Des pommes sans pesticides, le défi valaisan
L’interprofession des fruits et légumes du canton du Valais a lancé, en 2021, un projet visant à réduire les produits de synthèse dans des vergers. A mi-étape, le bilan est mitigé: le risque environnemental est moindre, mais le chiffre d’affaires aussi
En 2021, alors que la Suisse débattait de deux initiatives pour une eau propre et l'absence de pesticides de synthèse, l'interprofession des fruits et légumes du Valais (Ifelv) lançait ArboPhytoRed, un projet visant à réduire l'usage des herbicides, insecticides et fongicides des vergers valaisans, avec le concours des services cantonaux, de l'Office fédéral de l'agriculture et de l'Agroscope. Autrement dit, s'engager en douceur vers une transition agroécologique, en bénéficiant d'un soutien financier et scientifique.
Avec environ 23 kg de phytosanitaires (de synthèse ou naturels) répandus en moyenne par hectare, l'arboriculture est le secteur agricole parmi les plus gourmands en pesticides. Les molécules de synthèse sont plébiscitées par les producteurs de fruits pour éradiquer pucerons, psylles et autres ravageurs, ainsi que réduire la pression des maladies comme la tavelure du pommier, mais posent des problèmes environnementaux. D'où l'émergence d'ArboPhytoRed. «Il s'agit d'un projet unique à l'échelle du pays, qui vise à voir si les alternatives aux pesticides de synthèse ou à risque peuvent être durables, que ce soit à l'échelle économique, sociale ou environnementale», explique Loredana Storno, la coordinatrice du projet chez l'Ifelv.
Moins 30% de phytos de synthèse…
L'objectif est pour le moins ambitieux: réduire de 30% l'usage de phytosanitaires (PPh) de synthèse et ceux dits à risque particulier, c'est-à-dire ayant des propriétés indésirables sur la santé humaine et l'environnement (certains sont autorisés en agriculture biologique, le plus connu étant le cuivre). Ce chiffre reprend celui du Plan d'action PPh de la Confédération, adopté en 2017.
S'ajoute une contrainte supplémentaire: se limiter à 10% de pertes pour les arboriculteurs. Mission impossible? A mi-étape du projet, on dresse un bilan intermédiaire.
Commençons par les bonnes nouvelles. «On diminue les risques pour les organismes aquatiques – micro-organismes et poissons – de 20 à 30% selon les espèces en moyenne», rapporte Danilo Christen, responsable du groupe de recherche en arboriculture au sein de l'Agroscope, qui ajoute que les résultats doivent encore être affinés par parcelle. En sus, un suivi agronomique de la faune auxiliaire et de la flore est également prévu, mais pour la seconde partie du projet, les effets n'étant pas visibles sur le très court terme. Le chercheur observe toutefois une biodiversité animale plus abondante chez les producteurs qui réduisaient déjà le recours aux pesticides de synthèse avant ArboPhytoRed.
… mais plus 30% de pertes
Reste que ces améliorations sont cher payées. Les pertes enregistrées par les producteurs de pommes sur les années 2021 et 2022 s'élèvent de 20 à 30%, parfois plus, selon l'Ifelv. «Nos craintes initiales se sont confirmées. L'objectif de ne pas dépasser les 10% de pertes est clairement un échec», reconnaît la coordinatrice du projet.
Julien Taramarcaz, qui cultive à Martigny 30 hectares de pommes dont 1,5 en test ArboPhytoRed, ne passe pas par quatre chemins. «Si on doit produire dans ces conditions-là, on met la clé sous le paillasson. C'est viablement impossible.» L'arboriculteur, qui a essuyé des pertes de rendement de 30 à 50%, figurait parmi les premiers inscrits: «Le projet s'inscrivait dans la lignée de ce que l'on faisait: on cultivait déjà une parcelle sans produit de synthèse. Et là, on bénéficiait d'un appui scientifique et technique». Deux conseillers de l'Agroscope et du service agricole du Valais sont en effet chargés d'accompagner les expérimentateurs.
