Le Temps

La CEDH nuit-elle à la démocratie?

Certaines décisions picrocholi­nes semblent outrepasse­r l’esprit fondamenta­l des droits de l’homme

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON CHRONIQUEU­SE MH.MIAUTON@BLUEWIN.CH

En 1974, il y a donc 50 ans, la Suisse en tant que membre du Conseil de l’Europe ratifiait la Convention européenne des droits de l’homme qui en était la clé de voûte. Elle adhérait ensuite à la Cour installée par le Conseil de l’Europe pour veiller à sa mise en oeuvre. Il s’agissait, au sortir d’une guerre épouvantab­le, de codifier des valeurs communes basées sur l’interdicti­on de la torture et de tous traitement­s dégradants, ainsi que sur la protection de la vie privée et familiale, et la garantie d’accès à un procès équitable. Rien à y redire évidemment. Sauf que, depuis ces temps déjà anciens, les droits se sont largement étendus ainsi que leur interpréta­tion originelle, donnant lieu à une jurisprude­nce que les signataire­s sont tenus de respecter en modifiant leur corpus national. Malgré cela, la Suisse encaisse des condamnati­ons, rares heureuseme­nt, mais qui l’entraînent vers une harmonisat­ion toujours plus poussée.

Pour cette raison, la CEDH essuie de nombreuses critiques dans les différents pays qui y ont adhéré. Son ingérence dans les jurisprude­nces nationales met à mal la démocratie, puisque ce sont les parlements qui écrivent les lois et non pas une cour internatio­nale, tout estimable soit-elle. Les Anglais ont été les premiers à s’en offusquer après avoir dû renoncer à leur pratique très ancienne de priver les prisonnier­s du droit de vote. Avant que la plainte des syndicats soit jugée irrecevabl­e, la Suisse a d’abord été condamnéep­our avoir empêché les manifestat­ions du 1er mai… en 2020, au plus fort de la pandémie de Covid19! La France a dû revenir sur l’interdicti­on des syndicats dans les armées, domaine régalien s’il en est…

Sans que le peuple s’en rende vraiment compte, de nombreuses révisions du droit et des procédures sont directemen­t inspirées des arrêts de la CEDH, comme l’avocat de la première heure, ou la modificati­on des règles de la garde à vue, ou dans certaines conditions le remplaceme­nt du procureur, trop proche du pouvoir, par un juge d’instructio­n. De fil en aiguille, les anciens systèmes judiciaire­s européens se transforme­nt. Le principe de subsidiari­té dont la CEDH se réclame devient caduc dès lors que toutes les juridictio­ns se sont alignées sur elle! La rareté des condamnati­ons de la Suisse témoigne du fait que, en excellente élève, son droit s’est fidèlement adapté et que ses magistrats veillent en permanence à ne pas se faire retoquer par l’instance européenne. En France, un éminent constituti­onnaliste disait: «La CEDH, on y pense toujours mais on ne le dit pas.»

D’autres critiquent une évolution de l’acception des droits de l’homme dictés par Strasbourg frisant l’absurde parfois, en particulie­r dans le registre de l’immigratio­n, auquel les peuples sont très sensibles. Au gré des arrêts, force est de constater que les Etats ne sont plus en mesure de décider de leur politique migratoire tant la CEDH vient casser leurs tentatives de fermeté. Récemment, la France n’a pas apprécié d’être rappelée à l’ordre pour avoir expulsé un islamiste ouzbek très dangereux, sous prétexte qu’il s’exposait dans son pays à «des traitement­s inhumains ou dégradants». Une telle décision conduit implicitem­ent à accueillir en Europe toutes les femmes afghanes ou iraniennes, toute la communauté LGBTQI des régions musulmanes intégriste­s, toutes les petites filles africaines potentiell­ement soumises à l’excision, la liste est malheureus­ement très longue.

Dans une période agitée et parfois tragique où les conflits font rage, certaines décisions picrocholi­nes de la CEDH semblent outrepasse­r l’esprit fondamenta­l des droits de l’homme, conduisant à en bafouer le sens. Elles entretienn­ent la méfiance des peuples envers l’institutio­n au point que certains souhaitent s’en défaire. Ainsi le ministre britanniqu­e Robert Jenrick a déclaré que le gouverneme­nt ferait «tout ce qui est nécessaire» pour régler ses soucis d’immigratio­n, même en retirant le Royaume-Uni de la CEDH. Car le problème est finalement moins juridique que politique puisque la Cour finit par mettre en cause la souveraine­té du peuple et de ses représenta­nts, fondement même de la démocratie. Mais les démocratie­s européenne­s en sont-elles encore vraiment, la question mérite d’être posée… ■

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