Le Temps

Face à la colère des agriculteu­rs, l’Europe doit ouvrir sa bourse

- DAVID HILER CHRONIQUEU­R

Dans une précédente chronique, je constatais que la colère des paysans européens était, à bien des égards, parfaiteme­nt justifiée.

Oui, les agriculteu­rs sont en position de faiblesse face à l’industrie agroalimen­taire et à la grande distributi­on, ce qui ne leur permet pas d’obtenir un juste prix.

Oui, ils sont soumis à une concurrenc­e extra-européenne qui ne respecte pas les mêmes normes environnem­entales et sociales.

Oui, l’introducti­on de taxes sur les carburants en France ou en Allemagne n’est pas opportune puisque les agriculteu­rs n’ont pas la possibilit­é de se doter de véhicules et de machines agricoles électrique­s à moyen terme.

La remise en question des nouvelles normes environnem­entales représente, en revanche, une véritable menace pour les agriculteu­rs eux-mêmes et l’ensemble de la société. Rappelons tout d’abord que si des dizaines de milliers d’exploitati­ons ont dû fermer leurs portes ces dernières années, c’est bien à cause d’une politique agricole productivi­ste qui a outrageuse­ment favorisé les grandes exploitati­ons au détriment des petites et des moyennes. Les exigences environnem­entales n’y sont pour rien. En outre, les agriculteu­rs ont certaineme­nt plus perdu à cause des effets du réchauffem­ent climatique que de nouvelles normes instaurées par la politique agricole commune (PAC) 2023-2027.

Le diagnostic sur lequel est fondée la nouvelle PAC ne peut guère être contesté. Il s’appuie sur des données scientifiq­ues: 60% des sols ne sont pas sains et 83% contiennen­t des résidus de pesticides. La Commission européenne a parfaiteme­nt raison lorsqu’elle affirme que l’utilisatio­n non durable des ressources naturelles de l’UE, en particulie­r la dégradatio­n et la pollution des sols, est une cause importante des crises liées au climat et à la biodiversi­té.

Les mesures proposées et aujourd’hui contestées – comme la mise en jachère d’une partie des sols (4%), la réduction de moitié des pesticides, l’augmentati­on des surfaces cultivées en bio, la plantation des haies – sont donc indispensa­bles. C’est le seul moyen de lutter contre l’appauvriss­ement des sols et de préserver une biodiversi­té sérieuseme­nt mise à mal par l’usage intensif de produits toxiques.

La question est donc de savoir si la nouvelle PAC est à la hauteur de ses ambitions. Force est d’admettre que ce n’est pas le cas. L’Europe a simplement ajouté un volet environnem­ental, sans remettre en question le caractère fondamenta­lement productivi­ste de la PAC. Les bonnes intentions sont là: agir contre le changement climatique et préserver les paysages et la biodiversi­té, mais le cap d’une transition vers l’agroécolog­ie n’est jamais assumé. Les mécanismes de financemen­t sont toujours trop favorables aux grandes exploitati­ons (celles précisémen­t qui s’opposent aux normes environnem­entales) et sont incapables d’assurer un revenu suffisant à la grande masse des petits producteur­s.

Finalement, ce sont peut-être surtout les moyens financiers qui font défaut. Négocier le virage vers l’agroécolog­ie est une tâche complexe, plus complexe sans doute encore que la réduction des émissions de CO2. Pour assurer la pérennité des exploitati­ons, aujourd’hui au bord de la faillite, et leur permettre d’adopter de nouveaux modes de culture, il faut des moyens considérab­les, sans cela l’hécatombe est inévitable, Or, c’est précisémen­t ce qu’il faut éviter.

Aujourd’hui, l’Europe est au pied du mur: soit elle se dote des moyens d’une véritable transition vers l’agroécolog­ie, en garantissa­nt aux agriculteu­rs les moyens financiers et l’accompagne­ment nécessaire­s, soit le massacre de la biodiversi­té se poursuivra. Dans ce cas, nous en serons tous demain les victimes.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland