La CEDH nuit-elle à la démocratie?
Certaines décisions picrocholines semblent outrepasser l’esprit fondamental des droits de l’homme
En 1974, il y a donc 50 ans, la Suisse en tant que membre du Conseil de l’Europe ratifiait la Convention européenne des droits de l’homme qui en était la clé de voûte. Elle adhérait ensuite à la Cour installée par le Conseil de l’Europe pour veiller à sa mise en oeuvre. Il s’agissait, au sortir d’une guerre épouvantable, de codifier des valeurs communes basées sur l’interdiction de la torture et de tous traitements dégradants, ainsi que sur la protection de la vie privée et familiale, et la garantie d’accès à un procès équitable. Rien à y redire évidemment. Sauf que, depuis ces temps déjà anciens, les droits se sont largement étendus ainsi que leur interprétation originelle, donnant lieu à une jurisprudence que les signataires sont tenus de respecter en modifiant leur corpus national. Malgré cela, la Suisse encaisse des condamnations, rares heureusement, mais qui l’entraînent vers une harmonisation toujours plus poussée.
Pour cette raison, la CEDH essuie de nombreuses critiques dans les différents pays qui y ont adhéré. Son ingérence dans les jurisprudences nationales met à mal la démocratie, puisque ce sont les parlements qui écrivent les lois et non pas une cour internationale, tout estimable soit-elle. Les Anglais ont été les premiers à s’en offusquer après avoir dû renoncer à leur pratique très ancienne de priver les prisonniers du droit de vote. Avant que la plainte des syndicats soit jugée irrecevable, la Suisse a d’abord été condamnéepour avoir empêché les manifestations du 1er mai… en 2020, au plus fort de la pandémie de Covid19! La France a dû revenir sur l’interdiction des syndicats dans les armées, domaine régalien s’il en est…
Sans que le peuple s’en rende vraiment compte, de nombreuses révisions du droit et des procédures sont directement inspirées des arrêts de la CEDH, comme l’avocat de la première heure, ou la modification des règles de la garde à vue, ou dans certaines conditions le remplacement du procureur, trop proche du pouvoir, par un juge d’instruction. De fil en aiguille, les anciens systèmes judiciaires européens se transforment. Le principe de subsidiarité dont la CEDH se réclame devient caduc dès lors que toutes les juridictions se sont alignées sur elle! La rareté des condamnations de la Suisse témoigne du fait que, en excellente élève, son droit s’est fidèlement adapté et que ses magistrats veillent en permanence à ne pas se faire retoquer par l’instance européenne. En France, un éminent constitutionnaliste disait: «La CEDH, on y pense toujours mais on ne le dit pas.»
D’autres critiquent une évolution de l’acception des droits de l’homme dictés par Strasbourg frisant l’absurde parfois, en particulier dans le registre de l’immigration, auquel les peuples sont très sensibles. Au gré des arrêts, force est de constater que les Etats ne sont plus en mesure de décider de leur politique migratoire tant la CEDH vient casser leurs tentatives de fermeté. Récemment, la France n’a pas apprécié d’être rappelée à l’ordre pour avoir expulsé un islamiste ouzbek très dangereux, sous prétexte qu’il s’exposait dans son pays à «des traitements inhumains ou dégradants». Une telle décision conduit implicitement à accueillir en Europe toutes les femmes afghanes ou iraniennes, toute la communauté LGBTQI des régions musulmanes intégristes, toutes les petites filles africaines potentiellement soumises à l’excision, la liste est malheureusement très longue.
Dans une période agitée et parfois tragique où les conflits font rage, certaines décisions picrocholines de la CEDH semblent outrepasser l’esprit fondamental des droits de l’homme, conduisant à en bafouer le sens. Elles entretiennent la méfiance des peuples envers l’institution au point que certains souhaitent s’en défaire. Ainsi le ministre britannique Robert Jenrick a déclaré que le gouvernement ferait «tout ce qui est nécessaire» pour régler ses soucis d’immigration, même en retirant le Royaume-Uni de la CEDH. Car le problème est finalement moins juridique que politique puisque la Cour finit par mettre en cause la souveraineté du peuple et de ses représentants, fondement même de la démocratie. Mais les démocraties européennes en sont-elles encore vraiment, la question mérite d’être posée… ■