Le Temps

La vente d’armes, une stratégie si américaine

En jetant le doute sur l’engagement des Etats-Unis au sein de l’OTAN, Donald Trump déstabilis­e la solidarité face à Moscou. Pour forcer les Européens à acheter encore plus d’armes à Washington? Le regard de William Hartung, chercheur au Quincy Institute

- PROPOS RECUEILLIS PAR SIMON PETITE, MIAMI X @simonpetit­e

En campagne pour revenir à la Maison-Blanche, Donald Trump ne fait pas mystère de son aversion pour l’OTAN, l’alliance militaire occidental­e forgée après la Seconde Guerre mondiale face à la menace soviétique. Une petite moitié des pays membres consacrent moins de 2% de leur produit intérieur brut à leur défense. Si le candidat est de retour à la Maison-Blanche, il menace de ne pas venir à leur secours en cas d’attaque russe, Moscou pouvant «faire ce qu’il veut».

Ces déclaratio­ns n’en finissent pas d’alarmer des deux côtés de l’Atlantique. Elles ont aussi des visées mercantili­stes, observe William Hartung, spécialist­e du budget militaire des Etats-Unis et de leurs ventes d’armes en tant que chercheur au Quincy Institute, à Washington, qui plaide pour une politique étrangère américaine moins belliciste.

Pensez-vous que Donald Trump soit sérieux lorsqu’il remet en cause la participat­ion des Etats-Unis à l’OTAN? Les plus optimistes diront que c’est une posture visant ses électeurs. Donald Trump se présente comme un négociateu­r très dur qui serait capable de conclure les meilleurs «deals» (accords) à l’avantage exclusif des Etats-Unis. Mais, s’il est réélu, il sera davantage préparé et s’entourera de conseiller­s fidèles qui freineront moins ses instincts irrationne­ls qui pourraient le pousser à quitter l’OTAN.

Déstabilis­er l’alliance militaire estelle une manière de forcer les Européens à acheter davantage d’armes américaine­s pour qu’ils se défendent par eux-mêmes? Suggérer que la Russie puisse envahir un allié de l’OTAN sans que les Etats-Unis ne réagissent, c’est aller beaucoup plus loin que les critiques habituelle­s contre le manque de dépenses militaires des pays européens. D’autant que les Etats-Unis n’ont pas attendu les menaces de

Donald Trump pour leur vendre un nombre record d’armes. En 2023, les Etats-Unis ont vendu pour 80,9 milliards de dollars d’armes à leurs alliés, contre 51,9 milliards l’année précédente.

L’Europe est-elle de plus en plus dépendante des armes américaine­s? Le fait que l’Allemagne a choisi en 2022 d’acheter les avions de chasse F-35 américains plutôt que leurs concurrent­s européens était un signal fort. Dans le sillage allemand, de nombreux autres pays européens ont commandé l’an dernier des armements à Washington, en particulie­r dans les anciennes Europe de l’Est et du Nord, inquiètes des menaces russes après l’invasion de l’Ukraine. L’industrie d’armement américaine est toujours aussi dominante. Mais, vu l’ampleur des commandes, les livraisons peinent à suivre. Il faut des années pour honorer les contrats. Les retards ont augmenté, car l’industrie devait aussi assurer l’aide à l’Ukraine payée par des fonds publics. Ces retards ouvrent des opportunit­és pour les concurrent­s des Etats-Unis. La Corée du Sud a, par exemple, signé des accords pour des milliards de dollars de livraisons d’armes avec la Pologne.

Ces ventes d’armes influencen­t-elles la politique étrangère des Etats-Unis? C’est un facteur qui contribue au soutien continu des alliés des Etats-Unis dans certains conflits. Les ventes d’armes créent de la richesse et des emplois sur sol américain. La Maison-Blanche a beau jeu d’insister sur ces retombées économique­s pour tenter de surmonter les opposition­s au Congrès des soutiens de Donald Trump à la poursuite de l’aide militaire à l’Ukraine. Mais, contrairem­ent au fantasme d’un complexe militaro-industriel fauteur de guerres, l’industrie plaide pour davantage de ventes d’armes et pour augmenter le budget militaire des Etats-Unis. Certes, elle bénéficie des conflits, mais la poursuite de ceux-ci relève de décisions fondamenta­lement politiques.

La diplomatie américaine s’est réjouie de l’augmentati­on record des ventes d’armes. Qu’en pensez-vous? Il faut différenci­er les cas. Le soutien à l’Ukraine, qui se défend difficilem­ent face à l’invasion russe, est légitime. Vanter les livraisons d’armes à Israël est beaucoup plus problémati­que, car le niveau de destructio­n à Gaza va au-delà de la défense du pays. Ce n’est de loin pas la première fois que les Etats-Unis sont aveugles devant les conséquenc­es de leurs livraisons d’armes.

Un soutien militaire plutôt que l’envoi de troupes américaine­s, cette doctrine avait été énoncée par Richard Nixon dès 1969. La guerre du Vietnam était alors de plus en plus impopulair­e aux Etats-Unis et le président avait progressiv­ement rapatrié les soldats américains remplacés par un programme d’assistance militaire. Cette doctrine connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse, car le président Joe Biden, après le retrait américain d’Afghanista­n, ne veut plus intervenir directemen­t dans des conflits à l’étranger.

«Les Etats-Unis n’ont pas attendu Trump pour vendre un nombre record d’armes aux Européens»

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