En compensation de sa participation au projet et au renoncement à tout herbicide de synthèse, chaque exploitation perçoit 2400 francs annuels. S'ajoutent des contributions allant jusqu'à 1000 francs par hectare, selon les mesures supplémentaires choisies par l'arboriculteur: proscrire les fongicides et/ou insecticides à risque avant la fin de la floraison, ou l'ensemble des molécules synthétiques et à risque durant toute la période de végétation.
«Les producteurs ont vraiment joué le jeu, certains tentent des mesures qui ne sont vraiment pas les plus simples», tient à saluer Loredana Storno. «Franchement, ils ont la niaque», applaudit Danilo Christen, qui précise que les dédommagements versés ne couvrent pas les pertes des producteurs de pommiers. «Les cultivateurs de poires ont moins souffert de tels dommages, quant aux abricots, les récoltes de ces trois dernières années ont été si faibles, en raison de gels et de grêles, qu'il n'est pour l'heure pas pertinent de tirer des conclusions», souligne le chercheur.
Davantage de traitements et de main-d’oeuvre
Les producteurs de pommes ont non seulement récolté moins, mais ont aussi ramassé des fruits de moindre qualité, explique Loredana Storno: «On a moins de fruits catégorie 1, destinés à la table et mieux rétribués. Plus de fruits sont relégués en catégorie 2 (vente en gros, transformation) ou 3 (pour le cidre).»
Les gains sont donc moindres, alors que c'est la tendance inverse pour les coûts de production. Les produits alternatifs sont non seulement plus coûteux, mais plus utilisés, étant moins pénétrants et moins persistants dans l'environnement. «Si on veut traiter sans synthèse la tavelure du pommier, qui est la maladie la plus problématique, on utilise des produits de contact qui sont lessivés chaque fois qu'il pleut, illustre Julien Taramarcaz. S'il tombe 20 mm de pluie après un passage, on est bon pour refaire un traitement.»
Le désherbage mécanique est également plus gourmand en temps, et donc en main-d'oeuvre à rémunérer. Sans compter le surplus d'émissions de CO2 et le tassement des sols, grince l'arboriculteur. Des paramètres qui seront pris en compte dans l'analyse finale, promet Danilo Christen, de l'Agroscope.
De l'avis de Julien Taramarcaz, «les variétés de pommiers en place sont beaucoup trop sensibles aux maladies» pour se passer totalement de produits de synthèse. Interrogée sur cette idée de renouvellement, Loredana Storno s'en remet aux distributeurs: «On ne peut pas planter des arbres qui donneront dans seulement plusieurs années, sans savoir si on peut les vendre».
Depuis 2021, trois participants ont jeté l'éponge, ce qui n'a pas empêché le nombre net d'inscrits d'augmenter continuellement – la campagne de recrutement est toujours d'actualité. De son côté, Julien Taramarcaz compte bien continuer: «Ce projet n'est pas du tout un échec, au contraire. Il permet de mettre autour de la table les divers producteurs, on échange des manières de faire… Et surtout, il montre que si on veut produire sans synthèse, la répercussion des coûts sur le produit fini sera énorme.»
Pour l'ensemble des parties prenantes, l'enjeu est désormais de valoriser les fruits produits avec moins de pesticides de synthèse, invisibilisés dans la filière conventionnelle. A nouveau, sont évoquées la nécessité des prix plus rémunérateurs, les marges des distributeurs et la volonté des consommateurs de payer plus cher des produits plus vertueux. Une question de plus en plus brûlante, alors qu'«il est indispensable de diminuer l'utilisation des pesticides» dont les effets indésirables se chiffrent à «plusieurs centaines de millions de francs par an», alertait en 2021 l'Académie suisse des sciences naturelles.
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«Si on veut produire sans synthèse, la répercussion des coûts sur le produit fini sera énorme» JULIEN TARAMARCAZ, PRODUCTEUR DE POMMES À MARTIGNY