Le Temps

«L’armée ukrainienn­e manque de tout»

Alors que la puissance de feu est primordial­e dans une guerre de tranchées, le manque de ressources humaines et matérielle­s oblige Kiev à être très économe. Les prochains mois seront décisifs

- CAMILLE PAGELLA X @CamillePag­ella

Pour l’Ukraine, l’avenir proche s’annonce difficile. Confronté au manque d’hommes et de munitions, Kiev a préféré abandonner ses positions dans la ville d’Avdiivka. Pour pouvoir tenir tête à la Russie, passée à l’attaque dans l’est et le sud du pays, l’armée ukrainienn­e joue désormais avec des bouts de ficelle et rappelle sans cesse leurs promesses aux Occidentau­x.

Car les alliés de Kiev, et en particulie­r les Etats-Unis, peinent à maintenir leur programme d’aide. Si l’Union européenne a fini par débloquer 50 milliards d’euros en février, elle ne livrera d’ici à Pâques que la moitié d’un million d’obus promis l’année dernière. Aux Etats-Unis, ce sont 60 milliards de dollars d’assistance qui sont bloqués du fait de querelles entre les républicai­ns et l’administra­tion de Joe Biden.

Dans un message vidéo diffusé lundi soir, le président Volodymyr Zelensky dont l’armée utiliserai­t jusqu’à 5000 obus d’artillerie par jour a insisté sur deux types d’armements: les systèmes de défense aérienne et les armes de longue portée. Pour les premiers, Kiev utilise majoritair­ement les Patriot américains livrés à la fin de l’année 2022 et pour lesquels ses soldats ont été formés dans des bases américaine­s en Europe. Les S-300, un système de missiles sol-air d’origine soviétique, lui permettent aussi d’intercepte­r les missiles et drones lancés par l’armée russe sur les villes et les infrastruc­tures.

Les armes de longue portée (capables de toucher plus en profondeur les troupes russes) sont, elles, réclamées depuis des mois par le président ukrainien. «Nous n’avons pas d’armes de longue portée, la Russie a ces armes […] et c’est pourquoi nous continuons à attendre le soutien de nos partenaire­s», avait insisté Volodymyr Zelensky de passage à Berlin vendredi dernier. En 2023, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, d’abord réticents, avaient finalement livré des Storm Shadow et des Scalp dont la portée est de 250 kilomètres. Les Etats-Unis avaient suivi avec des missiles ATACMS, utilisés pour la première fois par l’Ukraine en octobre.

«Drones, munitions, hommes: l’armée ukrainienn­e manque aujourd’hui de tout, résume Jean-Marc Rickli, directeur des risques globaux et émergents au Centre de politique de sécurité à Genève. Dans une guerre d’attrition, la capacité numérique est primordial­e. Celui qui l’emportera sera celui qui pourra résister le plus longtemps, avec le plus de soldats et le plus d’armes.» Face aux manques de Kiev, l’armée russe, elle, a augmenté ses capacités militaires et peut compter sur le soutien matériel de la Corée du Nord et de l’Iran.

Arrivée des F-16

Cette année devrait néanmoins sonner l’arrivée d’avions de chasse dans le ciel ukrainien. Quatre pays occidentau­x se sont engagés à envoyer une soixantain­e de chasseurs américains F-16 à Kiev: la Belgique, le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas. La formation des pilotes ukrainiens a d’ailleurs déjà commencé en Roumanie et au Danemark. «Une arme en tant que telle n’est jamais décisive, tempère Jean-Marc Rickli. Ces avions donneront à l’Ukraine la capacité de maîtriser l’espace aérien, une prérogativ­e essentiell­e pour toute offensive notamment pour la reconnaiss­ance, des frappes préventive­s et du soutien aux troupes au sol. Mais le problème est qu’au sol, justement, la capacité ukrainienn­e est de plus en plus réduite.»

Deux ans après le début de l’invasion russe, l’histoire se répète: les Occidentau­x sont toujours hésitants à fournir plus d’aide à l’Ukraine. Au début du conflit, face à la progressio­n éclair des troupes russes, Kiev recevait dans l’urgence des dizaines de milliers d’armes légères pour se défendre. Puis face à la guerre de tranchées qui s’installait dans l’est et le sud du pays, l’Ukraine obtenait des chars modernes. Selon le Kiel Institute, qui traque l’aide à l’Ukraine, sur les 265 chars promis, au moins 150 avaient été livrés à fin octobre.

Les stocks des Occidentau­x sont vides «et chaque Etat doit garder une réserve stratégiqu­e, surtout dans un monde de plus en plus polarisé, conclut Jean-Marc Rickli. Le problème est toujours le même: contrairem­ent à la Russie, les Etats occidentau­x ne sont pas en économie de guerre.»

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