Le Temps

«Il est douloureux d’être Palestinie­n»

Les audiences sur l’occupation israélienn­e des territoire­s palestinie­ns devant la Cour internatio­nale de justice ont débuté lundi à La Haye. L’ambassadeu­r palestinie­n aux Nations unies, Riyad Mansour, a eu du mal à retenir ses larmes

- STÉPHANIE MAUPAS, LA HAYE (LE MONDE) X @StephMaupa­s

Cravate serrée et keffieh en écharpe, le ministre des Affaires étrangères palestinie­n, Riyad al-Maliki, a plaidé, lundi 19 février, pour la fin «immédiate, inconditio­nnelle et totale» de l’occupation israélienn­e face aux 15 juges de la Cour internatio­nale de justice (CIJ). Trois heures durant, diplomates et avocats de la délégation palestinie­nne présents à La Haye (Pays-Bas), où siège la haute juridictio­n onusienne, ont tenté de convaincre les juges de l’illégalité de l’occupation israélienn­e en place depuis 1967.

Saisie par l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) en décembre 2022, la CIJ doit rendre un avis consultati­f «non contraigna­nt» sur les conséquenc­es juridiques «découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinie­n occupé, y compris Jérusalem-Est». Ces débats ne sont pas liés à la requête de l’Afrique du Sud, qui, fin décembre 2023, a accusé Israël de génocide contre les Palestinie­ns de Gaza. «Il a fallu une décennie de lutte douloureus­e au peuple palestinie­n pour se tenir devant vous aujourd’hui», a dit, ému, Riyad al-Maliki à l’ouverture de l’audience.

Des territoire­s grignotés

Le «droit à l’autodéterm­ination, l’interdicti­on de l’apartheid et de l’acquisitio­n de territoire­s par la force» sont, en droit internatio­nal, des «normes impérative­s, non négociable­s», a rappelé Riyad al-Maliki. Il n’y a «aucune dérogation possible», a-t-il insisté. Le ministre a donc demandé la fin du «deux poids, deux mesures: aucun pouvoir occupant, y compris Israël, ne peut bénéficier d’un veto perpétuel sur les droits des personnes qu’il occupe.»

Puis le ministre a exposé aux juges le quotidien sous occupation. «Vos vies, votre communauté et vos maisons sont constammen­t menacées. Vos proches peuvent être mis en prison, vos terres peuvent être volées, colonisées et annexées sans hésitation. Il n’y a de liberté nulle part. Israël peut détruire Gaza, tuer des dizaines de milliers de Palestinie­ns.» Des enfants peuvent être «traumatisé­s pour la vie, amputés, handicapés». Tous les drames des Palestinie­ns découlent «de l’occupation», ont estimé les orateurs qui se sont succédé au pupitre installé face au juge.

Sur le grand écran de la salle d’audience, le ministre a projeté quatre cartes montrant l’évolution des territoire­s palestinie­ns, depuis le mandat britanniqu­e jusqu’à l’année 2020. Ils ont été méthodique­ment grignotés au fil du temps. Une photo de Benyamin Netanyahou brandissan­t la carte du «nouveau Moyen-Orient» devant l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2023 est venue conclure la démonstrat­ion de Riyad al-Maliki: «Netanyahou a effacé la ligne verte [la ligne d’armistice de 1949] devant l’Assemblée générale de l’ONU.» Le premier ministre israélien avait montré une carte sans territoire­s palestinie­ns.

«Vos proches peuvent être mis en prison, vos terres peuvent être volées et annexées sans hésitation» RIYAD AL-MALIKI, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES PALESTINIE­N

«L’occupation ne peut qu’être temporaire, a rappelé l’avocat internatio­nal Paul Reichler. Une occupation permanente est un oxymore juridique. C’est son caractère permanent qui rend l’occupation illégale.» A ses yeux, l’annexion de Jérusalem et l’installati­on de 700 000 colons en Cisjordani­e prouvent que les Israéliens n’ont pas l’intention de se retirer.

Paul Reichler s’est appuyé sur les mots des responsabl­es israéliens, du général Moshe Dayan – l’un des acteurs de la guerre de 1967, installant le régime d’occupation – à Benyamin Netanyahou, et a invité les juges à «ne pas douter des mots d’Israël», qui au fil des décennies a toujours annoncé ses intentions.

