Face à la colère des agriculteurs, l’Europe doit ouvrir sa bourse
Dans une précédente chronique, je constatais que la colère des paysans européens était, à bien des égards, parfaitement justifiée.
Oui, les agriculteurs sont en position de faiblesse face à l’industrie agroalimentaire et à la grande distribution, ce qui ne leur permet pas d’obtenir un juste prix.
Oui, ils sont soumis à une concurrence extra-européenne qui ne respecte pas les mêmes normes environnementales et sociales.
Oui, l’introduction de taxes sur les carburants en France ou en Allemagne n’est pas opportune puisque les agriculteurs n’ont pas la possibilité de se doter de véhicules et de machines agricoles électriques à moyen terme.
La remise en question des nouvelles normes environnementales représente, en revanche, une véritable menace pour les agriculteurs eux-mêmes et l’ensemble de la société. Rappelons tout d’abord que si des dizaines de milliers d’exploitations ont dû fermer leurs portes ces dernières années, c’est bien à cause d’une politique agricole productiviste qui a outrageusement favorisé les grandes exploitations au détriment des petites et des moyennes. Les exigences environnementales n’y sont pour rien. En outre, les agriculteurs ont certainement plus perdu à cause des effets du réchauffement climatique que de nouvelles normes instaurées par la politique agricole commune (PAC) 2023-2027.
Le diagnostic sur lequel est fondée la nouvelle PAC ne peut guère être contesté. Il s’appuie sur des données scientifiques: 60% des sols ne sont pas sains et 83% contiennent des résidus de pesticides. La Commission européenne a parfaitement raison lorsqu’elle affirme que l’utilisation non durable des ressources naturelles de l’UE, en particulier la dégradation et la pollution des sols, est une cause importante des crises liées au climat et à la biodiversité.
Les mesures proposées et aujourd’hui contestées – comme la mise en jachère d’une partie des sols (4%), la réduction de moitié des pesticides, l’augmentation des surfaces cultivées en bio, la plantation des haies – sont donc indispensables. C’est le seul moyen de lutter contre l’appauvrissement des sols et de préserver une biodiversité sérieusement mise à mal par l’usage intensif de produits toxiques.
La question est donc de savoir si la nouvelle PAC est à la hauteur de ses ambitions. Force est d’admettre que ce n’est pas le cas. L’Europe a simplement ajouté un volet environnemental, sans remettre en question le caractère fondamentalement productiviste de la PAC. Les bonnes intentions sont là: agir contre le changement climatique et préserver les paysages et la biodiversité, mais le cap d’une transition vers l’agroécologie n’est jamais assumé. Les mécanismes de financement sont toujours trop favorables aux grandes exploitations (celles précisément qui s’opposent aux normes environnementales) et sont incapables d’assurer un revenu suffisant à la grande masse des petits producteurs.
Finalement, ce sont peut-être surtout les moyens financiers qui font défaut. Négocier le virage vers l’agroécologie est une tâche complexe, plus complexe sans doute encore que la réduction des émissions de CO2. Pour assurer la pérennité des exploitations, aujourd’hui au bord de la faillite, et leur permettre d’adopter de nouveaux modes de culture, il faut des moyens considérables, sans cela l’hécatombe est inévitable, Or, c’est précisément ce qu’il faut éviter.
Aujourd’hui, l’Europe est au pied du mur: soit elle se dote des moyens d’une véritable transition vers l’agroécologie, en garantissant aux agriculteurs les moyens financiers et l’accompagnement nécessaires, soit le massacre de la biodiversité se poursuivra. Dans ce cas, nous en serons tous demain les victimes.
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