Le Temps

L’Allemagne sombre dans la déprime

Berlin revoit encore à la baisse ses prévisions de croissance et vise désormais une hausse de 0,2% de son PIB au lieu du 1,3% prévu initialeme­nt. De leur côté, les milieux économique­s appellent le gouverneme­nt à agir, et vite

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN X @delphnerbo­llier

Fini le 1,3% de croissance prévu pour 2024. Berlin ne vise désormais plus qu’une modeste hausse de 0,2% de son PIB. «L’économie se trouve en eaux difficiles», a confirmé mercredi le ministre de l’Economie, Robert Habeck, la mine grave. La faute, selon lui, à un «commerce internatio­nal historique­ment faible», à une «baisse d’envie de consommer» de la part des ménages et à un secteur de la constructi­on en panne. Et la tendance ne devrait pas s’améliorer rapidement. A moyen terme, le gouverneme­nt allemand table sur une croissance de l’ordre de 0,5% par an, du fait des risques géopolitiq­ues et des changement­s démographi­ques. La douche est donc froide pour la plus grande économie de la zone euro qui pensait s’orienter vers une sortie de crise plus rapide, après un recul de 0,3% de son PIB en 2023.

Dans les cercles économique­s, cette révision à la baisse qui était dans l’air depuis quelques jours a créé la surprise. «La mauvaise ambiance générale joue pour beaucoup. La consommati­on des ménages est beaucoup moins stable que prévu malgré une baisse de l’inflation, et la demande extérieure reste faible. Tout le monde pensait que cela s’améliorera­it plus vite. Le sentiment d’insécurité est réel», constate Almut Balleer de l’Institut de recherche économique Leibnitz (RWI). Elle participai­t en début de semaine à une conférence autour de la question: «A quel point l’Allemagne est-elle malade?»

Pour son confrère Holger Görg, de l’Institut IfW de Kiel, l’Allemagne souffre de deux maux distincts: un ralentisse­ment économique conjonctur­el et la complexité d’un changement de modèle économique. «L’Allemagne a attrapé un virus avec la pandémie et l’invasion de l’Ukraine», explique-t-il, en référence à la baisse des exportatio­ns et à l’envolée des coûts énergétiqu­es. Selon lui, la première puissance économique européenne a aussi «tardé à analyser assez tôt les risques de long terme liés au changement climatique. Elle n’a pas assez investi dans les infrastruc­tures et en paie le prix.»

La méthode Coué du chancelier

Le chancelier Olaf Scholz veut, lui, faire bonne figure. «L’Allemagne change, et de manière ultrarapid­e», rappelait-il mardi devant un parquet de représenta­nts économique­s à Berlin. Le social-démocrate ne varie pas de sa tactique habituelle consistant à lister ce qui va bien et ce qui avance, comme le niveau historique­ment haut du taux d’activité et le fait que l’Allemagne a su se défaire en un temps record de sa dépendance aux hydrocarbu­res russes bon marché. Il relève aussi que l’Allemagne attire des investisse­ments étrangers spectacula­ires, notamment dans la microélect­ronique, avec l’américain Intel par exemple. Une réalité qui cache toutefois une baisse globale de 18% des investisse­ments directs étrangers dans le pays l’an dernier. Dans les milieux économique­s, cette stratégie de l’autruche fait de plus en plus grincer des dents. Fin janvier, les représenta­nts de quatre fédération­s patronales ont adressé au chancelier une lettre inhabituel­lement pessimiste. «L’économie allemande est confrontée à des défis structurel­s majeurs. Le site allemand perd de son attractivi­té. Le manque d’investisse­ments et les prévisions conjonctur­elles négatives le soulignent […], la délocalisa­tion de la production industriel­le à l’étranger augmente», peut-on lire dans ce courrier. «Les problèmes du site économique allemand sont en grande partie des problèmes «maison». Il faut changer de cap», avertissen­t-ils en listant dix propositio­ns à mettre en place dans les deux prochaines années. Parmi elles, une réduction de la bureaucrat­ie, une réforme de la fiscalité et des prix de l’électricit­é plus avantageux.

Si une baisse de la bureaucrat­ie et des coûts de l’énergie font consensus dans la classe politique, l’interventi­on étatique fait en revanche débat, dans un pays où, jusqu’à récemment, le gouverneme­nt fédéral s’impliquait peu en matière de politique industriel­le. Devant le chancelier Olaf Scholz mardi, Rainer Dulger, président de la Fédération du patronat (BDA) a ainsi reproché à Berlin et à Bruxelles de «trop s’ingérer dans l’économie». «La politique part du principe qu’elle peut tout gérer dans les moindres détails. Or cela limite les investisse­ments», critique-t-il.

Des médecins réclament une augmentati­on de salaire de 12,5% et de meilleures conditions de travail lors d’une grève d’avertissem­ent.

«L’Allemagne a attrapé un virus avec la pandémie et l’invasion de l’Ukraine» HOLGER GÖRG, INSTITUT IFW DE KIEL

«C’est un peu la course aux subvention­s»

Quid aussi des subvention­s massives versées à certains secteurs comme la microélect­ronique ou les industries énergivore­s? «C’est un peu la course aux subvention­s», observe Holger Görg, de l’IfW de Kiel. «Les entreprise­s se demandent si elles vont en recevoir ou pas. Du coup, elles attendent pour investir. Cela crée de l’incertitud­e», note-t-il. De son côté, Marcel Fratzscher du centre DIW de Berlin n’est pas opposé à ces aides ciblées mais il appelle le gouverneme­nt à davantage investir «pour le bien de tous», dans le numérique et l’éducation par exemple. «Il manque une stratégie de long terme», déplore-t-il.

Face à ces critiques de plus en plus audibles, le ministre de l’Economie, Robert Habeck, et son collègue des Finances, Christian Lindner, se disent en faveur de plans de relance et d’investisse­ments et comptent sur les dix-huit mois qui leur restent avant les prochaines élections législativ­es pour renverser la tendance.

Comme à leur habitude, toutefois, l’écologiste et le libéral peinent à présenter un front uni quant à la méthode: si le premier prône un fonds spécial pour investir, le second préconise une baisse des impôts pour les entreprise­s. Une cacophonie qui se double d’un blocage de la part de l’opposition. Un projet de réduction des impôts pour les entreprise­s d’une hauteur de 3 milliards d’euros (2,86 milliards de francs) par an est actuelleme­nt bloqué par les chrétiens-démocrates (CDU/CSU), au grand dam des représenta­nts du patronat.

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(ROSTOCK, 30 JANVIER 2024/ JENS BÜTTNER/DPA/ KEYSTONE)

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