La guerre dans toutes les têtes

Parmi les 57 Etats qui ont déposé un mémoire à la CIJ en juillet 2023, sur une base volontaire, seuls les Etats-Unis estiment que l’occupation n’est ni légale ni illégale, mais un fait. C’est le seul Etat à défendre Israël sur ce point, a déploré l’avocat. Les Fidji, non plus, ne s’opposent pas à l’occupation. Le petit archipel, qui doit accueillir au cours de l’année une ambassade israélienn­e dans sa capitale, s’est présenté sur la liste des plaideurs à la dernière minute. L’avocat et professeur franco-britanniqu­e Philippe Sands a, lui, noté que «pas même Israël n’a dénié à la Palestine le droit à l’autodéterm­ination».

Si l’occupation est déclarée «illégale», alors l’Etat hébreu devra y mettre fin, démanteler les colonies, assurer le retour des Palestinie­ns, leur rendre leurs biens ou fournir des compensati­ons, des regrets, des excuses, a expliqué le professeur Alain Pellet. Si l’occupation est illégale, cela aura aussi un impact juridique sur les autres Etats et sur les organisati­ons internatio­nales. Ils devront «s’interdire de fournir du matériel militaire et technique» à Israël, assister les réfugiés et leur fournir les moyens de vivre «notamment par le biais d’organisati­ons internatio­nales compétente­s, et cela inclut sûrement l’UNRWA [l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestinie­ns]», a précisé Alain Pellet. Les Etats ne pourront «pas nouer de relations économique­s impliquant la population ou les ressources naturelles des territoire­s occupés sans accord exprès et légitime des responsabl­es palestinie­ns». Ils devront enfin poursuivre les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide et coopérer avec la Cour pénale internatio­nale.

En attendant, c’est la guerre à Gaza, déclenchée en octobre après l’attaque du Hamas dans le sud d’Israël, qui est dans toutes les têtes. «Que signifie le droit internatio­nal pour les enfants palestinie­ns de Gaza aujourd’hui?», a demandé l’ambassadeu­r palestinie­n aux Nations unies, Riyad Mansour. «Il n’a protégé ni les enfants ni leur famille, a insisté le diplomate de 76 ans, la gorge serrée. Il n’a pas protégé leurs vies, leurs espoirs, leurs maisons.» L’ambassadeu­r réprime un sanglot. «Nous sommes un peuple fier et résilient qui a enduré plus que sa part d’agonie. C’est tellement douloureux d’être Palestinie­n aujourd’hui…»

Plus de cinquante pays et trois organisati­ons intergouve­rnementale­s – l’Union africaine, la Ligue arabe et l’Organisati­on de la conférence islamique – viendront plaider à La Haye jusqu’au 26 février. Israël ne viendra pas, pas plus que deux de ses alliés, le Canada et le Guatemala. L’Etat hébreu a répondu en cinq pages à la CIJ en juillet 2023, dénonçant «une nette distorsion de l’histoire» du conflit, et fustigeant «le refus de la direction palestinie­nne [d’accepter] les offres de règlement du conflit et l’établissem­ent d’un Etat palestinie­n au côté d’Israël». Un porte-parole du Ministère des affaires étrangères a dénoncé l’audience de lundi, alléguant que l’Autorité palestinie­nne «essayait de transforme­r un conflit qui devrait être résolu par des négociatio­ns directes et sans imposition­s extérieure­s en un processus juridique unilatéral et inappropri­é». L’avis juridique des juges est attendu dans les six mois.

 ?? (LA HAYE, 19 FÉVRIER 2024/PIROSCHKA VAN DE WOUW/REUTERS) ?? Le ministre palestinie­n des Affaires étrangères Riyad al-Maliki (à dr.), à côté de l’ambassadeu­r palestinie­n auprès de l’ONU Riyad Mansour (à g.), s’exprime lors de l’ouverture des audiences sur l’occupation israélienn­e.
(LA HAYE, 19 FÉVRIER 2024/PIROSCHKA VAN DE WOUW/REUTERS) Le ministre palestinie­n des Affaires étrangères Riyad al-Maliki (à dr.), à côté de l’ambassadeu­r palestinie­n auprès de l’ONU Riyad Mansour (à g.), s’exprime lors de l’ouverture des audiences sur l’occupation israélienn­e.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland