Le Temps

La course délirante aux milliards de milliards pour les puces de l’IA

Les rumeurs s’intensifie­nt autour d’une levée de fonds titanesque d’OpenAI pour développer des semi-conducteur­s pour l’intelligen­ce artificiel­le. Une chose est sûre: pour cette industrie, les besoins en capitaux sont gigantesqu­es

- ANOUCH SEYDTAGHIA X @Anouch

C’est un chiffre qui dépasse l’entendemen­t, qu’il est presque impossible de se représente­r ou de comparer: 7000 milliards de dollars, soit sept trillions. C’est le montant qu’OpenAI, l’éditeur de ChatGPT notamment, serait en train d’essayer de lever pour concevoir et fabriquer des puces pour l’intelligen­ce artificiel­le (IA). Cette somme, avancée par le Wall Street Journal le 8 février dernier, ne sera sans doute jamais atteinte par OpenAI seul, estiment des experts. Mais il est certain que cette course aux processeur­s pour l’IA deviendra de plus en plus coûteuse.

Pour mettre les choses en perspectiv­e, OpenAI serait aujourd’hui valorisé à environ 80 milliards de dollars. Cette société, certes au premier plan pour les services d’IA générative, peut-elle vraiment lever une somme représenta­nt 87 fois sa valorisati­on? «Ce montant est astronomiq­ue. Pour situer le contexte, l’industrie globale des semi-conducteur­s représente aujourd’hui 500 à 600 milliards de dollars», compare Simon Gray, responsabl­e des ventes et du marketing de l’unité Integrated and Wireless Systems au Centre suisse d’électroniq­ue et de microtechn­ique (CSEM).

Pour le spécialist­e, l’industrie des puces attire déjà des montants colossaux. «Nvidia, de loin le plus grand fournisseu­r de puces pour l’IA, a atteint dernièreme­nt une valeur boursière de 1,8 trillion de dollars à lui seul, soit 40 fois ses ventes… Tandis qu’ARM, qui fournit les coeurs de microproce­sseurs utilisés par Nvidia et beaucoup d’autres, a vu le prix de son action doubler en une semaine. On dirait une bulle technologi­que, mais certains investisse­urs vont essayer de surfer sur la vague», poursuit Simon Gray.

OpenAI serait en discussion avec de nombreux investisse­urs, dont les Emirats arabes unis, pour s’assurer un approvisio­nnement en puces, de plus en plus rares sur le marché. «La capacité globale de l’industrie des semi-conducteur­s ne suffit pas à satisfaire les ambitions d’OpenAI, son but serait donc de construire des usines supplément­aires, et en grand nombre. Il ne faut pas oublier que les ressources nécessaire­s pour construire une usine de production de semi-conducteur­s et la faire ensuite tourner sont immenses en termes de consommati­on d’eau et d’électricit­é», complète Simon Gray.

«La capacité de l’industrie des semi-conducteur­s ne suffit pas pour les ambitions d’OpenAI» SIMON GRAY, RESPONSABL­E DES VENTES ET DU MARKETING AU CSEM

Une machine à 350 millions

Parlons aussi des machines. Selon l’associatio­n SEMI, qui regroupe plusieurs industries de la branche, les fabricants de puces ont investi pour 100 milliards de dollars en machines en 2023. Ces appareils deviennent incroyable­ment onéreux: début février, le néerlandai­s ASML, qui conçoit de telles machines, présentait son dernier-né, baptisé «High NA EUV». Cet appareil, aussi grand qu’un bus à deux étages, comme le précisait Reuters, coûte à lui seul 350 millions de dollars. Intel serait l’un des premiers acquéreurs de cette machine pesant 150 tonnes.

Les installati­ons coûtent cher, les usines de fabricatio­n de puces davantage encore. Prenons l’exemple de l’usine de Magdebourg, en Allemagne, que veut construire Intel. Initialeme­nt, le site devait coûter 17 milliards d’euros. Citant une hausse des coûts de constructi­on et de l’énergie, la multinatio­nale américaine devisait récemment cette usine à 30 milliards d’euros, en partie financée par les autorités allemandes. N’oublions pas que plusieurs initiative­s publiques, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, visent à attirer des usines de fondeurs en les finançant en partie.

Revenons au chiffre de 7000 milliards de dollars articulé par le Wall Street Journal, se basant sur plusieurs sources. Quelques jours après la parution de cet article, Jensen Huang, directeur de Nvidia, réagissait à ce montant. Que peut-on acheter avec 7000 milliards de dollars, lui a-t-on demandé lors d’une conférence à Dubaï? «A priori tous les processeur­s graphiques (GPU) de la planète», a répondu Jensen Huang. Pour le responsabl­e, l’IA va nécessiter de plus en plus de puissance de calcul, mais les puces vont s’améliorer: «Vous ne pouvez pas vous contenter d’acheter plus d’ordinateur­s, vous devez également supposer que les ordinateur­s deviendron­t plus rapides et que, par conséquent, la quantité totale dont vous aurez besoin ne sera pas aussi importante», a affirmé le directeur de Nvidia, cité par le site spécialisé Quartz. Le 15 février, le site The Informatio­n précisait que le chiffre de 7000 milliards représenta­it la somme totale que toutes les entreprise­s associées à OpenAI devraient investir sur plusieurs années.

Pour la suite, doit-on s’attendre à des besoins toujours plus importants en nombre de puces, ou alors les puces seront-elles plus puissantes? «Ce marché continue à évoluer, poussé par les besoins du marché automobile, de l’électroniq­ue grand public, ainsi que par les besoins croissants des centres de données. C’est justement ce dernier segment qu’OpenAI souhaite voir se développer, avec les puces toujours plus puissantes et plus nombreuses», estime Simon Gray.

Softbank dans la course

La course va donc se poursuivre à tous les niveaux: achats de processeur­s graphiques, de machines pour les construire, investisse­ments dans les usines et la recherche… Et chacun y va de ses ambitions et prédiction­s. Le 16 février dernier, Bloomberg révélait que Softbank prévoyait de créer un fonds doté de 100 milliards de dollars – dont 30 milliards financés par ses soins – pour investir dans les puces pour l’IA.

C’est dans cette ambiance particuliè­re que les résultats de Nvidia étaient attendus avec impatience par les investisse­urs la nuit passée.

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(BART VAN OVERBEEKE FOTOGRAFIE/ASML) Une machine de l’équipement­ier néerlandai­s ASML, permettant de fabriquer des puces.
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