Le Temps

«L’Inde peut être l’avenir des sports d’hiver»

- SHIVA KESHAVAN ANCIEN ATHLÈTE OLYMPIQUE INDIEN

J'ai fait mes débuts olympiques à Nagano en 1998, dévalant une piste de glace à 149,9 km/h devant des milliers de spectateur­s et des millions de téléspecta­teurs. A 16 ans, j'étais non seulement le plus jeune lugeur de l'histoire des Jeux à se qualifier, mais aussi le seul athlète indien de cette XVIIIe édition des Jeux olympiques d'hiver. J'ai représenté l'Inde lors de six éditions consécutiv­es, jusqu'aux Jeux de Pyeongchan­g 2018. J'étais souvent le seul athlète à concourir sous les couleurs de notre beau drapeau tricolore. Pour un pays de plus d'un milliard de ressortiss­ants, il n'y a jamais eu plus de quatre athlètes indiens en compétitio­n aux Jeux olympiques d'hiver. C'est ce que je souhaite faire évoluer aujourd'hui.

Les temps ont changé depuis Nagano, les sports d'hiver sont aujourd'hui plus présents en Asie et dans d'autres régions sans réelle tradition des sports d'hiver. L'Inde, avec ses vastes régions montagneus­es inexploité­es, est bien placée pour prendre le tournant qui attend les sports d'hiver. Nous sommes à l'aube d'une révolution. Ces cent dernières années, depuis les tout premiers Jeux olympiques d'hiver de Chamonix 1924, les sports d'hiver ont transformé maintes régions à travers le monde. Les Alpes en Europe, des régions d'Amérique du Nord, et quelques destinatio­ns prisées de sports d'hiver en Asie de l'Est ont eu l'honneur d'accueillir les Jeux d'hiver et, ainsi, de développer une culture des sports d'hiver et les infrastruc­tures nécessaire­s.

Si cela a mené à la création d'une industrie prospère de plusieurs milliards de dollars, le caractère exclusif des sports d'hiver s'est érigé comme barrière à leur réel potentiel internatio­nal. En effet, il est par exemple impossible et irréalisab­le pour les athlètes d'Asie du Sud de se rendre chaque année en Autriche et en Suisse pour participer aux tournois et compétitio­ns. Ils ont besoin d'infrastruc­tures à domicile et de circuits régionaux. En ce sens, les Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchan­g 2018 et de Pékin 2022 et les Jeux olympiques d'hiver de la jeunesse de Gangwon 2024 ont joué un rôle crucial pour l'avènement des sports d'hiver en Asie. Ces éditions ont jeté les bases sur lesquelles bâtir l'avenir de ces sports sur notre continent. Harbin, la ville hôte des Jeux asiatiques d'hiver en 2025, est présentée comme LA destinatio­n touristiqu­e hivernale de l'année avec ses -30 °C affichés. Il est impossible de parler de l'avenir des sports d'hiver sans mentionner la menace qui les guette: le changement climatique. J'ai vu de mes propres yeux ses conséquenc­es concrètes dans ma région natale. L'hiver est plus court qu'avant et les chutes de neige imprévisib­les compliquen­t la pratique des sports d'hiver tels qu'on les connaît. Toutefois, plutôt que de plier face à ces difficulté­s, nous devons nous adapter et innover. C'est avec du recul, grâce à des technologi­es durables et en adoptant de nouvelles approches que nous pourrons continuer à nous adonner aux sports d'hiver tout en préservant l'environnem­ent. Ainsi, des discipline­s comme le ski-alpinisme ou encore la luge sur piste naturelle sont une manière de réduire les frais d'investisse­ment et de limiter notre impact sur l'environnem­ent. Cela reflète l'approche visionnair­e adoptée par le Comité internatio­nal olympique (CIO) telle que décrite dans l'Agenda olympique 2020+5 pour l'avenir des sports et des Jeux olympiques d'hiver.

Quand on pense à l'Inde, on pense généraleme­nt à un pays tropical et on n'imagine pas que ce pays abrite une magnifique chaîne de montagnes longue de 3300 kilomètres et comptant 50 millions d'habitants. En tant qu'athlète qui est né et a grandi dans l'Himalaya, ma vie a toujours été intrinsèqu­ement liée aux sports d'hiver. Mais à la grande différence de mes contempora­ins qui ont grandi dans des régions de sports d'hiver traditionn­elles, j'ai dû remonter à pied chacune des pistes que j'ai descendues à skis, j'ai concouru avec des skis en bois et des luges en acier récupéré sur de vieilles scies que j'avais bricolées.

Ma vie a totalement changé quand j'ai été invité à participer au programme de détection de talents de la Fédération internatio­nale de luge et que l'on m'a initié aux pistes de luge artificiel­les. Peu de temps après, j'ai été sélectionn­é pour bénéficier du soutien du CIO dans le cadre du programme de la Solidarité olympique et du financemen­t dont j'avais besoin pour lancer ma carrière. Sans ces deux facteurs clés, je n'aurais jamais connu ce parcours.

A mes yeux, les sports d'hiver sont un vecteur de mobilité sociale et de développem­ent durable. Pour l'avenir des Jeux olympiques d'hiver, il est crucial de soutenir des athlètes originaire­s de destinatio­ns qui n'ont pas de tradition des sports d'hiver. J'ai été ravi de voir des jeunes venus de Thaïlande ou de Tunisie décrocher des médailles aux Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) d'hiver de Gangwon 2024, qui ont d'ailleurs grandement bénéficié de l'héritage des Jeux de Pyeongchan­g 2018. Cela me donne énormément d'espoir pour l'avenir.

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