Le Temps

Les seniors en ont encore sous le coude

Les comédies françaises mettent de plus en plus à l’honneur des vieux pas si croulants que ça. Analyse d’un phénomène avec la sortie de «Maison de retraite 2»

- CHRISTOPHE PINOL @joromulasa­n

Ces dernières années, la comédie française s’est trouvé un nouveau dada: les seniors. Joyeuse retraite! 1 et 2 (2020, 2022), Un Tour chez ma fille (2021), Choeur de rockers (2022), Les Vieux Fourneaux 1 et 2 (2017, 2022), Sexygénair­es (2023) ou encore Maison de retraite (2022), dont le second volet débarque en salles ce mercredi. On y verra les pensionnai­res du premier volet (Daniel Prévost, Liliane Rovère…) forcés de déménager dans un établissem­ent du sud de la France et faire face à des retraités hostiles à leur venue (Jean Réno, Amanda Lear, Enrico Macias…).

Ajoutez au casting Michèle Laroque, Eddy Mitchell ou Pierre Richard et on obtient une moyenne d’âge de 79 ans pour cette vague de vieux briscards déferlant depuis quelques années. Mais attention, fini les grabataire­s que l’on croisait jusqu’ici dans des rôles secondaire­s. Non, ces «petits vieux» sont bien vigousses, parfois totalement ingérables mais toujours plein de bon sens, capables de jouer les héros, et même encore de laisser parler leur libido. Comme si une nouvelle vie s’offrait aux plus de 70 ans.

Le clash des génération­s

Le phénomène n’est pas nouveau. Des comédies comme Les Vieux de la vieille (1960) ou Tatie Danielle (1990) mettaient déjà le troisième âge en tête d’affiche. C’est le tir groupé qui l’est. Normal, le genre attire les foules et les producteur­s se frottent les mains: 2,2 millions d’entrées en France pour Retour chez ma mère (2016), 2 millions pour Maison de retraite, 1,3 pour Les Vieux Fourneaux et Joyeuse retraite!… Y aurait-il un public essentiell­ement senior pour ces films? L’an passé, une étude du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) spécifiait que les plus de 50 ans avaient été les plus assidus dans les salles en 2022 (38% du public), plus que les 6-24 ans ou les 25-49 ans. «Quand je vais au cinéma à Genève, nous explique le comédien Jean-Luc Bideau, 83 ans, il est vrai que, plutôt l’après-midi et dans les salles indépendan­tes, je ne vois que des têtes blanches. De plus en plus d’ailleurs. Donc oui, les vieux peuvent faire des entrées!»

La force de cette nouvelle vague de comédies françaises, c’est qu’elle ne se contente pas de flatter les seniors. Elle oppose la vieille garde à la jeune, avec toutes les différence­s que ça implique, jusqu’à provoquer un clash de génération­s. Dans Papi Sitter (2019), une ado se retrouve à réviser son bac en compagnie de ses deux infréquent­ables grands-pères. Dans Un Petit Miracle (2022), une classe d’enfants doit intégrer une maison de retraite parce que leur école a brûlé. Et Maison de retraite met en scène un jeune délinquant forcé de travailler dans un EMS… «Quand j’ai écrit ce film avec Kev Adams [qui campe également le délinquant en question], nous explique la scénariste Catherine Diament, on m’avait dit: «Les vieux ne vont pas aller voir ton film parce qu’ils ne connaissen­t pas Kev Adams et les jeunes non plus parce qu’ils n’ont pas envie de voir des vieux». Alors qu’au contraire, je crois que la force du film est d’avoir su réunir deux mondes. A l’écran comme dans les salles».

Sous le vernis de la comédie se cachent parfois aussi de réelles problémati­ques liées à l’âge. La pauvreté chez les retraités avec les deux amis de Sexygénair­es (Thierry Lhermitte et Patrick Timsit), sans le sou à l’âge de la retraite, qui décident de se lancer dans le mannequina­t. Mais aussi la solitude des personnes âgées dans Noël joyeux (2023), avec un couple (Franck Dubosc et Emmanuelle Devos) qui accueille une pensionnai­re d’EMS esseulée (Danièle Lebrun) pour le soir de Noël. Ou encore les abus de certains établissem­ents dans Maison de retraite. «En enquêtant, continue Catherine Diament, j’ai vu que des Ehpad [EMS] droguaient leurs pensionnai­res pour les faire dormir toute la nuit et ne pas déranger les aides-soignants, qu’ils leur servaient de la viande avariée… On voulait aussi dénoncer ce genre de pratique.» Sans compter que le film est sorti juste après la révélation du scandale des maisons de retraite Orpea et leurs graves dysfonctio­nnements décrits dans le livre Les Fossoyeurs.»

Dommage par contre que ces production­s soient souvent d’une qualité discutable. Si certaines parviennen­t tout de même à faire preuve de tendresse et à se montrer touchantes, l’humour ne vole généraleme­nt pas très haut. Et Maison de retraite 2 en est hélas l’un des exemples les plus navrants. «On me l’avait proposé, confie Jean-Luc Bideau, qui fut l’un des pensionnai­res de marque du premier volet. Mais j’ai refusé. Avec le premier, j’avais été déçu qu’ils réduisent autant mon rôle. Je n’y faisais plus que de la figuration et je ne voulais pas réitérer l’expérience. Et puis ce n’est pas le film de ma vie…»

La mort, cette réalité

Mais une production faisant essentiell­ement appel à des seniors est-elle plus compliquée à gérer qu’une autre? «Pour nous, acteurs, reconnaît le Genevois, l’âge rend en tout cas les choses plus difficiles. Surtout quand il s’agit de mémoriser un texte… Pas facile, avec la mémoire qui flanche!» Catherine Diament renchérit: «On ne peut pas non plus les faire trop attendre entre les prises. Ça complique la logistique. Mais là où ça devient délicat, c’est au niveau des assurances, qui ne veulent pas prendre de risque. Ce qui avait beaucoup compliqué le financemen­t de Maison de retraite.»

Reste à évoquer les spectres de la fin de vie ou de la maladie… Faut-il les esquiver quand on veut faire rire? Pour certaines de ces comédies, il n’en est pas question. «La mort du personnage campé par Gérard Depardieu dans le premier Maison de retraite nous permettait d’apporter un peu d’émotion, poursuit la scénariste.» D’autres fois, la réalité rattrape tout simplement la fiction: Mylène Demongeot faisait elle aussi partie de cet opus et aurait dû reprendre son rôle dans le suivant, si un cancer ne l’avait pas emportée peu avant le tournage. Au final, le film lui rend hommage en expliquant que son personnage s’est éteint entre les deux volets.

Pour les autres, la vie continue et les seniors n’ont pas fini de truster la tête d’affiche. Catherine Diament nous confie même qu’une série télé tirée de

Maison de retraite est dans les tuyaux, dont elle assurera la supervisio­n, comme elle l’a fait avec le second. Sans compter des remakes à l’étude du côté de l’Espagne et de l’Italie. Longue vie aux vieillards! ■

«Là où ça devient délicat, c’est au niveau des assurances, qui ne veulent pas prendre de risque» CATHERINE DIAMENT, SCÉNARISTE

Maison de retraite 2, de Claude Zidi Jr. (France, 2024), avec Kev Adams, Jean Reno, Daniel Prévost, Liliane Rovère, Firmine Richard, 1h42.

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