Le réchauffement, faux ami du pinot noir
Le cépage phare du canton de Neuchâtel se porte mieux qu’il y a 40 ans grâce au changement climatique. Mais il pourrait bien disparaître d’ici à 2100 si la tendance se poursuivait, selon une thèse universitaire
Entre le lac de Neuchâtel et l’abbaye de Bevaix, des hectares de vignes baignent dans le soleil de février. Un décor de carte postale que l’Université de Neuchâtel a choisi mardi pour présenter les conclusions de la thèse de doctorat de Valentin Comte, portant sur les conséquences du réchauffement climatique sur la viticulture. Et pour lancer une série de dégustations scientifiques qui auront pour but de partager ces résultats avec le grand public dans l’Arc jurassien.
Durant cinq ans, le désormais docteur a travaillé sur le terrain pour établir des scénarios selon différents modèles de réchauffement: «le plus positif a été abandonné d’entrée, sachant que la mise en oeuvre de l’Accord de Paris sur le climat est déjà un échec.» Il s’est surtout concentré sur le pinot noir, carte de visite des vignobles neuchâtelois au bénéfice d’une appellation d’origine contrôlée. Conclusion: si jusqu’en 2050, le réchauffement sera plutôt bénéfique pour les vignerons locaux, il n’est en revanche pas certain qu’ils puissent encore cultiver ce cépage en 2100.
De nouveaux insectes
«Dans les années 1980, le climat n’était pas vraiment idéal pour la vigne dans cette région. Il l’est beaucoup plus aujourd’hui. Mais lorsque les températures dépassent 35 °C, les vignes se mettent en pause et les grains risquent davantage de se dessécher», souligne Valentin Comte. Outre les épisodes de forte chaleur plus fréquents, d’autres défis seront à relever: sécheresse, cellules orageuses violentes, grêle, ou arrivée d’insectes jusqu’ici absents du canton, comme la cicadelle des vignes. «Il faut à tout prix éviter qu’elle soit apportée par l’homme, car dans ces nouvelles conditions, elle pourrait proliférer très rapidement et faire d’énormes dégâts. Le recours massif aux insecticides serait alors la seule solution.»
Un scénario que Benoit de Montmollin, qui dirige avec sa soeur le plus grand domaine viticole entièrement bio de Suisse à Auvernier, préférerait évidemment éviter: «Ces produits tuent tout ce qui n’est pas bon pour la vigne, mais aussi ce qui l’est. Cela ne correspond pas à notre philosophie et nous serions bien embêtés.» Incarnant la quatrième génération à la tête du Domaine de Montmollin, il se réjouit de cette étude réalisée en partie sur ses 50 hectares, principalement dédiés au pinot noir et au chasselas: «Cela met sur papier ce que l’on observe tous les jours, et on voit que l’on n’est pas seul à y penser.»
A bientôt 40 ans, il se rappelle des vendanges d’octobre lorsqu’il était enfant. «Il faisait froid et humide, on buvait du thé le matin. Aujourd’hui, on vendange en short et t-shirt en septembre, il fait parfois 30 °C et nous avons dû beaucoup investir pour installer des systèmes de refroidissement de la vendange afin d’assurer sa qualité.» Et désormais, il récolte son pinot avant le chasselas, alors qu’avant, c’était le contraire.
Un autre changement concerne l’irrigation, à laquelle il a de plus en plus recours depuis quelques années. «Par le passé, on ne le faisait pas du tout. On a commencé à irriguer des petits coins en 2016 et depuis, cela ne cesse d’augmenter. Nous sommes en train d’installer un arrosage par goutte à goutte qui couvrira 10% du domaine.» Et d’évoquer des sols presque brûlés avec des herbes desséchées qui craquellent sous les pas. «C’est assez surprenant d’avoir ce problème en Suisse, le château d’eau de l’Europe.»
«Il ne faut pas céder au catastrophisme»
Au moment de répondre à notre appel, il était en train de remplir son assurance contre la grêle. «On a un gros événement environ tous les dix ans. En 2013, nous avons perdu 80% de notre production. Si la fréquence augmente, les primes deviendront impayables», ironise-t-il. La pose de filets de protection évoquée mardi par Valentin Comte fait s’interroger le vigneron: permis de construire, investissements massifs, rétention de chaleur qui pourrait nuire au raisin.
Malgré tout, Benoit de Montmollin reste optimiste: «On est né là-dedans, nos parents parlaient toujours de climat. Il faut être vigilant mais ne pas céder au catastrophisme. C’est à nous de nous adapter. Si on doit changer de cépages, il faudra faire un grand travail d’éducation de notre clientèle, qui connaît très bien le pinot noir et le chasselas, mais moins nos autres produits. Ce n’est évidemment pas ce que l’on souhaite.» Cette question occupe malgré tout les esprits, sachant que les ceps plantés aujourd’hui seront encore là dans cinquante ans.
Si cette étude porte sur la vigne, ses conclusions doivent interpeller toute l’agriculture, insiste quant à elle la professeure de climatologie Martine Rebetez, qui a supervisé cette thèse: «Les températures augmentent très vite et on sait déjà que les scénarios utilisés ici seront révisés à la hausse, à moins d’une réduction très forte du recours aux énergies fossiles. Cela arrivera forcément un jour.» Elle prévient également que l’adaptation sera compliquée: «L’agriculture a su le faire jusqu’ici, parce que depuis 10 000 ans, les conditions ont très peu varié. Aujourd’hui, le changement est si rapide qu’il faut s’adapter en une génération. Ce sera difficile partout.»
■ Dégustations scientifiques de l’Université de Neuchâtel, 27 févr. à Neuchâtel, 19 mars à Grandson, 26 mars à Delémont. D’autres dates seront annoncées à La Neuveville et au Vully.