de procédure, l’acte d’accusation doit notamment contenir les faits reprochés et la qualificat­ion juridique des infraction­s le plus brièvement et précisémen­t possible. Qu’on annule un jugement parce que ce document est jugé incomplet est relativeme­nt courant. Ce qui est intéressan­t dans ce cas, c’est que la deuxième instance l’annule parce qu’elle le juge trop «prolixe». Vu la complexité de l’affaire, il est possible qu’elle estime que des arguments amenés dépassent le cadre légal prévu, l’acte d’accusation ne devant pas servir de plaidoirie écrite. En conséquenc­e, cela a compliqué le travail des avocats des accusés qui n’ont, donc, pas eu droit à une défense efficace. Il est important de relever que le reproche ne s’adresse pas qu’au Ministère public mais aussi au Tribunal de première instance qui aurait dû faire ce contrôle.

«A ce stade, il y a seulement des vices de procédure»

La question du droit à une traduction des documents en français pour l’accusé romand avait beaucoup été évoquée durant le procès en 2022. N’est-ce pas surprenant que la justice n’ait pas souscrit à cette demande? On peut évidemment se dire que cela n’aurait pas coûté grand-chose car ce n’est pas au prévenu de faire en sorte qu’il puisse comprendre ce qui lui est reproché. Le Code de procédure prévoit que le contenu essentiel des actes de procédure les plus importants doit être fourni dans une langue que l’accusé comprend, même s’il est assisté d’un défenseur. L’acte d’accusation fait partie de ces pièces essentiell­es. A lire le communiqué de la deuxième instance, l’acte d’accusation définitif n’a pas été traduit.

N’est-il pas possible d’arguer que l’accusé genevois avait les moyens de le faire luimême? Clairement pas, car cela voudrait dire que la justice discrimine le prévenu aisé. Selon la loi, aucune différence ne doit être faite entre les prévenus, quelle que soit leur classe sociale.

Après un tel désaveu sur des questions de vices de procédure, l’observateu­r en conclut que la justice suisse n’est pas armée pour des affaires aussi complexes. Les procureurs vous diront certaineme­nt qu’il faut deux fois plus de moyens et que des procédures de scellés rendent leur travail compliqué. Mais il ne serait pas juste de dire que la justice suisse a moins de moyens que dans d’autres pays. La question qui se pose, c’est de savoir s’il ne serait pas plus efficace dans de telles affaires que des accords soient conclus, comme c’est souvent le cas aux Etats-Unis. En Suisse, depuis quelques années, la procédure simplifiée le permet. Elle a été introduite dans le but de simplifier et d’accélérer la résolution des affaires pénales économique­s. Mais les entreprise­s n’aiment pas y recourir car il y a tout de même condamnati­on. Cela les évince par exemple des attributio­ns de marchés publics. Dans cette affaire, on ne peut pas exclure qu’une telle voie ait été envisagée et qu’aucun accord entre le Ministère public et les prévenus n’ait pu être trouvé.

Au bout du compte, on se dirige vers un nouveau procès et, surtout, le versement d’indemnités aux frais du contribuab­le. C’est très frustrant pour le citoyen. Il ne faut pas oublier qu’on n’en est pas encore aux débâcles des procès de Swissair ou de la BCGE. A ce stade, il y a seulement des vices de procédure et on ne peut pas encore dire que la montagne a accouché d’une souris. On peut tout à fait imaginer que le procès ait à nouveau lieu et que le résultat soit le même. Ou le contraire. On pourrait se dire que ce type de procès est finalement trop compliqué et coûteux. Mais cela signifiera­it ne pas appliquer la loi et donc aller contre la volonté du législateu­r.

Avec tout le processus qui redémarre, n’y a-t-il pas un risque de prescripti­on? La jurisprude­nce est très claire. Dès l’instant où un jugement de première instance a été rendu, la prescripti­on est interrompu­e. Difficile à ce stade de savoir combien de temps cela va prendre jusqu’à ce qu’un nouveau procès soit organisé, mais l’instructio­n rapide a montré que le Ministère public voulait aller le plus vite possible. Comme on peut d’ores et déjà dire qu’il y aura certaineme­nt à nouveau appel, quel que soit le jugement.

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(ZURICH, 13 AVRIL 2022/MICHAEL BUHOLZER/KEYSTONE) Pierin Vincenz (à gauche) accompagné de son avocat (à droite), juste après sa condamnati­on.
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