Le Temps

Le PLR coule la taxe au tonnage

Alors que le Parti libéral-radical a toujours soutenu la réforme fiscale touchant le secteur, ses sénateurs ont fait défaut à la Commission de l’économie

- DAVID HAEBERLI, BERNE @David_Haeberli

«Chaque réforme bénéficie d'une fenêtre favorable. Celle de la taxe au tonnage s'est refermée.» Peut-on être plus explicite que le président de la puissante Commission de l'économie et des redevances (CER) du Conseil des Etats, à la sortie de l'ultime réunion avant la session de printemps, qui commence le 26 février? Hans Wicki, tenu par le secret des délibérati­ons, ne peut s'exprimer plus avant, mais les mots de l'élu PLR de Nidwald ne laissent pas de place au doute: la réforme fiscale touchant au secteur du transport maritime ne trouvera pas de majorité, le 14 mars prochain, devant le Conseil des Etats. La CER, composée de poids lourds du parlement, n'est pas une commission à laquelle on désobéit à la légère. Par sept voix contre quatre, et deux abstention­s, elle a voté la non-entrée en matière sur cet objet.

Selon toute vraisembla­nce, les votes des quatre élus PLR ont été déterminan­ts, eux dont le parti avait jusqu'alors soutenu le texte, avec le reste de la droite et Le Centre. Opposée, la gauche avait brandi la menace d'un référendum. Durant les débats au Conseil national, le Parti vert'libéral s'y était également opposé. La voix de sa sénatrice a certaineme­nt complété la majorité de la commission. Ce refus ne marque pas la fin du parcours parlementa­ire de cette réforme, puisqu'elle retrouvera le Conseil national où elle avait récolté une courte majorité fin 2022. Mais cela ne sera pas avant cet été, voire cet automne. La perspectiv­e d'être imposée sur la base du volume de fret d'un bateau plutôt que sur le bénéfice s'éloigne donc pour l'industrie navale suisse.

Impact fiscal brumeux

Au sein de l'Union européenne, 21 pays appliquent pourtant déjà cette taxe. Pour ses soutiens, dont fait partie le Conseil fédéral, cette réforme serait un moyen de conserver la compétitiv­ité de la place économique helvétique.

Les doutes des sénateurs ne sont pas nouveaux. Il y a un an, ils avaient demandé à l'administra­tion fédérale des complément­s d'informatio­n afin de clarifier la constituti­onnalité de la mesure, les exigences en matière de pavillon, la distinctio­n entre navigation et commerce de matières premières et surtout ses conséquenc­es sur les recettes fiscales. Les réponses ne les ont apparemmen­t pas satisfaits. L'impact fiscal de ce changement reste brumeux. «Le risque de perte de recettes est trop élevé au vu de la situation financière tendue de la Confédérat­ion», dit le communiqué. «Faute de données statistiqu­es, il n'est pas possible d'estimer de manière fiable les

La perspectiv­e d’un impôt sur la base du volume de fret d’un bateau plutôt que sur le bénéfice s’éloigne

conséquenc­es financière­s liées à l'introducti­on d'une taxe au tonnage», soulignait d'ailleurs le message du Conseil fédéral.

Le souhait de la commission est que cette question soit intégrée dans une stratégie fiscale globale et non qu'elle fasse l'objet d'un traitement spécifique.

Au moment où la ministre PLR des Finances, Karin Keller-Sutter, demande des coupes linéaires de 1,4% dans le budget de la Confédérat­ion, les représenta­nts de son parti auraient beaucoup à perdre en soutenant une réforme qui accorde un privilège à un secteur économique qui se porte particuliè­rement bien. Genève est le siège du géant mondial du fret, MSC. En l'absence de leur publicatio­n officielle, plusieurs médias ont estimé ses bénéfices 2023 à 31 milliards de francs. Ce projet de taxe est d'ailleurs surnommé «Lex MSC» par ses détracteur­s.

D’un système de malus à un système de bonus

En Suisse, une soixantain­e de sociétés sont concernées. Elles sont principale­ment implantées à Genève et dans les cantons de Vaud et du Tessin. Les mécontents, en cas de refus final, devraient donc y être circonscri­ts.

Durant les débats, la volonté de la gauche de lier cette taxe à un progrès environnem­ental pour ce secteur très polluant n'a pas rencontré d'écho favorable. Au contraire: un système de malus prévu pour les tankers les plus sales s'est transformé en bonus pour ceux qui polluent moins, rendant les recettes pour la Confédérat­ion toujours plus maigres au fur et à mesure de l'assainisse­ment de la flotte de 900 navires détenus par les firmes basées en Suisse.

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