«Il est douloureux d’être Palestinien»
Les audiences sur l’occupation israélienne des territoires palestiniens devant la Cour internationale de justice ont débuté lundi à La Haye. L’ambassadeur palestinien aux Nations unies, Riyad Mansour, a eu du mal à retenir ses larmes
Cravate serrée et keffieh en écharpe, le ministre des Affaires étrangères palestinien, Riyad al-Maliki, a plaidé, lundi 19 février, pour la fin «immédiate, inconditionnelle et totale» de l’occupation israélienne face aux 15 juges de la Cour internationale de justice (CIJ). Trois heures durant, diplomates et avocats de la délégation palestinienne présents à La Haye (Pays-Bas), où siège la haute juridiction onusienne, ont tenté de convaincre les juges de l’illégalité de l’occupation israélienne en place depuis 1967.
Saisie par l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) en décembre 2022, la CIJ doit rendre un avis consultatif «non contraignant» sur les conséquences juridiques «découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est». Ces débats ne sont pas liés à la requête de l’Afrique du Sud, qui, fin décembre 2023, a accusé Israël de génocide contre les Palestiniens de Gaza. «Il a fallu une décennie de lutte douloureuse au peuple palestinien pour se tenir devant vous aujourd’hui», a dit, ému, Riyad al-Maliki à l’ouverture de l’audience.
Des territoires grignotés
Le «droit à l’autodétermination, l’interdiction de l’apartheid et de l’acquisition de territoires par la force» sont, en droit international, des «normes impératives, non négociables», a rappelé Riyad al-Maliki. Il n’y a «aucune dérogation possible», a-t-il insisté. Le ministre a donc demandé la fin du «deux poids, deux mesures: aucun pouvoir occupant, y compris Israël, ne peut bénéficier d’un veto perpétuel sur les droits des personnes qu’il occupe.»
Puis le ministre a exposé aux juges le quotidien sous occupation. «Vos vies, votre communauté et vos maisons sont constamment menacées. Vos proches peuvent être mis en prison, vos terres peuvent être volées, colonisées et annexées sans hésitation. Il n’y a de liberté nulle part. Israël peut détruire Gaza, tuer des dizaines de milliers de Palestiniens.» Des enfants peuvent être «traumatisés pour la vie, amputés, handicapés». Tous les drames des Palestiniens découlent «de l’occupation», ont estimé les orateurs qui se sont succédé au pupitre installé face au juge.
Sur le grand écran de la salle d’audience, le ministre a projeté quatre cartes montrant l’évolution des territoires palestiniens, depuis le mandat britannique jusqu’à l’année 2020. Ils ont été méthodiquement grignotés au fil du temps. Une photo de Benyamin Netanyahou brandissant la carte du «nouveau Moyen-Orient» devant l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2023 est venue conclure la démonstration de Riyad al-Maliki: «Netanyahou a effacé la ligne verte [la ligne d’armistice de 1949] devant l’Assemblée générale de l’ONU.» Le premier ministre israélien avait montré une carte sans territoires palestiniens.
«Vos proches peuvent être mis en prison, vos terres peuvent être volées et annexées sans hésitation» RIYAD AL-MALIKI, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES PALESTINIEN
«L’occupation ne peut qu’être temporaire, a rappelé l’avocat international Paul Reichler. Une occupation permanente est un oxymore juridique. C’est son caractère permanent qui rend l’occupation illégale.» A ses yeux, l’annexion de Jérusalem et l’installation de 700 000 colons en Cisjordanie prouvent que les Israéliens n’ont pas l’intention de se retirer.
Paul Reichler s’est appuyé sur les mots des responsables israéliens, du général Moshe Dayan – l’un des acteurs de la guerre de 1967, installant le régime d’occupation – à Benyamin Netanyahou, et a invité les juges à «ne pas douter des mots d’Israël», qui au fil des décennies a toujours annoncé ses intentions.
La guerre dans toutes les têtes
Parmi les 57 Etats qui ont déposé un mémoire à la CIJ en juillet 2023, sur une base volontaire, seuls les Etats-Unis estiment que l’occupation n’est ni légale ni illégale, mais un fait. C’est le seul Etat à défendre Israël sur ce point, a déploré l’avocat. Les Fidji, non plus, ne s’opposent pas à l’occupation. Le petit archipel, qui doit accueillir au cours de l’année une ambassade israélienne dans sa capitale, s’est présenté sur la liste des plaideurs à la dernière minute. L’avocat et professeur franco-britannique Philippe Sands a, lui, noté que «pas même Israël n’a dénié à la Palestine le droit à l’autodétermination».
Si l’occupation est déclarée «illégale», alors l’Etat hébreu devra y mettre fin, démanteler les colonies, assurer le retour des Palestiniens, leur rendre leurs biens ou fournir des compensations, des regrets, des excuses, a expliqué le professeur Alain Pellet. Si l’occupation est illégale, cela aura aussi un impact juridique sur les autres Etats et sur les organisations internationales. Ils devront «s’interdire de fournir du matériel militaire et technique» à Israël, assister les réfugiés et leur fournir les moyens de vivre «notamment par le biais d’organisations internationales compétentes, et cela inclut sûrement l’UNRWA [l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens]», a précisé Alain Pellet. Les Etats ne pourront «pas nouer de relations économiques impliquant la population ou les ressources naturelles des territoires occupés sans accord exprès et légitime des responsables palestiniens». Ils devront enfin poursuivre les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide et coopérer avec la Cour pénale internationale.
En attendant, c’est la guerre à Gaza, déclenchée en octobre après l’attaque du Hamas dans le sud d’Israël, qui est dans toutes les têtes. «Que signifie le droit international pour les enfants palestiniens de Gaza aujourd’hui?», a demandé l’ambassadeur palestinien aux Nations unies, Riyad Mansour. «Il n’a protégé ni les enfants ni leur famille, a insisté le diplomate de 76 ans, la gorge serrée. Il n’a pas protégé leurs vies, leurs espoirs, leurs maisons.» L’ambassadeur réprime un sanglot. «Nous sommes un peuple fier et résilient qui a enduré plus que sa part d’agonie. C’est tellement douloureux d’être Palestinien aujourd’hui…»
Plus de cinquante pays et trois organisations intergouvernementales – l’Union africaine, la Ligue arabe et l’Organisation de la conférence islamique – viendront plaider à La Haye jusqu’au 26 février. Israël ne viendra pas, pas plus que deux de ses alliés, le Canada et le Guatemala. L’Etat hébreu a répondu en cinq pages à la CIJ en juillet 2023, dénonçant «une nette distorsion de l’histoire» du conflit, et fustigeant «le refus de la direction palestinienne [d’accepter] les offres de règlement du conflit et l’établissement d’un Etat palestinien au côté d’Israël». Un porte-parole du Ministère des affaires étrangères a dénoncé l’audience de lundi, alléguant que l’Autorité palestinienne «essayait de transformer un conflit qui devrait être résolu par des négociations directes et sans impositions extérieures en un processus juridique unilatéral et inapproprié». L’avis juridique des juges est attendu dans les six mois.
■